Par Antoine CRÉTIEN
Crise sanitaire et implications économiques
Bilans arrêtés au 4/04/2020 – 22h00
Directeur de publication : Thomas Meszaros
Responsable scientifique : Jean-Luc Lautier
Rédacteur : Antoine Cretien
Cette veille thématique, résolument internationale, a pour objectif de mettre en lumière les signaux de sortie de crise, les espoirs et les solidarités nouvelles. Inédite par son ampleur, cette crise sanitaire a arrêté le monde ; mais observer la crise ne suffit pas : il faut préparer la suite et comprendre comment le monde pourra évoluer en prenant en compte les enseignements de cette crise, et particulièrement sur le plan économique. C’est toute l’ambition de cette veille qui se propose également de relayer des liens culturels ou distractifs permettant de mieux vivre le confinement.
1. Situation mondiale : généralités
Center for Systems Science and Engineering (CSSE) – Johns Hopkins University, Baltimore, USA

Éléments de solidarité internationale
La Chine et la Russie sont les deux principaux à communiquer sur l’aide qu’ils apportent au reste du monde. Cette semaine, la Russie a apporté son aide aux États-Unis par le biais d’une livraison de matériel et d’équipement (à lire ici) tandis que l’ensemble des Ambassades chinoises au travers du monde relaient sur les réseaux les images et chiffres de l’aide qu’apporte la RPC au reste du monde (au Burkina Faso, à la France, au Venezuela, à l’Ouzbékistan…). On parle désormais d’une diplomatie du masque avec laquelle « la Chine en profite pour renforcer son influence (Jean-Philippe Béja, Dir. de recherche au CNRS) sans toutefois relever que cette arme diplomatique commence à être plombée par deux éléments :
D’abord la duplicité de la RPC dont il ne fait désormais plus aucun doute que le bilan officiel a été largement sous-évalué et dont le pouvoir cherche à réécrire l’histoire (à lire sur : France Info, le Time (en), ou encore sur Courier International où l’écrivain chinois Yan Lianke invite à ne pas se fier aux mensonges de Pékin).
Ensuite les problèmes de conformité du matériel livré qui s’avère parfois même défaillant ; c’est le cas en Espagne ou aux Pays-Bas qui se sont vus livrés des masques ou tests inutilisables. En conclusion, « le rôle et le discours de la Chine font débat » (presse suisse).
Dans un autre registre, mais toujours dans une expression de solidarité internationale, le Ministre de la Justice du Land de Berlin a indiqué réfléchir à la mise en place d’un pont aérien entre Berlin et Lesbos, en Grèce, pour accueillir entre 500 et 1 500 migrants de ce camp qui en compte 20 000 dans des conditions humaines et sanitaires déplorables.
Avancées médicales et recherche scientifique
Les traitements expérimentaux à base d’antipaludéens et d’antibiotique, comme celui présenté par le Pr. Raoult peinent à convaincre la communauté scientifique sur leur capacité à soigner. En revanche, les points intéressants soulevés par ces traitements se trouve dans leur capacité à faire diminuer rapidement la charge virale et à limiter ainsi les risque de contamination et de propagation. Pour aider à la recherche d’un traitement, des personnes guéries du Covid-19 font dons aux médecins de plasma afin qu’ils étudient leurs anticorps et avancent ainsi dans la recherche médicale.
La recherche scientifique travaille également à la sortie de crise et aux différents instruments à mobiliser pour lever le confinement. Les pompiers de Marseille sont ainsi en train de tester, en laboratoire, un dispositif permettant de détecter le SARS-CoV-2 dans l’environnement. Le cabinet PH Expertise a par ailleurs indiqué qu’un déconfinement conditionné à l’âge était l’une des meilleures stratégies de sortie de crise en gardant confinées les personnes les plus à risques (+ de 65 ans et personnes à comorbidités).
En France, des médecins ont publié une tribune, ce Samedi 4 Avril, pour assouplir l’usage de la chloroquine jusqu’à lors réservé, par décret, aux cas les plus graves. C’est le cas de l’ancien ministre de la Santé, Philippe Douste-Blazy ou de Patrick Pelloux. Car rappellent-ils « le décret en vigueur du 26 mars 2020 ne permet l’utilisation de l’hydroxychloroquine qu’après décision collégiale […] pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d’une défaillance d’organe. A ce stade trop tardif de la maladie, ce traitement risque d’être inefficace. Si l’efficacité de l’hydroxychloroquine se confirme, il faudra rapidement ouvrir le protocole aux médecins libéraux pour éviter la saturation des hôpitaux. » Rappelons que l’efficacité de ce traitement n’est pour le moment toujours ni prouvée ni reconnue mais que, à tout le moins, il semble permettre de faire diminuer rapidement la charge virale des patients.
2. Penser le confinement, et le déconfinement : quelles perspectives ?
Pensées intellectuelles
Face à une situation qui nous dépasse autant matériellement qu’intellectuellement, la question qui se pose dans toutes les presses mondiales est de savoir si cette épidémie saura bouleverser les équilibres inégalitaires et parfois destructeurs qui jusque-là guidaient la mondialisation et le système économique mondial. Abandonner les marchés pour retrouver les biens communs de l’humanité ne serait-ce pas cela « changer de monde » ? Courrier International se propose de faire un tour d’horizon des penseurs de ce bouleversement actuel ; extraits :
William Ospina, romancier et poète colombien, veut penser « l’imminence du désastre » comme « une étincelle de Dieu dans la prose du monde ». Sa pensée apaise : « l’heure est venue pour nous de mesurer notre fragilité, d’apprécier notre étonnement, de respecter notre peur [car] la peur a quelque chose de poétique […] comme la mer, elle sait nous rappeler que certaines choses nous dépassent ». En conclusion, il ajoute « s’il y a un monde fatigué et malade qui craque, il doit y avoir un monde neuf en gestation qui nous défie ».
L’apaisement, aussi, pour Tomas Sedlacek, économiste tchèque : « Le temps va ralentir et se suspendre comme un filet de miel. » ; « Peut-être apprendrons-nous à mieux contempler le monde qui nous entoure [et] quel sens donner à notre vie. »
Réflexions économiques, enfin, pour Kate Andrews (Royaume-Uni) et Fan Yu (RPC) : alors que le britannique espère que le virus aura « accéléré un changement déjà entamé dans les structures économiques qui ont donné le ton ces vingt dernières années », l’autre proclame que « le monteur chinois va relancer l’économie mondiale ! » Pourtant, ce sont les logiques localistes qui connaissent actuellement un vrai retour en grâce.
Pensées politiques
Alors que dès le 30 Avril Jean-Luc Mélenchon proposait de penser dès maintenant le déconfinement, une initiative parlementaire, en France, a initié une plateforme internet, un « parlement ouvert » pour l’ensemble des citoyens afin de réfléchir au « jour d’après ». Ce sont près de soixante députés qui invitent ainsi la population à débattre des nouvelles solidarités possibles et à « imaginer ce que nous voulons de mieux ». Il s’agit de « réfléchir dès maintenant et collectivement à un grand plan de transformation de notre société et de notre économie ». C’est la mise en place d’un véritable plan post-crise qui est proposé avec pour axiomes « le climat, la biodiversité, la solidarité, la santé et la démocratie ». Le site dédié est accessible ici : http://lejourdapres.parlement-ouvert.fr où chacun peut contribuer et débattre. Des propositions sont déjà sur la table : revalorisation des salaires des soignants et paramédicaux, création d’un revenu universel, relocalisation des productions essentielles ou encore 5 milliards d’investissement par an pour adapter les collectivités aux changements climatiques.

Cette initiative peut se lire comme une préfiguration de la recomposition politique qui risque de faire éclater encore un peu plus le paysage politique actuel : une fracture nette s’observera entre les tenants d’un libéralisme thatchérien et les tenants d’un retour de l’État stratège attaché aux biens communs. Car « cette pandémie est le stress test parfait de la société mondiale contemporaine » rappelle Bruno Tertrais qui voit pour l’avenir un « recul de la mondialisation », une « revanche des États » et une « montée du souverainisme ». Dans un monde futur qui se pourrait archipélagique, libre à nous, Européens, de nous inventer un nouveau modèle de développement, centré sur les écosystèmes : une nouvelle alliance entre le vivant et son milieu.
Mieux vivre le confinement
En France, le chanteur Jean-Jacques Goldman a lancé un élan de solidarité des artistes vis-à-vis des soignants en reprenant sa chanson Changer la vie et en la dédicaçant au corps médical. De nombreux chanteurs ont ensuite repris ou créé des chansons pour saluer le courage et la dévotion du personnel médical. Cette chanson est à retrouver ici.
Pour suivre encore l’actualité de l’Europe de la culture et bénéficier de la gratuité virtuelle de nombreux sites, musées et bibliothèques de toute l’Union, c’est par-là.
3. Pandémie et économie mondiale
Situation en Asie
Si la Chine semble avoir maîtrisé l’épidémie sur son territoire, des doutes apparaissent, nous l’avons mentionné, sur les bilans officiels communiqués par le pouvoir central. Surtout, la crainte d’une deuxième vague épidémique, encouragée par la hausse des cas dans tous les pays d’Asie de l’Est, reste prégnante. L’OMS a prévenu : l’épidémie est « loin d’être terminée en Asie » (voir ici). Une semaine après avoir rouvert ses sites touristiques, la ville de Shanghai a finalement décidé de les fermer à nouveau pour se prémunir de la hausse des cas (à lire ici). Tanis que le district de Jia en Chine continentale a été placé en quarantaine le 1er Avril suite à une recrudescence de cas. Sur le plan de la gestion épidémique, il faut toutefois continuer à saluer l’action de la Corée du Sud, du Vietnam, de Hong-Kong ou de Taïwan qui, au prix de mesures liberticides, arrivent à contenir l’épidémie par des quarantaines ciblées.
La deuxième vague, même en Chine, est inévitable selon Benjamin Cowling, épidémiologiste à l’Université de Hong Kong, cité par Globe and Mail : en Chine, « la population demeure très vulnérable et peut être touchée par une épidémie importante », « une seconde vague est inévitable. Totalement inévitable. »

La situation économique, alors que la Chine redémarre, reste inquiétante également. L’Asie ne sera épargnée par la croissance zéro, voire par la récession, en raison de la chute mondiale de la demande portée principalement par les États-Unis qui ont enregistré un nombre de chômeurs record et par l’Europe qui risque de se relever difficilement de cette crise sanitaire au long cours. Les différentes économies asiatiques mobilisent donc leurs finances publiques pour faire face à la récession générale annoncée ; voici le montant des plans de relance annoncés (le détail est à retrouver ici) : Thaïlande : 3,6 M$ ; Indonésie : 3,9 M$ ; Malaisie : 58 M$ ; Singapour : 38,3 M$ ; Vietnam : 3,4 M$.
Les prévisions de croissance sont ainsi toutes revues à la baisse tandis que, selon Challenges, malgré le rebond de l’industrie chinoise, un scénario noir menace l’Asie.
Situation en Europe

* première entrée
Implications et mesures économiques
L’Union Européenne, critiquée pour son inaction, est pourtant aux avant-gardes, dans les limites de ce qui est lui est permis par les Traités. Car les gouvernements sont prompts à critiquer l’Union mais ce sont les égoïsmes nationaux qui empêchent l’UE d’avancer (comme le rappelle, par exemple, Jacques Delors) ; car rappelons que sur le plan sanitaire, l’UE n’a aucune compétence exclusive et doit se borner, en vertu des Traités, à une fonction d’accompagnement, en fonction de la bonne volonté de ses États membres (Cf. ce que l’Union peut et ne peut pas faire).
Or l’Union mobilise ses ressources et continue de réfléchir à de nouvelles mesures, parmi lesquelles :
Des lignes de crédit directes pour les États pris dans Mécanisme Européen de Stabilité (MES) doté de 410 milliards d’euros.
L’émission d’obligations « corona » par la Commission Européenne (ce qui reviendrait à créer de la dette européenne ; une solution refusée par l’Allemagne et les Pays-Bas ; toutefois, certains écrivains et scientifiques allemands sont prêts à faire bouger les lignes : ils publient une tribune pour les corona bonds).
Une mutualisation de la dette sanitaire auprès de la BCE.
L’ensemble de ces mesures, dans le détail, sont présentées par le Grand Continent, qui propose un aperçu des solutions budgétaires européennes à l’étude. Un Conseil de l’UE devrait bientôt trancher la question ; le gouvernement des Pays-Bas a toutefois fait savoir qu’il était opposé à toute forme de mutualisation ou de dette européenne. Il propose un Fond de solidarité de 10 à 20 milliards d’euros que La Haye abonderait à hauteur d’1,2 milliards – une goutte d’eau face pour l’UE qui dispose d’un budget de 142 milliards annuels ne représentant pourtant qu’1% des PIB cumulés des États membres. D’ores et déjà, la Commission européenne a proposé de débloquer 100 milliards d’euros pour soutenir les plans de recours au chômage partiel de ses États membres.
Zoom pays : la France
Sur le plan sanitaire et politique, le gouvernement se retrouve sous le feu des critiques, avec notamment plusieurs plaintes déposées devant la Cour de Justice de la République. La principale accusation porte sur le manque d’anticipation face à cette crise ; France Culture résume la situation en exposant qu’effectivement, le gouvernement s’est refusé à envisager le pire : faute morale ou politique ? D’autant que le matériel promis n’arrive pas, notamment pour ce qui est des masques. Médiapart accuse avec des documents inédits issus du Ministère et apporte les preuves d’un mensonge d’État (version payante). Cette situation s’illustre particulièrement dans les EHPAD où l’exécutif « se prépare à une tragédie », toujours selon Médiapart. Au-delà de ces critiques, rappelons que le confinement reste la meilleure et la plus sûre des solutions à l’heure actuelle et que, sur ce point, il faut suivre les directives de l’exécutif : une étude de l’Imperial College de Londres montre ainsi l’efficacité de ces mesures qui auraient permis de sauver 2 500 vies en France et près de 60 000 dans toute l’Europe (l’étude est disponible ici).
Une bonne nouvelle pour le constructeur Alstom qui annonce avoir remporté un contrat à 120 millions d’euros en Allemagne : le Land de Hesse a commandé 30 trains régionaux qui seront toutefois construits et assemblés en Basse-Saxe (Salzgitter). Une autre bonne nouvelle concerne les entreprises et administrations qui s’engage résolument dans la voie de la solidarité nationale. Ainsi Chanel, Danone ou Nestlé ou la Ville de Paris, qui s’engagent à maintenir les salaires et emplois de leurs salariés, sans avoir recours aux dispositifs de chômage partiel ; ces groupes puiseront donc dans leurs fonds propres et verseront même des primes aux salariés en première ligne. À lire : pour la Ville de Paris, Chanel, Danone ou la grande distribution. C’est aussi par solidarité que plusieurs dirigeants de l’entreprise Sodexo vont renoncer à une partie de leur rémunération (le DG Denis Machuel renonce par exemple à 50% de son salaire fixe et à ses dividendes de l’exercice 2019-2020) pour réinvestir cette argent dans un fond de solidarité à destination de leurs collaborateurs les plus vulnérables. De nombreuses entreprises ont recours à ces fonds de solidarité à destination de leurs collaborateurs, c’est aussi le cas, par exemple, du groupe EDF qui débloque 2 millions d’euros à cet effet.
Situation aux États-Unis
Les États-Unis sont devenus le premier foyer pandémique avec une progression fulgurante du nombre d’infectés et du nombre de décès. Les signaux sont inquiétants avec des gouverneurs Républicains qui se refusent à instaurer des mesures d’urgence pour ne pas impacter l’économie. Pourtant, avec un nombre record d’inscription au chômage ces deux dernières semaines, la situation économique est déjà dégradée (+ 3,3 millions semaine 13 ; + 6,6 millions semaine 14). La FED a estimé dans un rapport que 47 millions d’emplois étaient menacés dans les prochaines semaines. Elle a projeté pour le dernier trimestre 2020 un taux de chômage à 32,1% (contre 3,5% en Février).

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