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Veille PFUE: quelle crédibilité de l'adhésion du Royaume-Uni au projet de défense de la PFUE?

Par Lou ROCCA

Directeur de publication: Thomas MEZSAROS

Responsable pédagogique: Fabien DESPINASSE, Julie DUNOUHAUD


Introduction:


La spécialiste des politiques étrangères et de défense en Europe (notamment de la France et du Royaume Uni) Alice Pannier considère qu’ «une coopération franco-britannique approfondie est indispensable à la sécurité des deux États et plus généralement à celle du continent » (1). En effet, la coopération en matière de défense de ces deux États n’est pas nouvelle, ce qui fait du voisin outre-manche un allié indispensable au projet de défense européenne portée par la France durant cette PFUE. Un projet de défense qui doit permettre, selon les dires d’Emmanuel Macron, de développer une « capacité autonome de l’Europe, en complément de l’OTAN » (2). Ce dessein stratégique nécessite donc le renforcement de certains partenariats, en tête desquels celui avec l’unique autre puissance nucléaire du continent. Si le Traité de Londres (aussi appelé le Traité de Lancaster) de 2010 engageait un peu plus ces deux États sur la voie de la coopération militaire, l’Europe de la défense, telle qu’imaginée par E. Macron depuis 2017, nécessiterait un niveau supérieur d’interopérabilité, à la fois militaire et politique. E. Macron s’exprimait ainsi en 2018 : « La France veut maintenir une relation forte et privilégiée avec Londres, mais pas au prix de la dissolution de l’Union Européenne. » (3). Cette intervention traduisait la dialectique présente entre une nécessité pragmatique pour la France de conserver, voire d’approfondir sa relation avec le Royaume-Uni tout en ne mettant pas en péril les mécanismes de coopération de l’Union Européenne. Le Brexit a sans aucun doute ajouté de la complexité dans le maintien et la mise en place de nouveaux partenariats avec Londres. Cependant, le Brexit, acté le 31 janvier 2020, n’a pas constitué une rupture dans la politique étrangère britannique et pourrait même être perçu comme une marque de continuité. En définitive, de nombreux éléments rendent le ralliement du Royaume-Uni au projet de défense européenne français incertain, bien qu’il soit nécessaire. La Spending Review de 2020 annonce en effet l’ajout de 6 milliards de livres sterling par an au budget de la défense (4) (à titre de comparaison, la Loi de Programmation Militaire française 2019-2025 prévoit une augmentation d’environ 7.4 milliards d’euros annuels (5)). Le partenariat avec le Royaume-Uni est donc nécessaire à la crédibilité du projet de défense autonome de l’Europe porté par la France.

Quelle est alors la crédibilité de ce projet porté par la PFUE ?


I. Un partenariat difficile à mettre en place et pourtant nécessaire à l’entreprise de défense de la PFUE

1. La présence de points de similitudes entre les modèles politiques portés par les protagonistes


La chercheuse à l’Institut Français des Relations Internationales Alice Pannier considère qu’il existe des « perspectives et cultures stratégiques semblables » (1) entre la France et le Royaume-Uni. Une lecture macro du document de doctrine de défense britannique (Global Britain de mars 2021) (6) et du Discours de la Sorbonne prononcé par E. Macron en 2017 (2) sur sa stratégie pour l’Europe permet d’avoir une vision globale de leurs priorités. Ces dernières sont assez similaires et concernent : la défense/sécurité, la souveraineté nationale, le dérèglement climatique, le terrorisme, le numérique et les nouvelles technologies, les nouveaux domaines stratégiques du cyber et de l’espace et enfin la reconfiguration géopolitique du monde.

Un regroupement sommaire de ces thématiques avec le positionnement de ces protagonistes donne le tableau suivant :





Plusieurs enseignements sont à tirer de ce tableau. Tout d’abord, la souveraineté nationale est au cœur de l’action des États. Le Général de Gaulle en avait fait sa boussole et voyait dans la Ve République un régime de souveraineté restaurée (7). S’il avait « une certaine idée de la France », il en est de même pour de nombreux hommes politiques britanniques. Lord Palmestron, deux fois Premier Ministre, s’exprimait ainsi devant la chambre des Communes en 1848 : « Nous n’avons ni alliés éternels, ni ennemis perpétuels. Nos intérêts, à l’inverse, le sont. Il est de notre devoir de les suivre. » (8). Par ailleurs, la France et le Royaume-Uni sont des démocraties libérales relativement similaires sur le plan de leur régime politique. Enfin, c’est l’appréciation globale de la géopolitique mondiale à la fois par la France et par le Royaume-Uni qui rend compte des complémentarités possibles de leur politique de défense et fait du voisin outre-manche de la France un partenaire de premier choix. Au-delà de ces capacités militaires certaines ou encore de son poids à l’international, il s’agit pour la France d’un allié qui lui ressemble.


Il ne faut cependant pas tomber dans une classification simpliste qui les regrouperait sous l’étiquette de « pays occidentaux ». Par ailleurs, ces similarités superficielles peuvent mener à deux difficultés pour la France dans sa volonté de rallier l’Angleterre à son projet de défense:

  1. Deux modèles trop similaires pourraient entrer en compétition pour le leadership européen.

  2. Ces similarités apparentes sont balayées par une réflexion plus fine, qui axerait l’analyse directement sur leur politique de défense.


2. Le désaccordage des boussoles stratégiques française et anglaise


Une analyse plus fine des stratégies de défense anglaise et française pourrait apporter des clés de compréhension du niveau de compatibilité de ces deux partenaires. La réflexion se base alors sur une comparaison des points essentiels de la Revue Stratégique de Défense et de Sécurité française, paru en 2017 (9) et actualisée en 2021, et de ceux du Global Britain. À nouveau, la liste des priorités ainsi relevées n’est pas exhaustive :



La France et le Royaume-Uni ont donc des stratégies de défense différentes. Si l’on considère à nouveau la souveraineté nationale, on s’aperçoit ici qu’en matière de défense, la vision des deux États est assez ambivalente. Elle se retrouve bien à la base de chacune de leurs décisions. Cependant, pour le Royaume-Uni, la souveraineté nationale est exclusivement assurée par la poursuite des intérêts britanniques, dans quelque domaine qu’il soit. C’est cette problématique qui a toujours dicté le comportement du pays et c’est cette même souveraineté nationale qui a été brandit comme justification du départ du pays de l’Union Européenne. Depuis 2017, E. Macron explique que la souveraineté nationale française doit passer par un renforcement de la souveraineté européenne. Alice Billon-Galland et Hans Kundnani considèrent ainsi que « les intérêts et les valeurs de la France sont mieux défendus et promus par une Europe unie et souveraine » (10).


Pour Stephen Wall, ancien diplomate britannique, cette dichotomie s’explique déjà par la géographie du Royaume-Uni : « la survie et l’autonomie des îles Britanniques dépendent de leur contrôle de la mer et de leur accès aux ressources hors de leurs frontières. » (8). Le caractère insulaire du pays n’a pas seulement conditionné sa politique étrangère, mais c’est toute sa pensée stratégique qui découle de cette réalité topographique. En effet, de façon très pragmatique, le Royaume-Uni a pris conscience de la sécurité face aux invasions étrangères que lui offrait son statut d’île. On connaît son passé d’Empire colonial glorieux, qui a connu son apogée au début du XXe siècle et dont le Commonwealth reste encore aujourd’hui un vestige. Les britanniques n’ont en quelque sorte pas eu d’autre choix que celui des explorations et de la colonisation pour augmenter leur potentiel territorial. Ce processus d’expansion s’est fait de manière totalement unilatérale et le Commonwealth est aujourd’hui une façon pour le Royaume-Uni de garder un lien privilégié avec ses anciennes colonies. Cet héritage géographique peut en partie expliquer l’attachement profond de Royaume-Uni au bilatéralisme (ce qui ne l’empêche pas de prôner en même temps les bienfaits du multilatéralisme). Ainsi, la France devra trouver des arguments pour convaincre son allié historique. Elle devra rendre attractif son projet de défense européenne, notamment vis-à-vis de celui porté par le premier allié du Royaume-Uni, les Etats-Unis.


Finalement, on remarque que pour comprendre les véritables opportunités ou difficultés qui se dressent devant le projet de défense de la PFUE, il faut prendre en compte la doctrine de défense et de politique étrangère britannique. Ainsi, il convient de porter une attention toute particulière aux spécificités du pays: son parcours géopolitique, ses choix d’alliance, sa vision de l’ordre international. Le Royaume-Uni et la France ont des similitudes stratégiques et pourtant, ils n’ont pas emprunté le même chemin géopolitique. On remarquera en cela que le Brexit a constitué moins une rupture dans leur relation de défense qu’un élément la rendant plus nécessaire que jamais.

Ainsi, Alice Pannier résume : “Quand bien même ces risques viendraient à être évités, il est certain que le Brexit oppose deux visions politiques : l’une où le Royaume-Uni cherche à tracer une voie nationale (« Global Britain »), et l’autre où la France construit son intérêt et son avenir dans le cadre du projet d’intégration régionale au sein de l’UE.” (1)

Alors, quels sont concrètement les obstacles et les opportunités que la France pourrait exploiter pour renforcer son partenariat de défense avec le Royaume-Uni?


II. Des difficultés inhérentes à l’adhésion de RU dans le projet de défense PFUE

La marge de manœuvre pour une intégration du Royaume-Uni au projet de défense de la PFUE se trouverait davantage au niveau opérationnel, mais leurs divergences au niveau stratégique risquent de rendre le projet compliqué. Quelle crédibilité du projet de créer une “culture stratégique partagée entre européen” afin de poser les bases du projet de défense de la PFUE?


1. Un dessein politique radicalement différent comme obstacle au renforcement de leur partenariat


Pour penser le futur de la relation franco-britannique et surtout les degré possibles de coopération en matière de défense, il faut revenir sur l’héritage géopolitique de ces deux puissances qui peut expliquer par exemple le différent investissement des mécanismes d’intégration européenne. Pour Alice Pannier, “Ces deux choix politiques distincts vis-à-vis de l’intégration européenne ont exacerbé les différences historiques bien connues entre la France et le Royaume-Uni, qui avaient semblé moins prégnantes au cours de la décennie 2000.”(1).


Le Royaume –Uni, tout comme la France, sort vainqueur de la Seconde Guerre Mondiale. Il possède certains atouts qui vont le placer sur le premier rang de la scène internationale. Il conserve des relations fortes avec certaines de ces anciennes colonies, notamment via l’organisation du Commonwealth, mais il est également membre fondateur de l’OTAN en 1949 ainsi que de l’ONU en 1945. Il est membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ces caractéristiques peuvent être également associées à la France. Ce qui diffère avec l’allié britannique, c’est par exemple l’atlantisme qui devient après la création de l’OTAN un vecteur majeur de la politique étrangère britannique. (11) On sait qu’en France, le Général De Gaulle avait une profonde réticence vis-à-vis de l’ingérence, même tacite, des américains. Suite aux premiers essais nucléaires français en 1960, le président Kennedy avait tenté de séduire diplomatiquement le Général De Gaulle, très réticent vis-à-vis de son homologue. Le président français a continué à promouvoir le développement du programme nucléaire français malgré les inquiétudes des américains. En 1966, le Général De Gaulle décida de la sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN afin que la force nucléaire française conserve toute son indépendance et son autonomie.


Ce chemin géopolitique différent, illustré notamment dans le choix des britanniques de se tourner vers l’Atlantique Ouest plutôt que vers l’Europe est également visible dans l’analyse de la relation entre le Royaume-Uni et la construction européenne. Pour le gouvernement français (12), la réticence du Royaume-Uni vis-à-vis de cette dernière et son refus d’adhérer aux traités signés depuis les années 1980 repose sur son identité politique construite sur trois principes :

  1. opposition au continent

  2. souveraineté parlementaire

  3. union de quatre nations (Ecosse, Angleterre, Irlande du Nord et Pays de Galles)


La politique étrangère britannique reste fidèle à la stratégie des « trois cercles » de l’ancien Premier Ministre Winston Churchill datant de 1948 : en première position l’Empire, en deuxième position les Etats-Unis et en troisième position seulement l’Europe. Le gouvernement français va même jusqu’à considérer que « Les liens privilégiés avec les États-Unis sont d’ailleurs jugés incompatibles avec un approfondissement du lien européen. » (12)

En effet, le poids de la relation avec l’allié américain et ses conséquences sur un possible rapprochement politico-militaire avec l’Europe doit être pris en compte par la PFUE. La relation entre ces deux partenaires est historique. Il faut remonter jusqu’à la fin du XVIIIe siècle pour voir le premier signe de rapprochement entre la jeune nation américaine émancipée et son ancien empire colonial. Le traité de Londres du 19 novembre 1794 est vécu comme une trahison par les français car il confirme la reprise d’une relation commerciale entre les Etats-Unis, alors alliés de la France, et le Royaume-Uni, opposé à la France dans les guerres napoléoniennes. En matière de défense, le Royaume-Uni est allé assez loin dans la limitation de sa souveraineté nationale, à la faveur de son partenariat avec les Etats-Unis. Son armement stratégique est par exemple développé conjointement avec son allié américain, même si le Premier Ministre garde le contrôle final du feu nucléaire. Le texte stratégique de mars 2021 du Global Britain indique par exemple que le Royaume-Uni sera en capacité de répondre par le nucléaire dans le cadre de l’article 5 dans le cas d’une attaque d’un des membres de l’OTAN. On retrouve cette même affirmation dans le document de doctrine nucléaire américain (13). Emmanuel Macron n’a pas tenu de promesse de ce genre sur l’utilisation de l’arme nucléaire dans le cadre de l’OTAN lors de son discours devant la 27e promotion de l’École de Guerre de février 2020 (14). Pour Frédéric Mauro, chercheur à l’Institut Relations Internationales et Stratégiques, « La construction de l’armée britannique est intégrée à celle de l’armée américaine » (15) . Par ailleurs, le Royaume-Uni, dans le cadre de son partenariat « Five Eyes » avec les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, a accepté une coopération entre les services de renseignements. Récemment, l’alliance AUKUS (Australia, United Kingdom and United States) a également confirmé la relation militaire de confiance qui lie ces deux nations atlantiques.


Historiquement, la France s’est plutôt méfiée de ce partenariat de proximité. Sous l’impulsion du Général De Gaulle, elle s’était par exemple opposée à l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union Européenne en 1963 et 1967, y voyant l’incursion d’un « cheval de Troie américain » dans les affaires européennes. (11). Mais E. Macron, en 2017, parlait d’un « désengagement progressif et inéluctable des Etats-Unis (en Europe) » (2). Cette affirmation, déclamée après l’annonce du Royaume-Uni de sa volonté de sortir de l’Union Européenne (référendum de 2016) est peut-être le signe de la conviction du président français d’un rapprochement possible du Royaume-Uni avec l’Union Européenne, à la défaveur de son allié américain. La question est de savoir quelle a été la conséquence du Brexit sur la politique étrangère britannique. Alice Pannier considère que les hommes politiques britanniques considèrent plus que jamais l’OTAN comme garant de la sécurité de la zone nord-atlantique (1). Logiquement, on peut penser que la relation avec les Etats-Unis n’en sera que renforcée. Mais cela pourrait peut-être mener à un renforcement du partenariat bilatéral avec la France. En effet, le Royaume-Uni, qui a toujours été réticent au projet de défense européenne (cf son opposition à une Politique de Défense et de Sécurité Commune (PSDC) forte) reste malgré tout lié militairement par les traités de Londres de 2010 à son ultime partenaire européen de défense, la France.


2. Exploiter la voie du bilatéralisme : tentative de contournement du multilatéralisme européen


Anne Billon et Hans Kundnani pensent que la coopération entre le Royaume-Uni et la France pourrait se renforcer dans les prochaines années, partant d’un constat que les européens auraient tout intérêt à jouer un rôle plus grand dans leur propre sécurité (10). Cela tient notamment au fait que la compétition grandissante entre les Etats-Unis et la Chine, et l’on pourrait ajouter aux vues des évènements en Ukraine la remontée en puissance de la menace russe, rend plus incertain le rôle de protecteur de l’Europe endossé par les Etats-Unis. Cette vision stratégique partagée a été visible lors de la signature du Traité de Saint- Malo de 1998, considéré comme le point de départ de la PSDC (que le Royaume-Uni n’a que peu investit par la suite). Cependant, le grand traité de coopération militaire franco-britannique, celui de Lancaster, signé par les deux parties en 2010, ne se prononce pas sur la finalité de cette coopération européenne. Ce traité se concentre en fait sur le niveau opérationnel. Partenariat unique de défense et de sécurité (16), il témoigne de la relation d’alliance qui lie ces deux pays. Il pourrait ainsi être un levier exploitable par la France pour s’assurer de son lien avec le pouvoir britannique. En effet, en 2020, le 10e anniversaire de ce traité a été célébré dans un contexte international et stratégique bien différent. En soit, la survivance de ce traité montre un niveau de concordance opérationnel certain. Cela tient, selon la directrice générale des relations internationales et stratégiques au ministère des armées Alice Guitton dans le modèle des armées françaises et britanniques, toutes deux des armées dites « complètes ». On peut par exemple citer l’opération Hamilton, menée conjointement avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis en 2018 en Syrie contre le stock d’armes chimiques de Bachar al Assad (17). Mais la manifestation la plus concrète de cette capacité de coopération opérationnelle tient dans la mise en place de la Force expéditionnaire conjointe franco-britannique (Conjoint Joint Expeditionnary Force, CFEF en anglais). Cette force est destinée à être mobilisée dans des opérations bilatérales ou dans le cadre de coalitions internationales (18). Depuis 2020, la CJEF est opérationnelle et pourrait mobiliser jusqu’à 10 000 soldats. Pour Frédéric-Yves Gagnon, rédacteur au sein de la Revue de Défense Nationale, cette coopération renvoie à des ambitions politiques fortes. En effet, sa mise en place a nécessité la coopération des États-majors des deux pays et a donc participé à la rencontre, à la discussion et à l’apprentissage de méthodes et in fine de logiques de pensées stratégiques nationales.


L’interopérabilité des armées françaises et britanniques a donc particulièrement été renforcée par le Traité militaire de Londres de 2010 et la mise en opérabilité de la CJEF. L’ambition politique de la France, derrière cette ambitieuse coopération bilatérale serait de l’étendre au niveau européen.

La France a donc tout intérêt à investir pleinement les mécanismes bilatéraux existants pour garantir, dans un premier temps, son partenariat avec le Royaume-Uni. Quelques uns de ces partenariats peuvent ainsi être cités (de façon non exhaustive) :


- Initiative Européenne d’Intervention (19) : créé en 2018 sous impulsion française, cantonnée au domaine de l’opérationnel, elle a pour objectif d’aider à la formation d’une culture stratégique européenne. Sa création a été entérinée par la signature de neuf pays européens, dont le Royaume-Uni. Elle est le résultat de « l’Europe à plusieurs vitesses » prônée par E. Macron dès 2017 qui assumait les bienfaits d’une « avant-garde » (2) sensée catalyser ce projet de défense européenne.


- Les conséquences des sommets bilatéraux annuels (1): tradition depuis 1976, les dirigeants français et britanniques se réunissent tous les ans lors d’un sommet bilatéral. Celui de mars 2016 à Amiens a vu se consacrer la volonté bipartite d’accroître leur coopération en matière de renseignement, de lutte contre le terrorisme ou encore de la gestion des frontières. Par ailleurs, celui de janvier 2018 qui a eu lieu à Sandhurst a vu la création d’un Conseil Interministériel de la défense, censé se réunir trois fois par an.


- D-10 (20) : il s’agit d’une initiative diplomatique lancée par le Royaume-Uni qui pourrait réunir les démocraties du G7 ainsi que l’Inde, la Corée du Sud et l’Australie, afin de lancer une réflexion commune autour des normes régissant le fonctionnement de certaines technologies contemporaines. Cette initiative fait écho à celle de la France menée dans le cadre de l’ONU appelée « Alliance pour le multilatéralisme ». Deux initiatives semblables quoique distinctes qui montrent cependant le soutien que l’une et l’autre puissance pourrait s’apporter.




Conclusion :

Une coopération bilatérale opérationnelle durable et complexe est donc en place entre la France et le Royaume-Uni. Elle pourrait constituer une opportunité pour la France de rallier son allié britannique à sa stratégie européenne de défense. En effet, la multiplication des partenariats bilatéraux pourrait pousser le Royaume-Uni à concentrer davantage ses politiques de défense vers le continent, car, de façon pragmatique, sa sécurité intérieure dépendra en premier lieu de la sécurité du continent européen. Pour cela, la France doit faire prendre conscience qu’un tel partenariat étendu à d’autres puissances européennes est nécessaire à la sécurité du Royaume-Uni. La repolarisation actuelle du monde pourrait être l’occasion de redéfinir des zones de défense, et avec elle leur politique de défense et de sécurité. C’est en tout cas le projet que la France défend depuis 2017 et dont elle tente d’accélérer la mise en œuvre depuis le début de son mandat de PFUE et qui se termine la semaine prochaine. Si le partenariat britannique est absolument nécessaire à la France, il n’est certainement pas acquis à ce jour. Mais quelle est la crédibilité d’une défense européenne qui serait privée des ressources et des capacités du Royaume-Uni? Plus compliqué encore, quelle crédibilité donner à l’autonomie de la défense européenne si les Etats-Unis continuent à exercer une telle influence, même à minima sur la politique étrangère britannique ?


Le 17 juin dernier, Boris Johnson rendait à nouveau visite au président ukrainien à Kiev. Cette visite est intervenue le lendemain de celle de quatre dirigeants de l’Union Européenne. La déclaration du Premier Ministre a été celle de l’assurance de l’envoi de tout le matériel militaire nécessaire à l’Ukraine. Elle témoigne de la volonté du Royaume-Uni de montrer au monde et en premier lieu à ses ex partenaires européens sa capacité à mener seul sa politique étrangère. Le message politique est fort car cette politique d’aide à l’Ukraine, qui vise in fine à mettre un terme à l’invasion russe, concerne en fait la sécurité de l’Europe directement. La relation franco-britannique pourrait ainsi tomber dans une compétition pour le leadership en Europe où le Royaume-Uni serait directement soutenu par les États-Unis. La défense de l’Europe se trouve ainsi plus que jamais écartelée entre des préoccupations géostratégiques contradictoires.



 

(1) PANNIER Alice, « Par-delà le Brexit : une nécessaire relance de la coopération », Revue Défense Nationale, 2020/9 (N° 834), p. 50-55


(2) « Initiative pour l’Europe - Discours d’Emmanuel Macron pour une Europe souveraine, unie, démocratique. », elysee.fr, 26 septembre 2017.

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/09/26/initiative-pour-l-europe-discours-d-emmanuel-macron-pour-une-europe-souveraine-unie-democratique (consulté le 25 mai 2022).


(3) « Discours du Président de la République à la conférence des Ambassadeurs », elysee.fr, 27 août 2018.

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/08/27/discours-du-president-de-la-republique-a-la-conference-des-ambassadeurs (consulté le 20 juin 2022)


(4) « Spending Review 2020 », GOV.UK. https://www.gov.uk/government/publications/spending-review-2020-documents/spending-review-2020 (consulté le 21 juin 2022).


(5) « Budget de la défense : les étapes pour le porter à 2% du PIB », vie-publique.fr.

2-du-pib (consulté le 21 juin 2022).


(6) « Global Britain in a Competitive Age: the Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy », GOV.UK. https://www.gov.uk/government/publications/global-britain-in-a-competitive-age-the-integrated-review-of-security-defence-development-and-foreign-policy/global-britain-in-a-competitive-age-the-integrated-review-of-security-defence-development-and-foreign-policy (consulté le 19 juin 2022).


(7) « “Quelques réflexions sur la souveraineté selon de Gaulle”, par Arnaud Teyssier et Frédéric Fogacci », Fondation Charles de Gaulle, 13 septembre 2021.

selon-de-gaulle-par-arnaud-teyssier-et-frederic-fogacci/ (consulté le 21 juin 2022).


(8) WALL Stephen, BOULAIGUE Inès, « La politique étrangère britannique après le Brexit : la géographie, c’est le destin », Politique étrangère, 2020/4 (Hiver), p. 27-40. DOI : 10.3917/pe.204.0027.

https://www-cairn-info.ezscd.univ-lyon3.fr/revue-politique-etrangere-2020-4-page-27.htm


(9) « Revue stratégique de défense et de sécurité nationale - 2017 », vie-publique.fr. https://www.vie-publique.fr/rapport/36946-revue-strategique-de-defense-et-de-securite-nationale-2017 (consulté le 14 juin 2022).


(10) BILLON-GALLAND Alice, KUNDNANI Hans, « Sortir de l’impasse stratégique : coopération franco-britannique en matière de défense européenne », Revue Défense Nationale, 2020/9 (N° 834), p. 56-61. DOI : 10.3917/rdna.834.0056

https://www-cairn-info.ezscd.univ-lyon3.fr/revue-defense-nationale-2020-9-page-56.htm



(11) LAGANE Guillaume, « La politique étrangère du Royaume-Uni », Commentaire, 2010/3 (Numéro 131), p. 841-845. DOI : 10.3917/comm.131.0841.

https://www.cairn.info/revue-commentaire-2010-3-page-841.htm


(12) « 46 ans de relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni », vie-publique.fr. https://www.vie-publique.fr/eclairage/19375-46-ans-de-relations-entre-lunion-europeenne-et-le-royaume-uni (consulté le 22 juin 2022).


(13) « DOD Official Outlines U.S. Nuclear Deterrence Strategy », U.S. Department of Defense.

https://www.defense.gov/News/News-Stories/Article/Article/2334600/dod-official-outlines-us-nuclear-deterrence-strategy/ (consulté le 22 juin 2022).


(14) « Discours du Président Emmanuel Macron sur la stratégie de défense et de dissuasion devant les stagiaires de la 27ème promotion de l’école de guerre », elysee.fr, 7 février 2020.

https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/02/07/discours-du-president-emmanuel-macron-sur-la-strategie-de-defense-et-de-dissuasion-devant-les-stagiaires-de-la-27eme-promotion-de-lecole-de-guerre (consulté le 22 juin 2022).



(15) « Après le Brexit, une défense européenne affaiblie ou libérée ? », Le Monde.fr, 22 janvier 2021. Consulté le: 22 juin 2022. [En ligne]. Disponible sur: https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/22/apres-le-brexit-une-defense-europeenne-affaiblie-ou-liberee_6067167_3232.html


(16) GUITTON Alice, « Dixième anniversaire des traités de Lancaster House, 2 novembre 2020 », Revue Défense Nationale, 2020/9 (N° 834), p. 29-33. DOI : 10.3917/rdna.834.0029. https://www-cairn-info.ezscd.univ-lyon3.fr/revue-defense-nationale-2020-9-page-29.htm


(17) « L’opération Hamilton… démonstration stratégique et puissance aérienne ». https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article-cahier.php?carticle=87 (consulté le 22 juin 2022).


(18) GAGNON Frédéric-Yves, « La Force expéditionnaire conjointe franco-britannique (CJEF) : force opérationnelle et vecteur d’ambitions communes », Revue Défense Nationale, 2020/9 (N° 834), p. 34-37. DOI : 10.3917/rdna.834.0034.

https://www-cairn-info.ezscd.univ-lyon3.fr/revue-defense-nationale-2020-9-page-34.htm


(19) « L’Initiative européenne d’intervention (IEI) - European Security », https://european-security.com/, 27 juin 2018.

https://european-security.com/linitiative-europeenne-dintervention-iei/ (consulté le 7 juin 2022).


(20) E. B. Judah Ben, « Forget the G-7, Build the D-10 », Foreign Policy. https://foreignpolicy.com/2020/06/10/g7-d10-democracy-trump-europe/ (consulté le 22 juin 2022).


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