Par Julie PONTVIANNE
Le 26 septembre 2016 est un jour historique pour la Colombie et pour plus de 48 millions de Colombiens qui ont rêvé pendant 5 décennies de la paix. L’espoir de voir se construire ou plutôt se reconstruire un pays en paix est enfin devenu plausible suite à la signature de l’accord de Paix à Carthagène des Indes entre le président colombien Juan Manuel Santos et le commandant en chef de la plus vieille guérilla marxiste du continent américain Rodrigo Londoño, plus connu sous le nom de guerre de « Timochenko ». La signature de cet accord entre le gouvernement colombien et les FARC-EP (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie – Armée du Peuple) représente la fin de 52 années de conflit armé qui ont divisé et meurtri plusieurs générations du peuple colombien. Elle est symbolique, saluée, acclamée non seulement en Amérique latine mais aussi par l’ensemble de la communauté internationale. Ce que l’on se doit de célébrer en ce jour historique, c’est un acte symbolique qui vient récompenser quatre années de négociation extrêmement compliquées à la Havane, c’est la victoire de la voie diplomatique pacifique sur la voie armée et enfin la volonté commune du gouvernement colombien et des FARC-EP d’écrire ensemble les nouvelles pages du futur de leur pays. Et ce n’est pas un hasard si le stylo ayant servi à la signature du traité est un stylo fabriqué à partir d’une balle. En outre, les victimes du conflit armé colombien, si longtemps oubliées ou reléguées au second plan, ont elles aussi vécu un jour historique puisque c’est la première fois qu’un représentant des FARC-EP leur demande officiellement pardon, et de surcroît, sur le sol colombien.
Ainsi, en ce 26 septembre 2016, parler de jour historique ou symbolique n’est pas un abus de langage. Même si d’autres groupes armés illégaux restent encore actifs (comme l’armée de libération nationale ou les bandes criminelles) et même si cet accord n’est pas encore ratifié, les deux termes « historique » et « symbolique » peuvent et se doivent d’être employés à bon escient pour caractériser un évènement qui constitue sans aucun doute un point charnière de l’histoire de la Colombie et de l’Amérique latine.
Quelles sont les conséquences immédiates de la signature de cet accord ?
La signature de cet accord a d’ores et déjà des conséquences d’ordre financier et institutionnel. Premièrement, l’Union Européenne a suspendu les FARC de sa liste des organisations terroristes. Ensuite, Christine Lagarde, directrice du Fond Monétaire International a annoncé que cet organisme versera 11 millions de dollars à la Colombie après la ratification de l’accord. Enfin, l’image de la Colombie sur la scène internationale a changé car, pour la première fois, des négociations ont été menées à leur terme malgré les critiques des détracteurs et les frustrations d’une partie des Colombiens qui jugent cet accord trop laxiste pour les combattants des FARC-EP.
Quelle est la prochaine échéance historique pour la Colombie ?
La signature de cet accord est un premier pas vers la paix mais il ne suffit pas à l’instaurer et encore moins à la construire. Le dimanche 2 octobre les citoyens colombiens y compris ceux résidant à l’étranger sont appelés à voter lors d’un referendum national pour ratifier ou rejeter l’accord de paix négocié entre le gouvernement et les FARC-EP. La question posée sera la suivante : “Apoya usted el acuerdo final para la terminación del conflicto y la construcción de una paz estable y duradera?” “Soutenez-vous l’accord final pour la fin du conflit et la construction d’une paix stable et durable? » Les citoyens ne pourront répondre à cette question que par oui ou non. Pour que le référendum soit approuvé, la Cour constitutionnelle colombienne a fixé le seuil minimum à 13 % des électeurs inscrits, ce qui représente au moins 4 396 626 suffrages exprimés que ce soit en faveur ou contre l’accord de paix.
Bien que le « oui » soit favori dans les sondages, nul ne peut faire des pronostics sur l’issue du scrutin mais, ce qui est certain, c’est que le 2 octobre 2016, le peuple colombien écriera une autre page de son histoire. Il fera un pas de plus vers la construction de la paix ou il décidera de revenir à la case départ.
Quel est l’enjeu du référendum ?
Au-delà de permettre la ratification ou le rejet de l’accord de paix, l’enjeu du référendum qui constitue une promesse de Juan Manuel Santos au peuple colombien, est de taille. Il servira d’une part à mesurer la légitimité de l’accord en termes de suffrages exprimés. Cette légitimité s’avérera fondamentale pour relever les défis futurs et les nombreuses difficultés qui pèseront sur la construction effective de la paix et sur le post conflit. Un référendum approuvé à minima serait par conséquent de très mauvais augure pour la construction de la paix et pour la réussite du processus de réinsertion des anciens combattants des FARC-EP. Juan Manuel Santos a précisé à ses détracteurs parmi lesquels figure l’ancien Président Alvaro Uribe Vélez qu’il préférait « un accord imparfait qui sauve des vies à une guerre parfaite ». L’accord prévoit entre autres la démobilisation des FARC et sa transformation en parti politique. Ce dernier point est particulièrement polémique car une grande partie de la population colombienne est réticente à l’entrée en politique d’anciens combattants des FARC-EP. Grâce aux urnes, les citoyens colombiens ont donc encore le pouvoir de faire barrage à une possible entrée des FARC-EP en politique. D’autre part, ce référendum est un moyen de faire des citoyens colombiens de véritables acteurs de la construction de la paix qu’ils ont si longtemps espérée et dont ils ont été les victimes collatérales. Bien que la formulation de la question soit instrumentalisée en les invitant évidemment à se prononcer pour le oui au référendum -quel citoyen colombien ne serait pas logiquement en faveur de la fin de la guerre et d’une paix stable et durable- il faut saluer la volonté du pouvoir politique colombien de faire de ce traité un accord de paix avant tout démocratique et pas seulement une victoire politico-diplomatique qui viendrait s’imposer aux futurs artisans de la paix : les Colombiens.
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