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Veille hebdo Covid - Tensions internationales & réflexions sur le 'monde d'après'

Dernière mise à jour : 16 juin 2020

Directeur de publication : Thomas MESZAROS

Responsables pédagogiques : Jean-Luc LAUTIER & Antoine CRÉTIEN


I. Situation globale : à l’international


A. Un « nouveau monde » déjà sous tension

Cette semaine aura été marquée par le regain de tensions dans les relations internationales, particulièrement entre les États-Unis et la République Populaire de Chine (RPC). La Chine s’est dite au bord de la guerre froide avec les États-Unis mais est-ce vraiment le cas ? La puissance américaine s’était faite un peu plus discrète depuis 2008, on assiste à une posture presque isolationniste des États-Unis, qui restent dans les relations internationales uniquement à des fins médiatiques, et dont les Chinois souhaitent profiter. Cela ne semble donc pas être une opposition de deux modèles aussi marquée qu’entre URSS et États-Unis, mais de deux pôles en lutte pour l’influence mondiale comme l'explique Jean-Pierre Cabestan dans un entretien pour Le Point. Les Chinois souhaitent exporter leur modèle de politique extérieure, proposer des contrepoids à l’ingérence américain.


Que manque-t-il à la Chine pour avoir le même poids que les États-Unis dans les relations internationales ? Certainement pas le pouvoir économique (tant qu’elle reste l’atelier du monde), ni les infrastructures (l’intérieur du pays reste cependant isolé du littoral, et les routes de la soie sont loin d’être en place), ni les capacités industrielles. Ce qui lui manque, c’est le soft power. Dans le contexte actuel, le pays a une mauvaise image dans l’opinion publique mondiale, paraît autoritaire, menteur, son système politique et économique est unique au monde et donc mal compris. Son image souffrait déjà du traitement de Hong-Kong, la Chine remplaçait petit à petit la Russie dans le rôle du grand méchant loup pour l’occident.

La machine de communication chinoise continue alors son œuvre, en montrant sa volonté de coopération et sa bonne foi. Ces intentions sont en soit louables, mais reflètent surtout la peur de l’exécutif chinois de perdre la main et de se retrouver au ban de la gestion de la crise internationale, avec comme seul trace d’être celui par lequel le malheur est arrivé et qui n’a rien fait pour l’empêcher. Cette stratégie de communication lui permet de rester sur le devant de la scène. Aussi, elle apparaît comme un État moderne n’ayant rien à se reprocher, de minimiser les accusations qui lui sont portées et de détourner l’attention de Hong-Kong.

L’entretien de Jean-Maurice Ripert, ancien ambassadeur de France en Chine, avec Marianne est très intéressant pour comprendre un peu mieux le point de vue chinois et les troubles qui traversent son appareil étatique. Il ne faut pas croire que le régime est soutenu à 100% par sa population ou que son système fonctionne parfaitement à l’intérieur du pays.

« Ce n’est pas parce que la Chine est devenue une grande puissance que nous devons nous imaginer qu’elle est dotée d’un État efficace. »

Jean-Maurice Ripert, Ambassadeur de France en Chine


L’OMS a également traversé une semaine de turbulences. Les États-Unis (leur premier bailleur) ont commencé par menacer de quitter l'organisation qu'ils accusent de mal gérer la crise et d'être « une marionnette de la Chine ». Pour compenser l’éventuelle perte de financements et montrer son ouverture, l’OMS a annoncé créer sa fondation à financement privé.. Il s’agissait certainement d’un coup de pression des Américains pour forcer l’OMS à réagir et à enquêter sur la Chine. Cette manœuvre a fonctionné mais les États-Unis ont malgré tout annoncé leur départ de l’OMS.


Enfin, ce qui avait été le fil rouge de la Guerre Froide pourrait bien revenir dans un futur proche sur le devant de l’actualité : mercredi 27 mars devait avoir lieu le premier vol habité de SpaceX, hautement symbolique aux États-Unis cherchant à reprendre la main sur l’espace. En effet, depuis 2011, les astronautes états-uniens étaient dépendants de la Russie pour rejoindre l’ISS et mener des missions dans l’espace extra-atmosphérique. La réussite de SpaceX pourrait donc rouvrir la voie à l’indépendance américaine et à ses missions autonomes. Cela pourrait aussi lancer une nouvelle course à l’espace avec cette fois-ci 3 joueurs principaux : la Chine, les États-Unis et la Russie, sans parler des intérêts du privé. Si SpaceX arrive à faire partir et revenir des astronautes dans le même engin, cela permettrait théoriquement d’ouvrir des vols commerciaux privés.


B. Les avancées scientifiques et médicales dans la lutte mondiale contre le Covid-19

Ce que nous devons retenir cette semaine de l’actualité scientifique et des recherches médicales en cours :

  • Une immunité potentielle au Covid-19 : Selon une étude de l’Institut Pasteur et du CHU de Strasbourg une « très grande majorité », soit 98%, des patients atteints d’une forme mineure du Covid-19 développe des « anticorps neutralisants » pouvant les immuniser « pendant plusieurs semaines » contre la maladie. Le taux d’anticorps plus faible que celui des personnes atteintes de formes sévères de la maladie, reste « encourageant » et il s’agit d’une bonne nouvelle pour les futures stratégies vaccinales. L’objectif des scientifiques est désormais d’étudier la durée de l’activité neutralisante des anticorps.

  • Un laboratoire chinois sur la piste d’un vaccin : le laboratoire chinois Sinovac affirme que 144 volontaires se font injecter un vaccin dans le cadre de la seconde phase des essais cliniques. Weidong Yin, le directeur, affirme qu’aucun effet secondaire n’a été constaté et que l’étude se porte désormais sur son efficacité. Les essais devraient être achevés en décembre et le vaccin commercialisé en 2021.

  • Les études sur le remdesivir continuent : Cet antiviral, initialement développé dans la lutte contre le virus Ebola, fait partie des traitements envisagés contre le Covid-19. Une nouvelle étude financée par le NIAID s’intéresse au temps de guérison des patients. L’administration en intraveineuse permet ainsi de gagner quelques jours dans le processus de guérison. Ces résultats restent cependant incomplets et n’affirment en aucun cas que l’usage du médicament serait efficace pour diminuer le taux de mortalité.

Depuis le mois de mars, beaucoup d’espoirs portés publiquement par l’infectiologue Didier Raoult reposent sur l’hydroxychloroquine. Ce médicament, dérivé de la chloroquine est un antipaludéen pouvant être prescrit, en France par exemple, à titre dérogatoire en l’absence d’autre traitement, à titre compassionnel ou dans le cadre d’essais cliniques. Ce médicament est d’ailleurs communément prescrit en France sous le nom de Plaquénil pour lutter contre des maladies auto-immunes.

Une étude du Lancet, une des revues médicales les plus prestigieuses du monde, (que nous avions abordée dans la veille de la semaine dernière) a conclu qu’il existait un risque aggravé de mortalité ainsi que le développement d’arythmies cardiaques chez les patients atteints de Covid-19 traités avec ce médicament. Cette étude a mis en exergue l’inefficacité et les risques entraînés par ce traitement comme le soulignaient les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV). Le CRPV de Nice a relevé 148 effets indésirables cardiaques dont 98 notifiés comme grave.

L’OMS, à la suite de la publication du Lancet, a annoncé l’interruption temporaire des essais cliniques qu’elle mène avec ses partenaires sur la chloroquine ou son dérivé. De plus, cette décision peut apparaître chargée politiquement aux vues du conflit ouvert existant entre l’OMS et le Président américain adepte du traitement.

Cette étude du Lancet a été qualifiée de « foireuse » par le Professeur Raoult. En effet, de nombreux scientifiques à travers le monde ont émis des doutes sur l’origine et la transparence des données utilisées pour cette analyse. Ils soulignent, dans l’optique de la délégitimer, qu’elle est officiellement basée sur des data, c’est-à-dire sur un recueil de données. Les scientifiques du Lancet n’ont ainsi rencontré aucun patient. De plus, dans un entretien accordé à LCI, le Professeur Raoult insiste sur la pression colossale portée sur la recherche médicale : « les revues dans les périodes critiques sont, comme les journaux, moins crédibles dans les crises qu’en dehors des crises ».

II. Situation par région


A. États-Unis : une situation politique et sanitaire tragique

L’attitude et les propos du Président des États-Unis, Donald Trump, font une nouvelle fois scandale sur la scène internationale et nationale. Nous avons évoqué plus haut le conflit ouvert avec l’OMS.


Le Président américain, en pleine campagne présidentielle, a fait l’objet de vives critiques de la part de ses concitoyens. Le 24 mai, alors que les États-Unis s’apprêtaient à franchir le seuil des 100 000 morts du Covid-19, il a décidé d’aller jouer au golf. Il avait pourtant accusé à 27 reprises, le Président Obama de « jouer au golf trop fréquemment » notamment durant la crise du virus Ebola en 2014 qui avait contaminé 2 personnes sur le sol américain comme le rappelle le New York Times. De plus, lorsqu’il n’était pas « dans sa voiturette de golf, il envoyait des tweets incendiaires, relayant des théories du complot et des contenus racistes et sexistes, et s’attaquant à ses adversaires politiques », notamment le démocrate, Joe Biden.


La situation sanitaire aux États-Unis est pourtant désastreuse. Le pays a célébré le 25 mai le Memorial Day consacré à la mémoire des soldats morts à la guerre dans un contexte terrifiant puisque, comme l’a étudié le New York Times : « davantage d’Américains sont morts du Covid-19 dans les douze dernières semaines que lors de la guerre du Vietnam et de la guerre de Corée réunies ». Les pertes américaines dues au Covid-19 sont l’équivalent de « 22 guerres en Irak, de 41 guerres d’Afghanistan », ou encore de « 33 fois le bilan des attentats du 11 septembre 2001 et de 42 fois celui de l’attaque de Pearl Harbor ».


Donald Trump, une nouvelle fois, ne semble pas prendre la mesure de la situation sanitaire, appréciant cette crise en termes personnels et politiques. Dans l’optique d’une réélection, il a déclaré la guerre à la pandémie du Covid-19 sans s’interroger sur les fractures sanitaires et sociales ravageant le pays, comme le soulève le journal américain The Atlantic. Le peuple des États-Unis, reconnu pour son patriotisme historique au travers des évènements du 11 septembre 2001 par exemple, fait aujourd’hui preuve d’individualisme. Les nombreux regroupements « anti-confinement » avec à leurs têtes des hommes armés témoignent de l’échec d’une mobilisation générale de la population dans la lutte contre le Covid-19. Les inégalités du « système de santé » des États-Unis sont à nouveau mises en exergue dans ce contexte de crise. Toutefois, la stratégie de l’Administration Trump reste de donner la priorité à la relance de l’économie.

B. Deuxième vague et reprise en Asie

En Chine, la gestion de la deuxième vague se mêle à une actualité politique de plus en plus chargée. Les tensions avec les États-Unis continuent de monter, sur la base d’accusations réciproques à propos de l’origine du virus. Surtout, la reprise des manifestations à Hong-Kong (après une loi interdisant l’outrage à l’hymne chinois) a été aggravée par le projet de loi sécurité nationale. Cette loi réduirait encore un peu l’autonomie de la cité-état en élargissant les prérogatives de la Chine, en matière de police et de justice particulièrement. Les États-Unis profitent de cette situation pour faire pression sur Beijing en estimant que Hong-Kong n’est « plus un territoire autonome », et en menaçant sur ce fondement de retirer à Hong-Kong ses dérogations commerciales.

Sur le plan sanitaire, de nouveaux foyers de contamination émergent dans le nord du pays. Cette résurgence du virus (qui, de plus, semble avoir une forme différente) perturbe la communication du gouvernement central, et la crise laissera des traces indélébiles dans l'opinion chinoise. La vie n’a pas repris dans le pays comme si de rien n’était, et surtout, pour la première fois depuis Tiananmen, les chinois ont vu que leur gouvernement n’était pas infaillible. Cette première brèche en 30 ans créera peut-être un précédent et a ébranlé la confiance du peuple chinois en la capacité de ses dirigeants, sinon à se démocratiser, au moins à tenir le pays et son système.

Pour faire face à ces deux problématiques, le Ministère des affaires étrangères chinois a donc proposé de collaborer avec le reste du monde pour trouver l’origine du virus, si cela se fait « sans ingérence » et sans « propager de fausses rumeurs pour stigmatiser la Chine ».

Au Japon, le gouvernement métropolitain de Tokyo a révélé son plan de réouverture, un plan très minutieux et progressif. L’état d’urgence a été levé dans les préfectures où il était encore en vigueur (Tokyo, 3 préfectures de sa banlieue et Hokkaido). Même après la levée des restrictions, les déplacements ont peu augmenté dans les préfectures concernées, signe que la population reste vigilante. L’OMS a d’ailleurs félicité le Japon pour sa gestion de la crise, même si cette gestion réussie tient plus du comportement des Japonais que des mesures de leur gouvernement, comme nous l’avions évoqué dans la veille précédente.

Le gouvernement a aussi détaillé son calendrier de reprise de l’activité, l’économie ayant été durement touchée malgré tout et les perspectives restent peu encourageantes. Le calendrier de reprise est accompagné d’un plan de relance de 300 milliards de dollars. Le pays s’est aussi rapproché de l’UE pour créer un cadre international pour les médicaments et vaccins contre le virus, alors qu’il poursuit ses essais sur l’Avigan au moins jusqu’en juin. Le Premier ministre n’est d’ailleurs pas sûr de pouvoir participer physiquement au G7, son déplacement étant sujet à polémique : certains considèrent qu’il pourrait participer à distance pour se conformer comme le reste de la population à la limitation des déplacements non-obligatoires.

Enfin en Corée du Sud, le pays est entré dans la deuxième phase d’ouverture des écoles, de plus en plus d’élèves ont repris les cours. Le nombre de nouveaux cas est toujours faible et très localisé dans le quartier d’Itaewon ou des centres logistiques, pendant que la ville de Séoul détaille ses nouvelles directives.


C. Reprise progressive de l’activité en Europe et plans de relance

Après les annonces d’Angela Merkel et Emmanuel Macron, Ursula von der Leyen (Présidente de la Commission européenne) a dévoilé à son tour son plan d’aide à l’économie européenne à hauteur de 750 milliards d’euros. Si cette proposition est acceptée, il s’agirait du plus gros plan de relance de l’histoire de l’Union, et pourrait bien être le plus gros plan de relance au monde s’il se combine avec les mesures annoncées par la BCE et les autres déjà en place.

Ce plan n’est pas l’exact prolongement des mesures proposées la semaine dernière, il a été adapté pour faciliter la négociation avec les 27. Il ne s’agit pas exclusivement d’un plan de subventions, 250 milliards seront des prêts qui devront donc être remboursés. Le fonds de relance chargé de distribuer le total serait alimenté par des emprunts de la Commission au nom de l’UE, dont la charge de la dette serait ensuite répartie entre les Etats membres. L’Espagne et l’Italie seraient les principales bénéficiaires du plan, étant donné qu’elles ont été les plus durement touchées par la crise.

Ces 750 milliards s’ajoutent aux 540 milliards de mesures urgentes déjà mis en place par l’Union, et aux 1000 milliards que la BCE s’apprête à injecter dans le système financier. En ne comptant pas les 500 milliards proposés par Angela Merkel et Emmanuel Macron la semaine dernière, ce seraient donc près de 2300 milliards d’euros mis sur la table pour relancer l’économie par l’Europe des 27, soit quasiment un an de PIB français. A titre de comparaison, le plan de relance européen suite à la crise de 2008 était de 200 milliards, et celui des États-Unis déjà acté en mars 2020 de 1800 milliards.

Cette relance importante de l’économie semble nécessaire, premièrement pour limiter les dégâts, mais surtout sauver et réparer ce qui peut l’être, alors que logiquement les Européens se réfugient dans l’épargne en réponse à la crise. Les ménages ne peuvent ou ne veulent plus consommer, et préfèrent plutôt mettre de côté pour faire face aux troubles qui viennent. Nous le savions, l’économie est une affaire de climat et de signaux, l’Europe n’a pas d’autre choix que de se démener pour faire repartir son système et redonner confiance aux investisseurs et aux consommateurs. Il faudra voir comment les négociations entre les 27 vont se dérouler, et si toutes ces mesures ne vont pas se retrouver trop diluées. En tout cas, nombreux sont les observateurs qui saluent ces prises d’initiative et y voient le signe d’un nouveau départ pour l’Union. Cette crise aurait pu être son tombeau, va-t-elle devenir sa fontaine de jouvence ?

De façon générale en Europe, le déconfinement se poursuit et s’élargit peu à peu. Cependant certains pays, comme la Suède et les Pays-Bas ne l’ont pas imposé à leur population. Ils l’ont simplement recommandé, préférant en appeler à la responsabilité de chacun. en tout cas pour les Etats qui en avaient imposé un à leur population. Cette stratégie a visiblement été suffisante aux Pays-Bas, qui ont moins de mort que leurs voisins belges pour une population bien plus importante.

L’Allemagne a prolongé ses mesures de distanciation sociale jusqu’au 29 juin et a également de nouveaux tests efficaces et rapides. Nous pouvons aussi noter que les contestations contre les mesures restrictives se font de plus en plus nombreuses, alors même que le déconfinement avance. Ces manifestations sont surtout le fait de l’extrême droite, qui comme nous l’avions évoqué dans la veille précédente pourrait facilement tirer parti de cette crise. Enfin, le cas du Land de Thuringe crispe dans le pays. Les Länder sont autonomes dans les mesures locales de lutte contre l’épidémie, et devant le faible impact du virus dans la région, le Ministre-président de Thuringe envisage sérieusement de lever complètement toutes les mesures restrictives.

Le Royaume-Uni a annoncé une quatorzaine obligatoire pour les étrangers arrivant dans le pays à partir du 8 juin. Cette mesure suscite colère et consternation sur le plan national, mais aussi international. La France, comme de nombreux autres pays où l’épidémie est désormais contrôlée, espérait ne pas être concernée mais il n’en est visiblement rien. Cette mesure jette un froid sur les relations entre les deux États, la France répondant qu’elle se tenait prête à la réciprocité.

L’Italie continue de déconfiner (réouverture des salles de sport et des piscines, des bars et restaurants) tout en se préparant à la deuxième vague qui semble inéluctable. Le déconfinement ne concerne pas les écoles, qui restent fermées ; ce choix est à l’origine d’une série de manifestations qui réclament leur réouverture. Sur le plan économique, des voix s’élèvent contre l’accord d’une aide à Fiat, qui est un groupe d’origine italienne employant 50.000 personnes dans le pays, mais dont le siège social est aux Pays-Bas et le siège fiscal au Royaume-Uni. Sur le plan économique également, l'inquiétude grandit autour de la situation de communes au bord de l’asphyxie, qui pour certaines ne pensent pas pouvoir honorer leurs paiements au-delà de juillet.

En Espagne, la phase 2 du déconfinement a débuté, avec notamment la réouverture des bars et restaurants. Le Premier ministre a aussi annoncé la reprise du championnat de football à partir du 8 juin et promis l'accueil des touristes sans obstacle.

Dans de nombreux pays d’Europe occidentale (Allemagne, Espagne, France) nous pouvons assister à une montée des contestations post-confinement contre ce qui reste de mesures restrictives. La défiance est montée d’un cran contre les gouvernements pendant cette crise. La situation est plus avancée en Allemagne et Espagne, où il s’agit surtout de manifestations d’extrême droite. En France, la gestion de la crise est volontiers critiquée individuellement, mais peu de mouvements construisent une vraie contestation ou émettent des revendications. Nul doute cependant que la gestion de la crise ressortira dans les débats électoraux pour les échéances à venir, et ce dans tous les pays d’Europe. Le monde de demain et ses élections appartiendront certainement aux mouvements qui sauront tirer parti de cette crise, sans qu’il soit possible pour le moment d’affirmer la couleur politique de tels groupes.

III. La France au cœur de la seconde phase de déconfinement


A. La situation économique en France

En attendant les annonces concernant les mesures en vigueur à partir du 2 juin, les restaurants se sont préparés pour la réouverture, en prenant en compte de nouvelles normes sanitaires. La norme qui avait fait craindre le pire au secteur (un ratio obligatoire de 4m² autour de chaque client en salle) a finalement été abandonnée, en tout cas en zone verte. A la place, la consommation debout est interdite et il faudra un mètre d’écart entre chaque table, avec 10 personnes maximum par table.

Le gouvernement s’est voulu rassurant concernant les vacances, en tout cas sur le territoire national, en annonçant que les Français pouvaient d’ores et déjà réserver leurs séjours pour cet été.

L’impossible équilibre entre reprise de l'activité économique (qui doit être le plus tôt possible) et mesures d’endiguement du virus (qui doivent être les plus longues possibles) se matérialise depuis le 11 mai par les mesures en place. Ces mesures sont à effet limité et garnies d’exceptions (par exemple sur certains grands magasins), et on ne sait finalement pas si elles utiles à la reprise économique, à la gestion sanitaire ou à aucun des deux. Un sentiment qui se dégage de plus en plus dans la population est que les mesures manquent de cohérence les unes avec les autres : par exemple, comment expliquer que les parcs d’attraction puissent théoriquement rouvrir avant les cinémas ?

La relance de l’activité économique est plus que vitale pour l’économie nationale, l’INSEE prévoit une chute de 20% du PIB au deuxième trimestre dont il faut limiter les répercussions. Les annonces concernant le gel des salaires et primes à venir se succèdent, et laissent entrevoir un système financier encore au ralenti pendant plusieurs mois : en sortie de crise, le réflexe est d’épargner, limiter les dépenses, tout le contraire de la consommation qui est attendue pour relancer l’économie. Pour signifier la reprise, l’État a annoncé son désengagement progressif du mécanisme exceptionnel de chômage partiel, en baissant la prise en charge de 100% à 85%, ces 15% de différence devant être assumé par l’entreprise et le salarié devant continuer de toucher à minima le SMIC et sinon 84% de son salaire net.

Des secteurs touchés par la crise méritent notre attention :

  • Le secteur de l’habillement et de la mode qui, en France, pèse plus de 150 milliards d'euros annuels. La mise en redressement judiciaire d’enseignes françaises, déjà fragilisées par une concurrence rude, laisse craindre le pire pour leurs milliers d’employés. Toute la chaîne de production du secteur est à l’arrêt et la reprise ne devrait pas être suffisamment importante pour effacer les traces de la crise.

  • Le secteur du football, dont le chiffre d'affaire annuel de 7,5 milliards d'euros risque de s’enfoncer dans une crise profonde après la décision d’arrêt définitif du championnat. Une enquête de Mediapart laisse apparaître la faillite imminente du secteur en France. La crise et l’arrêt du championnat laissent un déficit de 541 millions d’euros, comblé par un prêt de la Ligue contracté avec la garantie de l’État. Or des clubs pourraient se retrouver en cessation de paiement et la garantie de l’État jouerait. Le contribuable français pourrait donc se retrouver à payer pour les dérives du secteur.

L’État continue de retrouver sa place interventionniste et stratège, qu’il avait pourtant bien délaissé ces dernières années au fil des ventes de participations (Alstom, Safran, Renault…) et des privatisations (autoroutes, aéroports, télécoms, EDF-GDF, Poste…). Ce recul laissait l’État avec moins de marge de poids sur la prise de décision, laissait des secteurs stratégiques à la gestion du privé, et réduisait donc à long terme les marges de manœuvre.

La situation de Renault, que nous avions évoquée la semaine passée, continue d’inquiéter et l’État a aussi dévoilé son plan d’aide au secteur automobile, à hauteur de 8 milliards d’euros. Ce plan est basé sur des aides à l’achat ou la conversion des véhicules hybrides ou électriques, pour « faire de la France la première nation productrice de véhicules propres en Europe ». En plus des 8 milliards promis au secteur automobile en général, les discussions autour du plan d’aide à Renault (5 milliards d’euros) se poursuivent et le maintien des sites industriels en France redeviendrait vraisemblablement une condition à son octroi. Le groupe s’apprêterait à supprimer 15.000 postes dans le monde, dont 4500 en France. Conformément aux demandes de l’État, il a rejoint l’alliance des batteries, qui permettrait à la France d’être autonome sur leur production : jusqu’à présent, elles sont quasi-exclusivement fabriquées en Asie.

B. Le difficile équilibre entre poursuite de la vie publique, respect des libertés fondamentales et exigences sanitaires


  • La tenue du second tour des élections municipales

Les élections municipales sont, depuis deux mois, au centre d’une vive controverse (analyse de la situation au début du mars). Le maintien, en pleine épidémie, du premier tour des élections avait eu un effet massif sur la participation puisque l’abstention avait atteint un niveau historique pour un scrutin municipal : 55,34% (même si cela reste comparable au taux d’abstention pour le second tour des élections législatives de 2017). Le maintien du scrutin aurait pu jouer le rôle d’amplificateur de la propagation du Covid-19. Cependant, une étude statistique relayée par le journal Le Monde affirme que cela n’a pas été le cas.

Le Premier ministre, Édouard Philippe a annoncé le vendredi 22 mai que la tenue du second tour des élection municipales se déroulerait le 28 juin, sous réserve d’une situation sanitaire stable (date qui reste à être confirmée aux alentours du 5 juin). Cette décision semble être la « moins mauvaise ». L’alternative de repousser les élections à l’automne, voire au mois de janvier 2021, comporte de nombreuses incertitudes puisque de nombreux scientifiques évoquent le caractère saisonnier de la maladie, prévoyant ainsi une future vague épidémique à la fin de l’été.

Depuis l’annonce du Premier ministre, une question agite les esprits : dans quelles conditions se dérouleront les campagnes électorales à partir du 15 juin ?

Christophe Castaner, le Ministre de l’Intérieur a affirmé dans un entretien avec Le Parisien que les réunions publiques pourront être possibles si les associations d’élus et les partis politiques les jugent indispensable. Cependant, une organisation stricte visant au respect des mesures de distanciation physique devra être mise en place. Le Ministre a aussi affirmé qu’un décret augmentera de 20% le plafond de remboursement des frais de campagnes. Enfin, par raisonnement analogique il apparaîtrait incohérent de rouvrir lieux de cultes, bars et restaurants, tout en remettant en question la tenue des élections.

« La décision que nous avons prise est de ne pas mettre entre parenthèses la démocratie. Nous nous sommes appuyés sur l'avis du conseil scientifique et l'ensemble des partis politiques. C'est une décision ferme, mais réversible en fonction de la situation sanitaire. »

Christophe Castaner, Ministre de l’intérieur.

De nombreuses mesures sanitaires (masques à disposition, gel hydroalcoolique, surveillance du respect des distances de sécurité) seront ainsi mises en place pour assurer le bon déroulement des votes pour 4 922 communes soit pour près de 16 500 000 électeurs.

Le gouvernement, décidé à combattre l’abstention, prépare avec les associations d’élus et les partis politiques des solutions visant à élargir et simplifier le recours aux procurations. Christophe Castaner a ainsi évoqué la possibilité « d’élargir le nombre de personnes habilités à établir des procurations » en citant par exemple les directeurs des EHPAD. Mais d’autres mesures sont également étudiées : permettre plus d’une procuration par personne ; étendre les horaires des bureaux de vote pour réduire l’affluence ; créer de nouveaux bureaux de vote dans des communes. Le Ministre affirme ainsi la volonté du gouvernement d’être le plus ouvert possible sur tout ce qui permettrait d'élargir la possibilité du vote, tout en garantissant la faisabilité juridique et la sincérité du scrutin. Il exclut cependant la possibilité d’un vote électronique, évoquée par François Bayrou, ainsi que la possibilité d’un vote par correspondance (supprimé en France en 1975 car « prêtait à manipulation ») demandée par Rachida Dati.

Pour Romain Rambaud, spécialiste du droit électoral, il est impossible de mettre en œuvre le vote électronique ou le vote par correspondance « un mois seulement avant le scrutin, en raison du principe de stabilité du droit électoral ». Ce principe implique de ne pas changer trop brusquement les modalités de vote afin de laisser aux administrations, électeurs et partis politiques, le temps de s’adapter. Dans le cas contraire, le risque de fraude serait trop important et les électeurs auraient ainsi une grande difficulté à faire confiance à ce nouveau système. Les théories complotistes pourraient alimenter les médias et les réseaux sociaux.

La solution privilégiée par le gouvernement est donc celle de la prudence : protéger la sincérité du scrutin, la sécurité des électeurs et respecter un calendrier électoral adapté à la crise. Toutefois, il convient de souligner que l’épidémie du Covid-19 a eu un effet global sur la participation à l’élection municipale et le Conseil d’État a transmis lundi 25 mai au Conseil Constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité concernant une potentielle insécurité du scrutin.

  • L’application gouvernementale StopCovid

Députés et sénateurs français ont approuvé (avec une confortable majorité mais des oppositions franches et massives) le déploiement de l’application pour smartphone StopCovid, l’outil de détection des malades potentiels visant à lutter contre l’épidémie. Cet outil est déjà utilisé en Corée du Sud, à Singapour, en Chine et en Allemagne mais suscite des inquiétudes sur le respect de la vie privée notamment. Il devrait être « téléchargeable dès ce week-end, afin de permettre à une personne atteinte du Covid-19 d’alerter automatiquement tous les utilisateurs avec lesquels elle a eu un contact prolongé » comme l’explique le journal Le Monde.


Le secrétaire d’État chargé du numérique a essayé de démontrer les garanties sur le caractère non intrusif de cette application qui « sera basée sur le volontariat, garantira l’anonymat des données et utilisera la fonction Bluetooth et non la géolocalisation ». De plus la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a d’ores-et-déjà considéré que l’outil respectait les lois relatives à la protection de la vie privée.

Effectivement, puisque le téléchargement et l’activation de l’application sont fondés sur la volonté de chacun, le respect de la vie privée est garanti. Toutefois, il est difficile de juger de son efficacité ou même de son utilité. L’application devrait être installée par 60% de la population pour être jugée comme efficace alors même que 25% des français ne possèdent pas de smartphone. De plus, l’expérience des pays asiatiques, nous montre que jamais plus de 20% de la population n’a téléchargé l’application lorsqu’elle était fondée sur la base du volontariat.

De surcroît des clarifications restent nécessaires : l’utilisation du Bluetooth par l’application signifierait-il qu’il faudrait la laisser ouverte, sans utiliser son smartphone pour toutes autres raisons, pour que les données soient collectées sans failles ?

Enfin, cet outil, que certains qualifient de « liberticide », pourrait, dans un futur proche, entraîner des dérives autoritaires (voire totalitaires) comme c’est le cas à Singapour ou à Taïwan. Leur application s’apparente à un bracelet électronique, elle permet de vérifier qu’une personne infectée reste à son domicile et en cas d’infraction à la quarantaine, son nom est alors exposé au public et la personne reçoit une amende.

C. Les dernières mesures françaises sur la seconde phase de déconfinement


  • L’abrogation des dispositions dérogatoires autorisant la prescription d’hydroxychloroquine

Le ministre de la Santé, Olivier Véran a saisi le Haut conseil de la santé publique (HCSP) pour analyser les règles dérogatoires de prescription de la molécule dans la lutte contre le Covid-19.

La France a ainsi pris une décision ferme : le gouvernement, après avoir étudié les avis du HCSP et de l’Agence du médicament (ANSM), a abrogé, mercredi 27 mai, les dispositions dérogatoires autorisant la prescription de l’hydroxychloroquine contre le Covid-19 à l’hôpital. Selon le journal Le Monde, le HCSP affirme à ce jour qu’« au total aucune étude, quel que soit son niveau, n’a apporté la preuve qu’un traitement pouvait être sûr et efficace pour lutter spécifiquement contre le Covid-19 ». L’arrêt des prescriptions de l’hydroxychloroquine et des essais cliniques sonne le glas d’une potentielle réponse définitive de l'efficacité de la molécule contre le Covid-19, faute de statistiques suffisantes à ce jour.

  • Récapitulatif des prochaines mesures de déconfinement en France

Ce jeudi 28 mai, Édouard Philippe, accompagné des ministres de la Santé, Olivier Véran, et de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ont tenu une conférence de presse afin d'annoncer les nouvelles mesures qui entreront en vigueur à partir du 2 juin. En voici un résumé :

  • Réouverture totale : collèges et primaires le 2 juin ; réouverture progressive : lycées, prépas et BTS.

  • L’oral du bac de français est annulé.

  • Levée des restrictions de circulation des trains à partir du 2 juin.

  • Déplacements en France métropolitaine autorisés à partir du 2 juin.

  • Déplacements en Europe autorisés à partir du 15 juin mais ceux hors Europe sont en attente de négociations bilatérales.

  • Réouverture totale ou partielle des musées, monuments, théâtres, salles de spectacles, cinémas, restaurants et bars.

  • Réouverture des plages, lacs et bases nautiques à partir du 2 juin.

IV. Pour aller plus loin

  • Le Monde Diplomatique, Chine-Etats-Unis, le choc du XXIè, avril-mai 2020 :


  • Le Monde Diplomatique, « en sortir », mais de quoi et par où ? 10 mai 2020 :


  • Foreign Policy, « China has two path to global domination » 22 mai 2020 :


  • France Info, grand entretien. Thomas Piketty, économiste, dessine l'après-coronavirus : « Il faudra demander un effort aux plus aisés »


  • La Libre Belgique. Le confinement vole sa jeunesse à toute une génération :


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