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Veille PFUE - « L’autonomie stratégique, clef de voûte de la PFUE »


Directeur de publication : Thomas MESZAROS

Responsable pédagogique : Fabien DESPINASSE, Chiara ALEXANDRE


Prolégomènes


L’Union Européenne, entité supranationale sui generis instituée par la signature du Traité de Maastricht (1992), est composée de sept institutions : le Parlement Européen, le Conseil Européen, le Conseil de l’Union Européenne, la Commission Européenne, la Cour de Justice de l’Union Européenne, la Banque Centrale Européenne et la Cour des Comptes [1]. Parmi celles-ci, seuls le Conseil Européen, la Commission, le Parlement et le Conseil de l’UE sont parties prenantes du processus décisionnel et jouissent de compétences qui leur sont propres.


Source : Toute l’Europe / Copyright : Toute l’Europe / Utilisation non commerciale / Lien de l’infographie : Les Institutions Européennes


Si les trois premières institutions désignent leur président, ce n’est pas le cas du Conseil de l’UE, qui, depuis sa fondation en 1951, est dirigé par le chef d’État d’un pays membre de l’Union. Composé des ministres des vingt-sept États Membres, ce Conseil se réunit principalement en formations, elles-mêmes dirigées par le ministre compétent de l’État président. Occupant une fonction essentiellement co-législative, le Conseil : se prononce sur les textes de loi, sur le budget, et peut adopter, modifier ou rejeter les propositions de directives ou de règlements préalablement amendées par le Parlement européen [2]. En outre, la période de présidence s’est considérablement raccourcie à la mesure des vagues successives d’élargissement de l’Union. De six États Membres à vingt-sept, la durée d’un mandat est passée de deux ans et demi à six mois, soit d’une présidence unique à une présidence tournante tripartite [3]. De fait, accéder à la présidence d’une telle institution constitue un enjeu de taille pour les chefs d’États.


C’est donc la France, dirigée par Emmanuel Macron, qui a pris la succession de la Slovénie, conduite par Janez Janša, à la tête du Conseil de l’UE le 1er janvier 2022. De fait, pendant son mandat, la France va présider neuf formations du Conseil de l’UE : les Affaires économiques et financières, la Justice et Affaires intérieures, l’Emploi, politique sociale, santé et consommateurs, la Compétitivité, le Transport et énergie, l’Agriculture et la pêche, l’Environnement, l’Éducation, la jeunesse, la culture et le sport [4]. Néanmoins l’exercice de cette fonction va être particulièrement délicat pour Emmanuel Macron – candidat à sa propre réélection – qui va devoir composer avec les exigences propres aux compétitions électorales et le conflit qui se déroule aux portes de l’Europe. Mais ce n’est qu’après son passage de témoin à la République Tchèque le 30 juin prochain et l’examen qu’il sera possible d’en juger.


Introduction


Intitulé « Relance, Puissance, Appartenance [5] », le programme de la PFUE semble en adéquation avec la vision du président français d’une Europe humaine, souveraine et autonome [6]. C’est sur ce dernier point, situé à l’intersection des différentes priorités françaises, que repose l’architecture du programme de la PFUE.


En effet, l’autonomie, soit la capacité d’être sans dépendre d’autrui [7], est envisagée par Emmanuel Macron sous l’angle stratégique. Définie par Olivier Zajec comme la capacité à créer et générer des moyens d’actions nous permettant d’agir par nous-même [8], l’autonomie stratégique, concept initialement introduit dans le Livre Blanc français de 1994 sous la présidence de François Mitterrand, s’épanouit progressivement à l’échelle européenne [9]. Si ce concept s’entend avant tout dans le domaine de la défense, il s’applique, également au domaine économique, cyber et spatial. Il s’agira ici de démontrer que la PFUE tente de faire progresser l’autonomie stratégique de l’UE. Par souci de clarté, il est nécessaire de préciser que l’examen qui suit s’attarde à la situation ex ante escalade russo-ukrainienne (24/02/2022), expliquant pourquoi l’emploi du futur a été préféré pour évoquer les évènements ex post.


I. L’autonomie stratégique dans le champ de la défense

1. La relation UE-OTAN, le berceau du concept d’autonomie stratégique


Source : Toute l’Europe / Copyright : Toute l’Europe / Utilisation non commerciale / Lien de l’infographie : La défense européenne et l’OTAN


Le concept d’autonomie stratégique, a, avant toutes déclinaisons, vu le jour en France en réaction à l’intensification des rapports UE-OTAN. Créée en 1949, l’Alliance transatlantique joue un rôle prépondérant dans la défense du territoire européen pendant la Guerre Froide face à son équivalent soviétique, le Pacte de Varsovie (1955). Mais, si cette dernière est dissoute en 1991 à la suite de la chute de l’URSS, l’OTAN va perdurer en changeant de paradigme. Comme l’explique Amélie Zima, spécialiste des pays de l’Europe de l’Est et de l’Alliance, « tout en restant une alliance défensive centrée sur l’Atlantique Nord et un acteur majeur de l’arène de sécurité européenne […], l’OTAN est également une organisation intervenant à l’échelle globale [10] », dans le cadre d’opération de maintien de la paix et de lutte contre le terrorisme. Ainsi les liens UE-OTAN sont particulièrement forts : sur 30 États Membres, 21 sont également membres de l’UE [11]. Ce sentiment est renforcé par l’existence de l’article 5 du Traité fondateur – qui introduit une clause de défense collective en cas d’attaque d’un État Membre – et par le partage d’une structure intégrée de commandement militaire.


Toutefois, certains voient d’un mauvais œil la relation transatlantique en matière de défense. C’est notamment le cas de Frédéric Mauro, chercheur à l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques, qui assimile la dépendance de l’UE à l’OTAN à un « protectorat américain [12] ». Cela s’explique par le fait que les États-Unis, principaux contributeurs financiers, règlent 70% des dépenses militaires de l’Alliance [13]. Mathématiquement, les vingt-neuf autres États contribuent à hauteur de 30% des dépenses militaires, alors que l’Europe reste le principal théâtre d’opérations. In fine, ce réel déséquilibre entre contributeurs et bénéficiaires – le burden sharing maintes fois évoqué – esquisse une dépendance de l’UE à l’OTAN en matière de défense. Ainsi, pour s’émanciper du patronage des États-Unis, l’UE –sous l’impulsion de la France – va devoir mettre en place une politique, un budget et une structure de défense, préfigurant les débats sur le concept d’autonomie stratégique qui seront détaillés ultérieurement.


2. La montée en puissance d’une volonté d’émancipation à l’échelle de l’UE


Le concept d’autonomie stratégique français gagne progressivement en visibilité au sein de l’UE. En effet, il apparaît officiellement dès 2013 dans la note de transmission récapitulant les conclusions du Conseil européen des 19 et 20 décembre. Dans celle-ci, ils affirment que « L’Europe doit disposer d’une base industrielle et technologique de défense (BITDE [14]) plus intégrée, plus durable, plus innovante et plus compétitive pour pouvoir assurer le développement et le soutien de ses capacités de défense, ce qui pourra aussi lui permettre d’accroître son autonomie stratégique et sa capacité à agir avec des partenaires [15] ». Ici, le renforcement de l’autonomie de l’Europe est considéré comme complémentaire avec les alliances comme l’OTAN, et non pas comme mutuellement excluables. Mais, en 2020, Josep Borrell – Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité –, affirme l’opposé. En précisant que « l’Europe doit aujourd’hui faire face, à sa périphérie, à un certain nombre de conflits ou de tensions, tant au Sahel qu’en Libye ou encore en Méditerranée orientale. Dans ces trois exemples, l’Europe doit agir davantage encore, et seule, car ces problèmes ne concernent pas les États-Unis au premier chef [16] », il soutient l’hypothèse d’un potentiel retrait américain et la nécessité pour les européens de s’y substituer. Il y a donc bel et bien eu une montée en puissance du concept à l’échelle de l’UE.


Toutefois, il serait erroné de croire que le concept d’autonomie stratégique fait consensus à l’échelle de l’UE. Regroupant des États très hétérogènes tant sur le plan économique, social, que politique [17], l’UE doit composer avec des membres aux intérêts parfois opposés, en particulier en matière de défense. En effet, l’intégralité des pays européens (à l’exception de la France), ne possèdent ni l’arme nucléaire ni de bouclier anti-missile, les rendant plus vulnérables en cas de conflit nucléaire [18]. Par ailleurs, certains États frontaliers de la Russie (Pologne, Pays Baltes) ne semblent pas favorables à un éloignement vis-à-vis des États-Unis, car ils voient dans l’OTAN un moyen de dissuasion supplémentaire à l’encontre de leurs voisins extérieurs [19]. Enfin, l’autonomie stratégique en matière de défense implique la création d’un dispositif collectif à l’échelle de l’UE (Politique de sécurité et de défense commune, Fonds européen de défense, Agence européenne de défense, Facilité européenne pour la paix…) auquel certains États ne souhaitent pas prendre part, comme le Danemark, Malte, l’Irlande [20]. Ces trois raisons constituent donc les principales pierres d’achoppement des négociations en vue d’une Europe de la Défense, sujet qui sera particulièrement débattu dans le cadre de la PFUE.


3. La boussole stratégique, volet majeur de la rencontre Brest


Le concept d’autonomie stratégique, et son corollaire, la boussole stratégique, – « sorte de ‘livre blanc’ visant à définir les grandes orientations de la sécurité et de la défense européenne jusqu’en 2030 » [21] –, sont bels et bien à l’ordre du jour de la PFUE. Elle a notamment été le principal sujet de discussion des rencontres ministérielles – regroupant les ministres de la Défense et les ministres des Affaires étrangères des vingt-sept États-Membres – à Brest du 12 au 14 janvier 2022.


Présentée les 15 et 16 novembre 2021, celle-ci fait suite, selon Josep Borrell à « l’analyse des menaces globales [montrant] clairement que l’Europe est en danger [22] ». En effet, depuis 2016 – date à laquelle est sortie la dernière feuille de route de l’UE en la matière –, le monde a considérablement évolué : déclin démographique de l’UE, recul de son poids économique, perte d’influence à l’Est du continent, hausse des attaques envers ses intérêts… Selon le chef de la diplomatie européenne, l’UE ferait donc face à un risque de « rétrécissement stratégique » rendant essentiel la formulation d’une nouvelle feuille de route. De fait, la boussole stratégique articule quatre piliers.

  • Le premier, celui de la gestion de crise, prévoit la création d’une « capacité de déploiement rapide de l’Union européenne » de 5000 militaires mobilisables selon les circonstances et agissant sous le drapeau européen.

  • Le second, celui de la résilience face aux menaces hybrides, souhaite la mise en place d’une « boîte à outils de l’UE » pour que les États membres puissent collectivement y faire face.

  • Le troisième, celui du développement des capacités, envisage « l’augmentation des investissements dans les industries militaires clés […] et dans les technologies disruptives »

  • Le dernier, celui du renforcement des partenariats, vise à approfondir les liens de l’UE avec l’OTAN, l’OSCE ou l’UA [23].


Ainsi, si à Brest « une ambition partagée de faire de ce [texte] un vrai document ambitieux [24] » a été constaté, les discussions se sont heurtées aux traditionnels obstacles en matière de politique de défense, sur fond de tensions aux frontières russo-ukrainiennes. Si depuis novembre 2021 Vladimir Poutine – Chef d’État de la Fédération de Russie – a massé plus de 100 000 soldats, le déclenchement de l’intervention en Ukraine a considérablement bouleversé les positions des États Membres de l’UE en matière de défense [25]. Il faudra cependant attendre les 24 et 25 mars 2022, date de l’adoption de la boussole stratégique à Bruxelles, pour en prendre la pleine mesure.


II. L’autonomie stratégique dans le champ économique

1. La crise du Covid-19, un accélérateur de la réindustrialisation stratégique européenne


Après formulation dans le champ de la défense et comme précisé en introduction, le concept d’autonomie stratégique se décline dans le domaine économique. Celui-ci va notamment prendre de l’ampleur avec la pandémie de Covid-19, qui, en mettant à l’arrêt les économies et le commerce à l’échelle mondiale a mis en lumière la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine et de la Russie [26]. En raison de l’interdépendance des économies induite par la mondialisation, les ruptures d’approvisionnement sur un maillon de la chaîne – matières premières, produits intermédiaires ou produits finis – peuvent être sources de vives tensions sur l’ensemble du marché. C’est par exemple le cas des semi-conducteurs ou des produits pharmaceutiques (gants, masques), majoritairement fabriqués en Asie de l’Est, dont les États Membres ont manqué au début de la pandémie [27]. Intrinsèquement, « l’ensemble des secteurs dont les chaînes d’approvisionnement vont au-delà des frontières européennes, et qui impliquent donc une vulnérabilité lorsqu’elles sont perturbées, ont un lien avec l’autonomie stratégique [28] ». Plus largement, en mai 2021, la Commission européenne a identifié 137 produits pour lesquels le marché européen est vulnérable en cas de dysfonctionnements. 34 d’entre eux ne peuvent être remplacés par un équivalent produit au sein du territoire européen [29]. Par conséquent, c’est la question de la réindustrialisation – soit la hausse de la part du secteur industriel dans le PIB – qui se pose ici. Celle-ci peut se traduire par la réimplantation de firmes sur le territoire européen et par le lancement de nouvelles activités.


Pour y répondre, l’UE a d’ores et déjà mené des actions concrètes visant à renforcer son autonomie stratégique : le lancement de projets industriels structurants à l’échelle européenne (batteries électriques, microélectronique, hydrogène) d’une part, et l’amélioration de la capacité de réponse à des crises via la création de l’Autorité européenne de préparation et de réaction aux crises sanitaires d’autre part [30]. Mais ces initiatives demeurent pour l’instant insuffisantes. C’est pourquoi les vingt-sept ministres de l’industrie, réunis à Lens du 31 janvier au 1er février 2022, ont évoqué la politique industrielle de l’UE, et notamment les activités des secteurs stratégiques. Les objectifs de la réunion étaient alors d’établir un plan visant à résorber les vulnérabilités stratégiques, à explorer les actions possibles qui passeraient par l’augmentation des capacités de production, et à aborder la question de la sécurisation des approvisionnements en matières premières [31]. Ainsi, « la réindustrialisation a cessé d'être une antienne nationale pour devenir une thématique formellement partagée en Europe [32] » rappelle Elie Cohen, économiste et directeur de recherche au CNRS. En faisant l’emphase sur cet enjeu, la PFUE affirme sa volonté de renforcer la capacité de résilience du marché unique face aux futures crises.


2. L’approvisionnement énergétique, entre diversification des partenaires et investissement dans les énergies renouvelables


L’autonomie stratégique en économie passe également par la diversification des partenaires sur le plan de l’approvisionnement énergétique. En effet, l’Europe, particulièrement vorace en énergies du fait de son modèle économique, n’est paradoxalement que faiblement dotée en énergies (gaz, pétrole). De fait, pour satisfaire la demande interne, l’UE importe 60,9% de sa consommation, s’exposant de facto à des risques de dépendance à ses voisins de l’Est et du Sud [33]. Ainsi, si en 2019 l’Estonie (4,8%), la Suède (30,2%) et la Roumanie (30,4%) enregistrait le taux de dépendance énergétique – soit la part d’énergie importée par rapport au total d’énergie consommée – le plus bas, il atteignait au contraire des taux très élevés pour Malte (97,2%), le Luxembourg (95,1%) et Chypre (92,8%) [34]. On souligne également, dans le cas du Danemark, des Pays-Bas, de la Lituanie, de la Pologne, de la République Tchèque, de l’Allemagne et de la Belgique une croissance du taux de dépendance, principalement en raison du tarissement de leurs ressources nationales. Les pays de l’UE sont donc principalement dépendant, dans le cas de l’approvisionnement en gaz naturel, de la Russie (40%), de la Norvège (18%) et de l’Algérie (11%), et, dans le cas du pétrole, de la Russie (29%), de l’Irak (8%) et de la Norvège (7%).


Source : Toute l'Europe / Copyright : Toute l’Europe / Utilisation non commerciale / Lien de l’infographie : La dépendance énergétique des pays de l’UE en 2019


Cette relation de dépendance a particulièrement été mise en exergue en 2021. En effet, en raison de l’hiver rigoureux, de la hausse de la pression sur les stocks d’énergies, et des tensions russo-ukrainiennes, les prix du gaz ont considérablement augmenté, impactant directement le coût de l’électricité et donc le pouvoir d’achat des ménages [35]. Cette thématique a notamment été abordée lors de la réunion ministres de l’Énergie à Amiens le 22 janvier 2022. Au cours de celle-ci, les ministres des vingt-sept ont évoqué trois points : les prix de l’énergie, l’efficacité énergétique et l’hydrogène. De ces échanges a principalement émergé une volonté « d’approfondir la solidarité mutuelle en termes de sécurité d'approvisionnement, […] d’assurer l'approvisionnement en gaz et de rechercher un usage optimisé des capacités européennes de stockage [36] ». Mais, si la diversification des fournisseurs d’énergie apparaît bien comme une solution, elle ne peut être envisagée seule, et doit impérativement s’accompagner par l’exploitation des énergies renouvelables et la réduction de la demande globale [37]. De plus amples discussions sur le sujet se tiendront le 27 juin, en fonction de l’évolution conjoncturelle qui souligne plus que jamais la nécessité pour le marché européen de rompre avec la dépendance énergétique.


III. L’autonomie stratégique dans le champ du cyber et du spatial

1. Les enjeux cyber : la gestion des données et la règlementation numérique


Le concept d’autonomie stratégique s’applique également dans le champ du cyber. Cependant, dans ce domaine un retard considérable est constaté : internet, utilisé de manière croissante depuis les années 2000, n’a commencé à faire l’objet des préoccupations de l’UE qu’après les retentissantes révélations de l’affaire Snowden (2013). Edward Snowden, ancien informaticien à la National Security Agency et à la Central Intelligence Agency, a révélé l’existence de plusieurs programmes de surveillance mondiale des civils. En exploitant des données numériques et à l’aide de systèmes d’écoutes, les États-Unis seraient parvenus à espionner plus de 100 000 individus, y compris des personnalités politiques de premier rang [38]. Cette rupture dans l’histoire cyber a mis en lumière à la fois l’importance de la collecte, de l’hébergement et de l’exploitation des données, mais également le retard abyssal qui sépare l’UE de son voisin américain.


De fait, plusieurs initiatives sont entreprises. En 2016, l’UE instaure le Règlement général sur la protection des données, qui impose le stock des données sur le territoire européen et oblige les sites internet à communiquer sur leur politique de collecte des données, en demandant l’acceptation ou non des cookies. En outre, la volonté de créer un cloud européen souverain – technologie immatérielle stockant et protégeant les données – s’inscrit également dans la prise de conscience de l’UE des enjeux que renferment les données. Ces deux initiatives traduisent également une volonté de s’émanciper de la tutelle américaine – qui domine l’ensemble du marché, à l’exception de la Chine – en contournant les lois extraterritoriales (Cloud Act et Foreign Intelligence Surveillance Act) qui permettent au gouvernement étatsunien d’accéder aux données collectées par les GAFAM [39] sans avoir besoin de l’accord des personnes à qui elles appartiennent.


Toutefois, si la protection des données est un enjeu de la PFUE, la réglementation du marché et des services numériques sont également à l’ordre du jour. En effet, Emmanuel Macron entend a minima « conclure un accord provisoire [40] » d’après Cédric O – secrétaire d’État français chargé de la transition numérique – et faire adopter deux textes présentés en décembre 2020 par la Commission européenne : le Digital Market Act et le Digital Services Act.

  • Le premier cherche à encadrer l’activité économique des grandes plateformes – les « contrôleurs d’accès » – qui sont accusées de rendre les entreprises et les consommateurs dépendants de leurs services et d’empêcher la concurrence d’autres sociétés [41].

  • Le second s’attaque, quant à lui, aux contenus (haineux, pédopornographique, apologie du terrorisme…) et produits illicites proposés en lignes, et concerne plus largement toutes les entreprises proposant des services intermédiaires (cloud, messageries, réseaux sociaux…) aux utilisateurs européens [42].

Les deux règlements, s’ils visent spécifiquement l’activité des GAFAM, cherchent également à renforcer la sécurité des utilisateurs et à favoriser l’émergence d’entreprises européennes sur le marché. Ils doivent, selon Stéphanie Yon-Courtin – députée européenne du groupe Renew – « mettre fin au Far West numérique [43] », et ainsi renforcer l’autonomie stratégique de l’UE dans le domaine cyber. Ces propositions seront au menu des rencontres entre les ministres compétents le 8 et 9 mars 2022.


2. Vers une réforme de la politique spatiale ?


Le concept d’autonomie stratégique se décline également dans le champ du spatial. À l’instar du domaine cyber, l’UE y enregistre également un retard, qui se traduit par exemple dans la dépendance aux lanceurs étrangers. En effet, l’UE est totalement dépendante des Américains (SpaceX), les seuls aux côtés des russes et chinois à pouvoir envoyer des astronautes dans l’espace. C’est notamment ce qu’explique Gaspard Schnitzler – spécialiste des questions de sécurité et d’armement –, pour qui « le lanceur moyen européen Ariane 6 d’ArianeGroup, en cours de développement pour le compte de l’Agence spatiale européenne (ESA), est déjà considéré comme « dépassé » et ce alors même qu’il ne devrait être opérationnel qu’au second trimestre 2022, soit avec deux années de retard [44] ». Le chercheur pointe du doigt une raison expliquant un tel retard : l’absence de possibilité de réutilisation des lanceurs, qui, de fait de son usage unique, empêche l’amortissement du coût de production et d’utilisation.


Mais si les technologies de lancement sont au cœur du concept d’autonomie stratégique de la PFUE, elles ne sont pas les seules. C’est ce dont atteste la réunion des ministres de l’Espace à Toulouse le 16 février. Au programme, plusieurs points sont affichés :

  • l’observation et les vols habités (et donc les technologies de lancement) ;

  • la création d’un réseau internet par satellite, afin « d’assurer des communications gouvernementales sécurisées, et une couverture de communications commerciales à l’échelle de l’UE et de l’Afrique [45] » ; 

  • la gestion des débris et la sécurité de l’espace, afin de « sauvegarder la pérennité à long terme des activités spatiales en veillant à ce que l’espace demeure un environnement sûr, sécurisé et viable [46] » ;

  • et les perspectives d’évolution du programme Copernicus, actuellement utilisé dans l’observation climatique [47].

Ces différents points sont essentiels dans pour octroyer une liberté d’action à l’UE dans le domaine spatial. C’est tout particulièrement le cas du programme Copernicus, dont l’un des enjeux est la réutilisation des données par les entreprises, les scientifiques et les entités publiques, à l’image des États. Par exemple, en Roumanie, les images satellitaires des Sentinelles de Copernicus sont employées par les autorités locales afin de surveiller et de réguler le trafic fluvial sur le Danube [48]. Il est donc possible d’imaginer que cette méthode d’utilisation des données des satellites pourrait être transposable dans le domaine de la défense, dans le cadre de planification tactique et opérationnelle. À travers cet exemple, il est donc particulièrement clair que l’autonomie stratégique en matière spatiale revêt une importance capitale.


Conclusion


Pour conclure, le concept d’autonomie stratégique, cher à Emmanuel Macron, infuse bel et bien les principaux thèmes du programme de la PFUE, dans le champ de la défense, de l’économie, du cyber et du spatial. Cette dynamique va d’autant plus être mise en exergue par le conflit russo-ukrainien qui, s’il perturbe le commerce international et met en lumière l’importance des enjeux cyber (guerre informationnelle, attaque de déni de service), représente surtout une menace directe pour l’UE, bouleversant le positionnement des États Membres à propos d’une défense collective.



POUR ALLER PLUS LOIN :


  • TOBELEM Boran, « La politique de sécurité et de défense commune (PSDC) », Toute l’Europe, 13/01/2022.

  • BRAML Josef, « Europe : la dépendance énergétique de la Russie, l’Amérique au secours ? », Revue Outre-Terre, vol. 4, n°41, 2014, pp. 355-361.

  • OLIVIER Arthur, « La politique spatiale européenne : histoire, objectifs, programmes », Toute l’Europe, 15/02/2022.


 

[1] LEQUEUX Vincent, « Les institutions européennes », Toute l’Europe, 17/02/2022, https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/les-institutions-europeennes/, page consultée le 12/02/2022.

[2] Opus cit.

[3] LEDROIT Valentin « Qu’est-ce que la PFUE, la présidence française du Conseil de l’Union Européenne ? », Toute l’Europe, 19/01/2022, https://www.touteleurope.eu/presidence-du-conseil-de-l-union-europeenne/qu-est-ce-que-la-pfue-la-presidence-francaise-du-conseil-de-l-union-europeenne/, page consultée le 12/03/2022.

[4] Opuc cit.

[5] Europe2022, « Introduction », Programme PFUE, décembre 2021.

[6] Opus cit.

[7]« Définition : autonomie », Dictionnaire Larousse, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/autonomie/6779, page consultée le 15/03/2022.

[8] Enseignant-chercheur - spécialisé en Sécurité et Défense - et directeur de l’IESD, « Cours n°3 : Le concept nucléaire dans la politique de défense française, objectifs, doctrines, moyens et controverse (1945-2019) », Politiques et Doctrines Nucléaires, Lyon III, mars 2022.

[9] LEFEBVRE Maxime, SIMON Édouard, « L’autonomie stratégique européenne, nouveau projet commun ? », Revue Internationale et Stratégique, n°122, été 2021, pp. 95-103.

[10] ZIMA Amélie, L’OTAN, Que sais-je ?, PUF, 2021, citation page 6.

[11] LEDROIT Valentin, LEQUEUX Vincent, TOBELEM Boran, « Le Topo #4 - UE ou Otan ? | D'où vient le budget ? | Présidente du Parlement », Toute l’Europe, https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-topo-4-ue-ou-otan-d-ou-vient-le-budget-presidente-du-parlement/, page consultée le 26/01/2022. Les États membres de l’UE n’ayant pas adhéré à l’OTAN sont : Chypre, l’Autriche, l’Irlande, Malte, la Suède et la Finlande.

[12] MAURO Frédéric, « Défense de l’Union Européenne : enfin une réalité ? », Revue Internationale et Stratégique, n°122, été 2021, pp. 83-94.

[13] Ibib note 11.

[14] C’est un sujet qui sera abordé lors d’une veille ultérieure.

[15] Secrétariat Général du Conseil, « Note de transmission : conclusions du Conseil européen du 19 et 20 décembre 2013 », Conseil Européen, 20/12/2013, citation page 8.

[16] BORRELL Josep, « Éditorial : pourquoi l’Europe doit-elle être stratégiquement autonome ? », IFRI, 11/12/2020, https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/leurope-etre-strategiquement-autonome, page consultée le 10/03/2022.

[17] BENHADA Asma, CROZET Matthieu, « Les défis de l’hétérogénéité de l’Union européenne », Regards Croisés sur l’Économique, vol.1, n°11, 2012, pp. 33 à 39.

[18] THOMANN Pierre-Emmanuel, « Cours n°4 : L’Europe à l’échelle mondiale », États et Mondialisation, Lyon III, novembre 2021.

[20] Ibid note 12.

[21] TOBELEM Boran, « Sécurité et défense : qu’est-ce que la boussole stratégique de l’Union européenne ? », Toute l’Europe, 10/01/2022, https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/securite-et-defense-quest-ce-que-la-boussole-strategique-de-lunion-europeenne/, page consultée le 10/03/2022.

[22]BORRELL Josep, « Tribune : une boussole stratégique pour l’Europe », Project Syndicate, 12/11/2021, https://www.project-syndicate.org/commentary/eu-strategic-compass-by-josep-borrell-2021-11/french, page consultée le 10/03/2022.

[23] Ibid note 21.

[24] OLIVIER Arthur, « Défense : l’autonomie stratégique européenne au menu des rencontres ministérielles à Brest », Toute l’Europe, 13/01/2022, https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/defense-lautonomie-strategique-europeenne-au-menu-des-rencontres-ministerielles-a-brest/, page consultée le 10/03/2022.

[25] GACON Julie, interview de ZIMA Amélie, « Enjeux Internationaux : l’OTAN est-elle vraiment en train de renforcer son flanc est ? », France Culture, 10/01/2022.

[26] Ibid note 16.

[27]« PFUE : réunion informelle des ministres en charge de l’industrie et du marché intérieur », Ministère de l’Économie des Finances et de la Relance, 31/01/2022, https://www.economie.gouv.fr/pfue-reunion-informelle-ministres-industrie-marche-interieur, page consultée le 10/03/2022.

[28] Ibid note 16.

[29] Commission Staff Working Document, “Strategic Dependencies and capacities”, European Commission, 5/05/2021.

[30] Opus cit.

[31] Ibid note 27.

[32] COHEN Élie, « La réindustrialisation par l’Europe ? », Vie Publique, https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/283530-la-reindustrialisation-par-leurope-par-elie-cohen, page consultée le 10/03/2022.

[33] GAILLARD Barthélémy, « La dépendance énergétique dans l’Union européenne », Toute l’Europe, 14/04/2021, https://www.touteleurope.eu/environnement/la-dependance-energetique-europeenne/, page consultée le 10/03/2022.

[34] Opus cit.

[35] LEDROIT Valentin, LEQUEUX Benoît, TOBELEM Boran, « Le Topo #6 - Électricité | Afrique | Conditionnalité », Toute l’Europe, https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-topo-6-electricite-afrique-conditionnalite/, page consultée le 10/03/2022.

[36] « PFUE : bilan des discussions entre les ministres européens de l’énergie », Ministère de la Transition Écologique, 22/01/2022, https://www.ecologie.gouv.fr/pfue-bilan-des-discussions-entre-ministres-europeens-lenergie, page consultée le 10/03/2022.

[37] BRAML Josef, « Europe : la dépendance énergétique de la Russie, l’Amérique au secours ? », Revue Outre-Terre, vol. 4, n°41, 2014, pp. 355-361.

[38] ROCHE Yvan, Cyberguerre, l’arme fatale, Infrarouge, 2016.

[39] Acronyme désignant : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

[40] LEQUEUX Vincent, « Numérique : que sont les DMA et le DSA, les projets européens de régulation internet », Toute l’Europe, 2/02/2022, https://www.touteleurope.eu/societe/numerique-que-sont-le-dma-et-le-dsa-les-projets-europeens-de-regulation-d-internet/, page consultée le 10/03/2022.

[41] Opus cit.

[42] Ibid note 40.

[43] LESUR Alexandra, « Stéphanie Yon-Courtin : ‘le règlement sur les marchés numériques (DMA) a pour objectif de mettre fin au Far West numérique’ », 20/01/2022, https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/video-stephanie-yon-courtin-le-reglement-sur-les-marches-numeriques-dma-a-pour-objectif-de-mettre-fin-au-far-west-numerique/, page consultée le 10/03/2022.

[44] SCHNITZLER Gaspard, « Le modèle SpaceX : quels défis industriels pour l’Europe », IRIS, 30/04/2021.

[45] CHAMOULAUD Raphaël, « A Toulouse, les Vingt-Sept réunis pour faire avancer la politique spatiale européenne », Toute l’Europe, 16/02/2022, https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/a-toulouse-les-vingt-sept-reunis-pour-faire-avancer-la-politique-spatiale-europeenne/, page consultée le 10/03/2022.

[46]Opus cit.

[47] OLIVIER Arthur, « Copernicus, le programme d’observation de la Terre », Toute l’Europe, 17/02/2022, https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/copernicus-le-programme-d-observation-de-la-terre/, page consultée le 10/03/2022.

[48] Opus cit.




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