Par Antoine CRÉTIEN
Éléments de réflexion nationale et internationale sur le devenir des sociétés humaines
Directeur de publication : Thomas Meszaros
Responsable scientifique : Jean-Luc Lautier
Dans un nouveau format, cette veille thématique, résolument internationale, a pour objectif de mettre en lumière les signaux de sortie de crise, les espoirs et les solidarités nouvelles.
Elle se propose également de relayer des liens culturels ou distractifs permettant de mieux vivre le confinement. Notre équipe a décidé d’arrêter les décomptes sanitaires pour se concentrer sur l’observation des courbes et des tendances, qui figurent mieux les stades épidémiques que les simples décomptes de personnes infectées, décédées ou guéries.
1. Situation mondiale et réflexions internationales
1.1. Un monde archipélagique : entre solidarité globale et égoïsmes nationaux
L’expression de « monde archipélagique » est tirée de l’analyse L’année du Rat. Conséquences stratégiques de la crise du coronavirus de Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique :
« Si l’on reprend les trois futurs possibles pour le monde proposés par la communauté du renseignement américaine en 2017 (Global Trends 2035), celui des « Archipels » (monde fragmenté) semble plus probable que ceux des « Orbites » (compétition de puissances) ou des « Communautés » (prévalence de la coopération dans un monde hyper-connecté). »
Cette semaine, la Chine a été en première ligne des critiques internationales. Il est désormais établi, et prouvé, que la Chine a menti. À sa population, aux instances internationales et aux autres États. Ce biais informationnel est pour beaucoup responsable de la gravité inédite de la crise que nous traversons. Pendant plus d’une semaine, alors que les autorités étaient averties de la gravité du virus, le régime a préparé sa réponse dans le secret, sans communiquer à personne ses découvertes essentielles. Elle a ensuite fait pression sur l’OMS pour que l’Institution retarde la déclaration d’épidémie puis de pandémie. Plusieurs responsables et médecins témoignent : il faudra dorénavant repenser la place de la Chine dans notre géopolitique et notre géostratégie mondiale :
« L’organisation n’a pas fait la moindre enquête ni même une esquisse de vérification : elle a fait une confiance aveugle et totale aux informations données par la Chine. Et dans cette attitude de naïveté complice de l’OMS envers la Chine, elle s’est dramatiquement fourvoyée en affirmant de façon incompétente et inconséquente que le nouveau coronavirus n’était pas transmissible de façon interhumaine directe, mais seulement de l’animal à l’homme. La Chine semble avoir téléguidé l’OMS comme s’il s’agissait d’un appareil à ses ordres »
Stéphane Gayet, médecin au CHRU de Strasbourg, infectiologue
« Des documents officiels chinois révélés mercredi par Associated Press (AP) permettent de comprendre un peu mieux ce qui s’est passé dans le pays d’où le virus est parti avant de s’étendre au reste de la planète. Selon ces documents, Pékin a mis six jours à alerter ses citoyens, alors que les responsables sanitaires étaient conscients de la crise en cours »
François Bougon, Les silences coupables de la Chine, Médiapart, le 16 Avril 2020
« Rien ne sera – rien ne pourra – plus être comme avant avec la Chine, lorsque cette pandémie aura été domptée, car ce pays ne s’est pas montré à la hauteur de ses responsabilités de puissance mondiale »
Michel Santi, économiste
L’Ambassadeur de Chine en France a par ailleurs été convoqué par le Ministre Jean-Yves Le Drian qui a manifesté sa profonde indignation, après un long texte publié par l’Ambassade de Chine qui expliquait notamment que « les personnels soignants des EHPADs ont abandonné leurs postes du jour au lendemain, ont déserté collectivement, laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie ». Ce texte, à retrouver ici, témoigne bel et bien que la RPC est en train de réécrire l’histoire du virus à son avantage.
« Certaines prises de position publiques récentes de représentants de l’ambassade de Chine en France ne sont pas conformes à la qualité de la relation bilatérale entre nos deux pays »
Jean-Yves Le Drian, communiqué public
« Ne soyons pas naïfs au point de dire que la Chine a été meilleure que nous. Des choses se sont produites que nous ne savons pas »
Emmanuel Macron au Financial Times
Dans le monde, les réseaux informels, mafieux et criminels, se mobilisent également pour soutenir les populations et s’attacher leur fidélité ou leur obéissance. C’est le cas au Mexique où les cartels distribuent de l’aide alimentaire aux plus démunis, mais aussi en Italie, où la mafia soutient financièrement les plus démunis, annule leurs dettes ou leur offre une aide alimentaire. Une situation inquiétante pour le Maire de Naples qui évoque une course : « s’ils arrivent en premier, nous risquons aussi une contagion criminelle. A Naples, mais aussi dans le reste de l’Italie ». Un article du HuffPost à retrouver ici.
En faveur des pays les plus démunis, les pays du G20 se sont engagés à suspendre une partie de la dette de 77 États fragiles : 14 milliards de dollars suspendus sur un total de 32 milliards pour une période de douze mois. Le directeur de la Banque Mondiale déclare qu’il faudra aller plus loin, vers une annulation pure et simple de cette dette.
1.2. Avancées technologiques, scientifiques et médicales
Les avancées médicales et scientifiques sont multiples, parfois désordonnées. Elles nécessiteraient pourtant une concertation globale afin de mutualiser les moyens et les avancées de la recherche. Les nouvelles tensions internationales entre la Chine, l’Europe et les États-Unis, ne laissent toutefois pas présager d’un front scientifique et technologique uni pour lutter contre cette pandémie. L’actualité scientifique de la semaine, grâce au magazine Science & Avenir, se résume ainsi :
Les patients atteints du virus seraient contagieux deux à trois jours avant l’apparition des premiers symptômesd’après une nouvelle étude chinoise.
Le CHU de Bordeaux lance un essai de traitement du Covid-19 en ambulatoire pour les plus de 65 ans. Près de mille patients seront ainsi traités à domicile selon quatre protocoles différents.
Des observations thaïlandaises laisseraient à penser que les morts pourraient rester contagieux quelques temps après le décès.
Grâce à plusieurs études chinoises, on est désormais sûr que le Covid-19 s’attaque aussi au cerveau : les zones périphériques et centrales du système nerveux sont concernées sur plus d’un tiers des patients.
Plus de 115 projets de vaccins sont aujourd’hui comptabilisés dans le monde, dont 73 sont déjà en phase préclinique. Cinq projets sont mêmes déjà en phase d’essai clinique.
La Haute Autorité de Santé (HAS) a publié ce 17 Avril un cahier des charges pour une production française de tests sérologiques, dont leur évaluation sera systématique, et confiée aux instituts Pasteur de Paris et de Lyon.
2. Situations régionales
2.1. En Asie
Face aux critiques, la Chine revoit ses bilans à la hausse, elle fait état cette semaine de 1290 morts supplémentaires non comptabilisés pour la ville de Wuhan, des personnes mortes à domicile pendant la pandémie. Avec désormais 4632 décès total dans le pays le bilan reste très faible comparé à celui des États européens et pose question. Certaines autorités étasuniennes ou dissidents chinois évoquent des bilans proches de 40 à 60 000 morts.
Pour la première fois en 40 ans, le PIB chinois a chuté de plus de 6,8% sur les trois premiers mois de 2020 en comparaison avec 2019. La tentation globale de relocaliser de nombreuses activités aujourd’hui établies en Chine inquiète les cadres du PCC. Et notamment le plan de Shinzo Abe, PM japonais, qui a engagé une réflexion stratégique avec les acteurs du patronat nippon pour rapatrier dans l’archipel de nombreuses activités aujourd’hui délocalisées en Chine.
La Banque asiatique de développement a quant à elle annoncé un plan de 20 milliards de dollars pour soutenir les économies de la zone Asie Pacifique. Elle estime par ailleurs que cette crise du coronavirus coûtera près de 4100 milliards de dollars à l’économie mondiale.
2.2. En Europe
La relocalisation des activités se pose, aussi, au niveau européen. En Allemagne, le groupe Bayer a annoncé relocaliser certaines de ses productions de médicaments, ainsi sa production de chloroquine. Car, selon son PDG : « il y a des indices permettant de penser que le Resochin, en laboratoire et dans les premiers essais cliniques, est capable de baisser la charge virale ». Dans le même temps, ce Vendredi, le Ministre fédéral allemand de la santé indique que le pays a réussi à maîtriser l’épidémie : « nous pouvons maintenant dire que cela a réussi, nous sommes passé d’une croissance dynamique à une croissance linéaire, les taux d’infection ont diminué de manière significative ». La politique précoce de tests massifs et la mobilisation du tissu industriel allemand ont pour beaucoup joué dans cette maîtrise de l’épidémie. Cet élément est notamment souligné par l’économiste Philippe Aghion.
« Les États européens doivent sortir du confinement de façon coordonnée »
Pourtant, les États commencent leurs politiques de déconfinement en ordre dispersé. L’Italie et l’Espagne mais aussi la Suisse, le Danemark, l’Autriche et les Pays-Bas ont assoupli récemment leurs mesures de restrictions sociales ou s’apprêtent à le faire. Un point sur ces mesures est disponible ici. La France restera confinée au moins jusqu’au 11 Mai, la Belgique poursuit également dans la voie du confinement, idem en Grande-Bretagne, pour au moins trois semaines de plus.
2.3. Aux Amériques
Aux États-Unis le bilan humain continue de s’alourdir sévèrement, mais c’est avant tout l’effondrement économique potentiel qui inquiète la Maison Blanche. Le Président Donald Trump a demandé aux Gouverneurs des États de faire repartir l’économie, sous certaines conditions, et de rouvrir certaines activités productives. D’autre part, en conséquence des accusations visant la complaisance de l’OMS vis-à-vis de la Chine, le Président a décidé de suspendre les financements étasuniens de l’OMS : c’est près de 50% du budget de l’Organisation qui feront donc défaut à l’avenir. Les États-Unis semblent prendre au sérieux l’hypothèse selon laquelle le Covid-19 serait échappé involontairement d’un laboratoire chinois. Mike Pompeo a annoncé une enquête.
3. La France en crise
3.1. Point de situation général
Le nombre de cas hospitalisés et de patients en réanimation continue de diminuer en France. « La circulation du virus se stabilise à un niveau élevé » indique le Ministère de la santé, qui n’évoque donc pas un pic, avec une retombée rapide, mais une situation de plateau qui continuera d’impliquer des tensions dans les établissements de santé d’IDF ou du Grand Est. L’Académie de médecine française a publié un long communiqué où elle appelle à une méthodologie de déconfinement respectueuse de l’humain. Ce texte est à retrouver ici. Les graphiques proposés ci-après sont issus du Monde, qui réalise, chaque jour, un suivi graphique de la situation en France à partir des données de SPF.
Situation au 17 Avril – Chiffres cumulés depuis le 9 Mars
3.2. Les débats et perspectives autour du déconfinement
Appréhender le déconfinement ne veut pas seulement dire penser le reste de l’année 2020 au prisme d’un potentiel sursaut épidémique. Au contraire, penser le déconfinement impose une réflexion large, inclusive, globale, sur ce que notre pays pourra et devra faire pour affronter plus efficacement les défis du XXIe siècle. Les chantiers sont nombreux ; ils concernent l’économie, la fiscalité, le souverainisme, l’intégration européenne, les solidarités et l’inclusion sociale. Ils doivent aujourd’hui plus que jamais s’inscrire dans une vaste entreprise nationale et européenne destinée à construire une résilience de masse, pour faire face aux crises sanitaires, écologiques et sociales qui fracturent déjà nos sociétés et qui seront, à l’avenir, de plus en plus prégnantes.
« Nous sommes à un moment de vérité qui consiste à savoir si l’UE est un projet politique ou un projet de marché uniquement. Moi, je pense que c’est un projet politique »
Emmanuel Macron
Plusieurs experts et universitaires apportent leur concours à cet effort de réflexion national qui doit, dans les semaines à venir, devenir de plus en plus inclusif. Cet effort d’inclusion est porté par des politiques, des associations, des ONG, des syndicats ; nous en avons cité plusieurs, ces dernières semaines. Mais face à la défiance des gouvernés pour leurs gouvernants, ce nouveau grand débat doit s’alimenter d’expertises et ne pas laisser place aux fausses informations ni à la vindicte publique. L’effort de reconstruction doit être national, il doit savoir, aussi, juger et pointer les responsabilités de chacun, mais en toute impartialité.
« On dira que l’origine de cette crise est liée à un dérèglement écologique, et l’on n’aura pas tort. C’est probablement dans des conditions insalubres que ce coronavirus est passé de la chauve-souris à l’homme ; et on pourra rappeler que les circuits alimentaires mal conçus, les élevages intensifs, la pollution et par-dessus tout les voyages de masse favorisent le déclenchement et la propagation des pandémies. Et que nous devons devenir plus vertueux sur tous ces points »
Cédric Villani, mathématicien, député de l’Essonne
Car l’effondrement de l’État que certains constatent, n’est que relatif. Et la situation qu’il affronte aujourd’hui est le résultat de nombreuses années de défiance vis-à-vis de l’action publique, qui ont conduit à déconstruire complètement le modèle de l’État stratège. Aujourd’hui, il s’agit de repenser cette situation. Plusieurs économistes ont pointé, ces dernières semaines, la nécessité de reconstruire une souveraineté sanitaire nationale ; certains pointent du doigt, aussi, le déclassement de la France sur ces vingt dernières années. Mais ils plaident, aussi, pour une meilleure coordination européenne et une réponse commune sans laquelle les efforts nationaux seraient désespérément vains. Cédric Durand, de l’EHESS, plaide ainsi pour une « mutation de l’économie ». Rappelons que toute crise est vectrice d’opportunités, au-delà de la sidération et des désastres qu’elle comporte.
Deux dossiers parus cette semaine insistent sur la nécessité de reconstruire, aussi, une souveraineté alimentaire et agricole, afin de se prémunir des risques de pénurie mondiale, et de ne plus travailler dans les chaînes agro-alimentaires en flux tendu, comme c’est souvent le cas aujourd’hui. Courier International & Télérama font le point.
Le déconfinement est déjà programmé en Nouvelle-Calédonie. À partir du 20 Avril, les habitants pourront de nouveaux sortir et se déplacer librement, tandis que l’ensemble des activités économiques seront rouvertes. Un point de situation sanitaire d’évaluation est prévu pour le 3 Mai. Ce territoire autonome, disposant de la pleine compétence sanitaire, n’a recensé que 18 cas, tous importés, et aucun nouveau cas depuis 12 jours.
3.3. Mieux vivre le confinement : quelques pistes et réflexions
Après le discours du Président, le confinement est donc parti pour durer au moins jusqu’au 11 Mai. Les récits, la lecture, la réflexion, sont parfois de précieux secours pour ces temps difficiles, dans nos « vies repliées sur la contemplation voluptueuse du moi » comme le décrivait Emmanuel Mounier en 1946. Lise Wajeman, professeur de Littérature à l’Université d’Aix Marseille, nous propose de relire Les Métamorphoses d’Ovide, au prisme de cette question : « Quand des humains meurent terrassés par une épidémie, faut-il s’abandonner à la tristesse du deuil ou se consoler en pensant le mouvement de la vie ? ».
Bertrand Piccard, Psychiatre et explorateur, nous confies, grâce à Psychologies, ses 10 conseils pour vivre au mieux ces périodes d’enfermement forcé. L’acceptation de la réalité, la concentration sur le présent et l’oubli des décomptes sont, d’après lui, des clefs de la réussite.
Pour cette semaine, nous vous proposons de retrouver le fond gigantesque de la Bibliothèque numérique mondiale de l’Unesco, accessible gratuitement depuis peu : https://www.wdl.org/fr/; et toujours la sélection de la Fondation Robert Schuman sur l’Europe de la Culture, au programme entre autres, une visite virtuelle du palais des Sforza ou un accès aux concerts de la Philharmonie de Varsovie.
Pour approfondir les thèmes d’actualité, une sélection d’articles et de réflexion :
Dominique Kerouendan, « Comment la santé est devenue un enjeu géopolitique », Le Monde Diplomatique, 15 Avril 2020 : « Une réforme en profondeur des modes de financement et d’élaboration des programmes s’impose : en 2013 déjà, Dominique Kerouedan, professeure au Collège de France, pointait les influences des États, des laboratoires, des fondations privées et leurs conséquences sur les traitements »
Sonia Sahn, « Contre les pandémies, l’écologie », Le Monde Diplomatique, 17 Mars 2020 : « La destruction des habitats menace d’extinction quantité d’espèces, parmi lesquelles des plantes médicinales et des animaux sur lesquels notre pharmacopée a toujours reposé. Quant à celles qui survivent, elles n’ont d’autre choix que de se rabattre sur les portions d’habitat réduites que leur laissent les implantations humaines. Il en résulte une probabilité accrue de contacts proches et répétés avec l’homme, lesquels permettent aux microbes de passer dans notre corps, où, de bénins, ils deviennent des agents pathogènes meurtriers »
John Lieckfield, « En France, une crise qui risque de profiter aux extrêmes », Courier International, 15 Avril 2020 : « En fait, les gens étant confinés chez eux, ils dépendent davantage d’Internet et se sentent plus vulnérables que jamais, et on court bel et bien le risque que la colère et la peur croissantes ne finissent par attiser les flammes de l’incendie populiste »
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