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L’effondrement du pont de Mirepoix-sur-Tarn

Dernière mise à jour : 7 mai 2020

Par Achille Wagner

Le lundi 18 novembre 2019 le pont de Mirepoix-sur-Tarn, dans le département de la Haute Garonne, s’est effondré faisant ainsi deux morts et six blessés. La cause de l’effondrement a été vite déterminée par les enquêteurs de la gendarmerie ; à savoir le passage sur le pont d’un poids lourd de 50 tonnes.


Or il s’avère que ce pont, datant de 1935, est limité aux véhicules n’excédant pas 19 tonnes. Pourtant très tôt des anomalies ont été relevées. En effet, Eric Oget, Maire de la commune, a précisé que si la police municipale connaissait cette interdiction, il n’en demeurait pas moins que le passage sur ce pont, de véhicules excédant le poids requis était fréquent. De plus, il a précisé qu’un tel phénomène était possible en raison d’une impossibilité de contrôler systématiquement le poids des véhicules avant chaque franchissement [1].


Deux enquêtes ont été immédiatement ouvertes. La première, qui comprend un volet judiciaire, est confiée au Parquet de Toulouse. La deuxième, qui est administrative, a été confié directement au Bureau d’Enquêtes sur les Accidents de Transport Terrestre (BEATT) qui devra déterminer si la cause de l’effondrement est directement liée au surpoids soudain provoqué par le poids lourd ou si le pont accusait des problèmes de maintenance.


Concernant la question de l’entretien de l’ouvrage l’Etat et le Conseil Départemental de Haute-Garonne ont apporté deux réponses catégoriques. Premièrement, le Centre d’Etudes et d’expertises sur les Risques l’Environnement la Mobilité et l’Aménagement (CEREMA) qui est un établissement public, est chargé d’inspecter tous les 6 ans ce type d’ouvrage. La dernière inspection remontant à 2017 ne conclut pas à un ouvrage en mauvais état. Deuxièmement, le Conseil Départemental, chargé d’inspecter les ouvrages du département tous les ans, ne conclut pas dans son inspection de 2018 qu’il nécessite une attention particulière ou qu’il se trouve en mauvais état.


Cet incident interroge cependant sur l’état de ce type d’ouvrages plus globalement en France. En effet, il est crucial de souligner qu’à la suite de l’incident du Viaduc de Gênes qui s’était écroulé en août 2018 avec un bilan de 43 morts, l’Etat français avait effectué, à travers le Ministère des Transports, un audit sur l’état de 163 ponts dont la situation serait sujette à questionnement [2]. Dans cet audit rendu public en septembre 2018 il apparaît que 21 ponts ont un besoin de travaux et deux nécessitent une intervention immédiate.


En juin 2019 une mission d’information sénatoriale a rendu un rapport [3] concernant l’état des ouvrages d’art en France. Cette mission s’était spécialement constituée à la suite de l’incident du Viaduc de Gênes en août 2018.


Si l’on s’en tient à une approche globale de ce rapport il apparaît que « 25000 ponts sont en mauvais états structurel et posent des problèmes de sécurité et de disponibilité pour les usagers ». Cela concerne 7% des ponts de l’Etat, 8.5% des ponts des départements et 18 à 20% des ponts des communes. Conséquemment à cela on peut ajouter que 2800 ponts gérés par l’Etat sont en fin de vie car construit durant l’après-guerre et nécessitent donc des moyens de remise en état importants, toujours selon le rapport parlementaire de juin 2019.


Cette situation présente un problème majeur d’un point de vue économique. En effet, les ouvrages d’art et le réseau routier sont un moyen d’attractivité économique et de développement des territoires qui permet une optimisation des voies de communications.


D’un point de vue stratégique, se pose la question des délégations de service public opérés par l’Etat concernant certains ouvrages d’art et une partie du réseau routier. Soit 12.000 ponts et 118 des 160 ouvrages routiers de 7000 m². Si le questionnement ne porte pas sur la délégation en elle-même, il n’en demeure pas moins qu’il reste crucial concernant la capacité de contrôle de l’Etat, sur les acteurs privés, délégataires de service public, qui ont à charge ces concessions. En effet, selon la mission sénatoriale, l’Etat est chargé de vérifier que les procédures d’entretien et de surveillance de ces réseaux soient respectées par les concessionnaires. Mais comme l’Etat ne peut pas se substituer à ses concessionnaires, seuls ces acteurs privés déterminent eux-mêmes l’état du patrimoine dont ils ont la gestion à travers des indicateurs de performance. Or cette « notation » que sont les indicateurs de performance n’est pas établie par des personnes tierces.


De plus, se pose la question de l’entretien des ouvrages quand ils sont à la charge des collectivités territoriales. En effet, toujours selon la mission sénatoriale, si « certaines méconnaissent l’état de leurs ponts voire parfois leur nombre elles ne sont pas équipées pour en assurer la gestion et se heurtent à des difficultés financières pour les entretenir ». Les collectivités se heurtent donc à un double problème : un manque d’investissement et un manque de moyens techniques. Sur la période 2006-2013 les dépenses de voieries des collectivités territoriales s’élevaient à 15.21 milliards d’euros. Or sur la période 2013-2017 les mêmes dépenses s’élevaient à 11.7 milliards. On constate donc une baisse d’investissement de 30%. Également la DIR (Direction Interdépartementale des Routes) fait face à un manque de main d’œuvre spécialisée, 21% des départements interrogés par l’Assemblée des départements de France sont confrontés à un manque d’ingénieurs spécialisés dans les ouvrages d’art et les ouvrages routiers.


La réponse globale à ce problème serait à la fois financière mais également logistique. Tout d’abord, il faudrait renforcer financièrement les collectivités territoriales en leur permettant d’assurer les rénovations nécessaires à leurs ouvrages. Également, il faudrait, face à la multiplicité d’éventuelles crises mutualiser les moyens à travers les établissements publics de coopération intercommunale. De plus, il est indispensable que ces acteurs publics connaissent la composition exacte de leur patrimoine. Or dans le rapport de la mission parlementaire 37% des communes interrogées affirment qu’elles ne connaissent pas la composition exacte de leur patrimoine. Enfin la question de l’usager doit être primordial en ce sens qu’il est impératif de procéder à un référencement national d’ouvrages à risque qui présentent un besoin urgent de rénovation Et ce, dans le but d’intégrer dans les logiciels GPS ces données afin de protéger l’usager et d’assurer une meilleure gestion du trafic routier en cas de crise grave liée à un effondrement. Le renforcement du contrôle de l’Etat sur ses gestionnaires privés du domaine public reste primordial. En ce sens que les indices de performance dégagés par les acteurs privés doivent être validés par une personne publique tierce comme une Autorité Administrative Indépendante (AAI) plutôt que par les acteurs privés eux-mêmes.


Dans tous les cas si l’effondrement du pont de Mirepoix-sur-Tarn résulterait plus d’un incident direct lié à l’erreur répétée d’usagers, il n’en demeure pas moins qu’il doit nous interroger de manière globale sur l’état de santé du réseau d’ouvrage routier français.



 

[1] Juliette Meurin, « Un camion de 38 tonnes serait à l’origine de l’effondrement du pont de Mirepoix-sur-Tarn limité aux 19 tonnes », France 3 Occitanie, 18 novembre 2019, [en ligne :]  https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/haute-garonne/toulouse/camion-38-tonnes-serait-origine-effondrement-du-pont-mirepoix-tarn-1751059.html

[2] AFP, « CARTE. Découvrez les vingt-trois ponts français dont l’état est « altéré » », France Info,  26 septembre 2018, [en ligne :] https://www.francetvinfo.fr/monde/italie/effondrement-d-un-pont-a-genes/quinze-grands-ponts-du-reseau-routier-francais-ont-besoin-de-travaux-selon-le-ministere-des-transports_2957829.html

[3] Rapport d’information du Sénat « sécurité des ponts : éviter un drame » au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (1) par la mission d’information sur la sécurité des ponts (2) par MM. Hervé MAUREY, président, Patrick CHAIZE et Michel DAGBERT, rapporteurs [en ligne :] https://www.senat.fr/rap/r18-609/r18-6091.pdf

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