Par Chiara ALEXANDRE
Directeur de publication : Thomas MESZAROS
Responsables pédagogiques : Fabien DESPINASSE, Jean-Luc LAUTIER & Antoine CRÉTIEN
I. L’implication des armées dans la gestion de la pandémie
La pandémie de Covid-19 a créé au niveau mondial une mobilisation d’une ampleur inégalée. Il n’est pas nouveau que les armées se déploient pour apporter leur soutien logistique et humain dans des situations de catastrophes naturelles, humanitaires ou sanitaires. En France par exemple, le Livre blanc pour la défense et la sécurité nationale de 2013 énonce les différents risques et menaces pris en compte par la stratégie de défense, et y inclut « les crises majeures résultant de risques naturels, sanitaires, technologiques, industriels, ou accidentels » [1].
Une note de recherche de l’IRSEM [2] revient sur la mobilisation des forces armées pendant la crise et conclut que la grande majorité des Etats touchés par la pandémie de coronavirus ont utilisé leurs armées pour renforcer leur dispositif sanitaire nationale et une minorité les ont employées au contrôle des mobilités et des flux. En Europe, les États ont sollicité leurs forces armées surtout en soutien logistique et sanitaire et dans certains pays, elles ont participé à des tâches relevant du maintien de l’ordre.
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Lien de l’infographie : covid-19 et mobilisation des forces armées en Europe et aux États-Unis
En Europe, la France, l’Espagne et le Royaume-Uni, ont été les trois seuls pays à créer une mission spécifique de lutte contre le coronavirus. En France, le lancement de l’opération Résilience avait été annoncé par le président de la République dès le 25 mars 2020. A la même période, le Royaume-Uni et l’Espagne lançaient respectivement les opérations militaires Broadshare & Rescript et Balmis.
En France, l’emploi des forces armées sur le territoire national pour la lutte contre la pandémie est strictement encadré par le droit. Le recours aux armées ne peut pas avoir lieu pour des missions de « maintien de l’ordre » que dans des conditions bien précises, qualifiées d’« état de nécessité ». L’état de nécessité intervient « dès lors que les moyens dont dispose l’autorité civile sont estimés inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles » [3]. Les missions attribuées aux forces armées ont différé et diffèrent selon les Etats.
La première mission des armées est celle du soutien sanitaire visant à venir en aide aux systèmes de santé proches de la saturation. En Espagne et au Royaume-Uni notamment, les forces armées ont créé des hôpitaux de campagne en renfort du système hospitalier national [4].
Dans la majorité des pays européens les forces armées ont activement contribué au soutien logistique de la gestion de la crise sanitaire. Il s’agissait d’un soutien en termes de personnels et d’équipements, mais aussi de prise en charge et transport de patients, de personnels et de biens. En effet, l’armée française par exemple a livré près de 5 millions de masques au ministère de la Santé, tout en protégeant plusieurs dizaines de sites de stockage médicaux. Les forces armées françaises ont contribué au transfert de 146 patients entre hôpitaux, ce qui représente 20 % du total des transferts de malades, ainsi qu’à celui de 134 personnels soignants pour un total de 64 missions toutes armes confondues [5]. En France, le Service de santé des armées a donc été particulièrement mobilisé dès le mois de mai. En Suisse, cette semaine, une demande du canton de Genève pour un appui subsidiaire de l’armée a été approuvée le 6 novembre 2020 par l’État-major fédéral Protection de la population. Environ 200 membres de la compagnie sanitaire 1 (cp san 1) ont été mobilisés et sont entrés en service à Moudon, où ils se prépareront à un engagement d’appui en faveur du canton de Genève. Ils déchargeront le système de santé du canton de Genève dans le domaine du transport et des soins de base apportés aux patients du COVID-19 et viendront renforcer les services de triage et les capacités de tests.
En effet, les armées ont également mis largement à disposition leur personnel médical militaire mais aussi leurs infrastructures militaires. Cette offre de soin supplémentaire a été déterminante dans les pays où le système de santé était au bord de la rupture, notamment en Espagne et en Italie. Le système de santé italien, qui est régionalisé et donc assez peu coordonné au niveau national, avait été débordé dans les régions les plus touchées comme la Lombardie. En Allemagne, 17 000 soldats des services sanitaires ont apporté leur soutien dans les hôpitaux militaires et civils, avec un renfort de réservistes, dans le cadre de l’unité « Assistance Corona » [6].
Mais certaines forces armées ont également contribué à des missions annexes comme le contrôle de la mobilité des populations et le renforcement de fonctions régaliennes territoriales concernant l’Espagne ou encore l’Italie, la Slovaquie et la Bulgarie [7]. Les militaires de ces pays se sont alors vu confier des fonctions habituellement dévolues à la police. En Suisse, l’armée a été utilisée pour renforcer la présence souveraine et le contrôle des frontières afin de surveiller les mobilités transfrontalières. Ainsi, 650 militaires suisses du bataillon d’infanterie 65 ont assuré l’appui aux forces douanières [8].
Concernant les États-Unis, la loi américaine [9] ne permet pas le déploiement de l’US Army et de l’US Air Force sur le territoire national pour des missions d’application de la loi. L’armée américaine peut cependant « help at home » et donc offrir une aide d’urgence ou une aide humanitaire à la population sur demande du Congrès. La mobilisation militaire face à la crise sanitaire a majoritairement concerné la Garde nationale, composée de soldats citoyens réservistes. Le 22 mars le président Donald Trump [10] a réquisitionné la Garde nationale pour intervenir sur des fonds fédéraux dans les États de Californie, de New York et de Washington, les trois États les plus touchés à cette période. Aux États-Unis, la réponse à la crise sanitaire par les forces armées s’est surtout concentrée sur l’aide à la recherche d’un vaccin et à l’achat de matériel médical fourni sur les budgets militaires au Departement of Health and Human Services [11].
Le 15 mai 2020, par l’intermédiaire de la Maison Blanche, le Department of Defense (DOD) a lancé l’opération Warp Speed dont l’objectif est de coordonner les capacités militaires et industrielles américaines dans la recherche et la distribution d’un vaccin à la population américaine d’ici janvier 2021. Par cette Opération Warp Speed [12], (comparable au Projet Manhattan pour le président américain) les forces armées américaines ont endossée un rôle purement logistique dans la lutte contre le Covid. Les militaires seront alors en charge du stockage, de l'acheminement et de la distribution de tous les équipements médicaux nécessaires à la vaccination mais ne pratiqueront aucune vaccination et ne manipuleront pas les doses de vaccins.
II. La gestion française de la crise sanitaire au cœur des enquêtes
Le 6 novembre 2020, plus de 60 000 nouvelles contaminations ont été enregistrées en 24 heures sur le territoire métropolitain. Ce niveau jamais atteint depuis le début de l’épidémie est d’autant plus alarmant qu’il est, selon Santé publique France victime d’un problème informatique, « minimal et non consolidé ». 398 décès ont été recensés dans les hôpitaux et le nombre de patients hospitalisés s’élève à 28 979 dont 4 331 en réanimation.
Bertrand Guidet, chef du service de réanimation à l’hôpital Saint-Antoine à Paris met en exergue pour le journal LeMonde les dilemmes éthiques qui se poseront bientôt aux médecins si la situation sanitaire ne s’améliore pas. Bertrand Guidet a participé en mars à la rédaction d’un texte intitulé « Priorisation de l’accès aux soins critiques dans un contexte de pandémie » commandé par le ministère de la santé. Aujourd’hui, une grande inquiété existe quant à la saturation à court terme des lits de réanimation dans certains hôpitaux français.
« Même si on arrive à ouvrir 2 200 lits, il faudra en garder environ 800 pour les patients non Covid, ce qui ne fait donc plus que 1 400 lits disponibles pour les cas graves de Covid. Comment va-t-on tenir dans la durée ? Il y a des malades qui ne seront pas pris en réanimation. On s’y prépare. » Bertrand Guidet, chef du service de médecine intensive réanimation de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris.
Les contaminations ne ralentissent pas et l’étude de l’impact du confinement annoncé le 28 octobre par le président de la République sur la deuxième vague de Covid ne pourra être étudié que dans une à deux semaines. Le gouvernement français est donc forcé d’établir des politiques restrictives pour juguler la deuxième vague, tout en faisant l’objet d’enquête de la part du Sénat et de l’Assemblée nationale pour sa gestion de la première vague.
Ces dernières semaines, Agnès Buzyn, Roselyne Bachelot, Jérôme Salomon, Didier Raoult et Édouard Philippe ont été auditionné par les députés dans le cadre de la commission d'enquête sur la gestion du coronavirus en France. Cette commission d’enquête a pour objectif de comprendre la gestion de la crise et d’en analyser les failles. Ce travail minutieux et technique vise à établir une chaîne de responsabilité sur des questions telles que le manque de masque, la saturation des services hospitaliers ou encore la situation dans les EHPAD en avril dernier. Édouard Philippe a, devant les députés, reconnus des erreurs de communication mais récuse un manque de réactivité de la part de l’exécutif affirmant « nous n’avons pas attendu mars pour armer la cellule interministérielle de crise ».
Olivier Veran, auditionné cette semaine était l’un des rendez-vous les plus attendus de la commission d’enquête. Avec la mise en place du nouveau confinement et du débat sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire, l’audition du ministre de la Santé a semblé plus compliquée qu’escomptée. Interrogé sur les décisions des ministères prises au cours des dix dernières années, le Ministre a souligné qu’ « il appartient à chacun pour la période où il était en charge d’expliciter les choix et les décisions qui étaient les siens ». Restant évasif sur la question d’un éventuel tri des patients, le Ministre a justement rappelé qu’une comparaison entre les deux vagues ne serai possible qu’en détention d’une analyse « des durées de séjours du parcours des patients en réanimation », soulignant que ce travail était actuellement en cours.
Cette audition a aussi été l'occasion pour Olivier Véran de dénoncer la diffusion des fausses informations qui « polluent » le pays. Il a appelé à être « vigilants collectivement » et a justement soulevé la question de l’importance que prennent les « fake news » en période de crise arguant qu’ « en période de crise, que ce soit une crise épidémique ou d’autre nature, ce genre de diffusion de fausses informations, c’est presque de la haute trahison ».
Cette semaine, le ministre de la santé, s’est également emporté dans l’hémicycle face à des députés opposés à la prolongation de l’état d’urgence. Il sera intéressant de revenir sur la notion d’état d’urgence sanitaire dans les semaines à venir.
III. Grippe et Covid-19 : état de la situation
Avec la baisse des températures dans l’hémisphère nord, les scientifiques questionnent l’impact de la présence simultanée de l’épidémie de grippe et de Covid-19. L’épidémie de grippe fait l’objet d’un suivi détaillé en France et dans le monde depuis de nombreuses années [13].
Selon Santé publique France, le bilan épidémiologique de grippe pour la saison 2019/2020 [14] a été inhabituellement faible. La saison de la grippe pour cette saison a été particulièrement courte : neuf semaines contre onze semaines en moyenne les années précédentes. Le nombre de consultations a été d'environ 1,25 million, « ce qui correspond à une épidémie de faible intensité », puisqu’il était par exemple de 1,8 million en 2018-2019.
Ces observations se retrouvent ailleurs qu’en France puisqu’un rapport d’Eurosurveillance [15] affirme que le taux de positivité en Europe dans la période d'intersaison en 2020 (de la semaine 21 à la semaine 39) était de 0,2 % contre 1,1 % en moyenne les cinq années précédentes.
Santé publique France souligne ainsi qu’il est « très probable que les mesures de contrôle de la pandémie de Covid-19 prises par l'ensemble des pays soient à l'origine de cette situation inédite, sans que l'on puisse exclure des phénomènes d'interférence virale qui empêcheraient ou limiteraient fortement une circulation concomitante du SARS-CoV-2 et des virus respiratoires saisonniers comme la grippe » [16].
En mars 2020, le Professeur Bruno Lina, virologue et chercheur au Centre international de recherche en infectiologie, affirmait présentait la notion « d’interférence virale » c’est-à-dire que « quand deux virus épidémiques circulent en même temps, sur un même territoire et ciblent la même population, ils s'opposent, et c'est le virus qui a le potentiel de croissance le plus important qui prend le dessus ». Cela se confirme aussi par une étude britannique publiée sur MedRxiv [17] : chez les patients atteints de grippe, le risque d’être positif au Covid est 68% plus faible.
Toutefois, de rares cas de co-infection ont été recensés et ces patients présentent un risque de décès 2,3 fois supérieur qu’en cas de simple infection du Covid. La vaccination contre la grippe reste donc fortement recommandée notamment pour les personnes âgées et les plus fragiles. Le 5 octobre 2020 a marqué le lancement de la campagne de sensibilisation à la grippe dans la Région européenne de l’OMS. L’objectif de cette campagne est de soutenir la promotion de la vaccination antigrippale dans les pays. Cette année, la campagne est « particulièrement axée sur la promotion de la vaccination auprès des groupes les plus prioritaires » comme les professionnels de santé et les personnes âgées. Cependant, en France, dès la fin du mois d’octobre 2020, 60% des pharmaciens de ville ont indiqué être en rupture de stock de vaccins contre la grippe : 5 millions de vaccins ont déjà été écoulés ce qui représente la moitié de ceux délivrés en 2019. L'Union des syndicats de pharmaciens d'officine indique attendre les 13 millions de vaccins devant être livré par les laboratoires (2 millions de plus que l’année dernière), ainsi que les doses supplémentaires récupérées sur le marché européen : « entre 1 et 2 millions de doses qui arriveront sur le marché en décembre » comme l’avait affirmé l’État français.
[1] Livre Blanc pour la défense et la sécurité nationale, 2013, p.48 (en ligne). Disponible sur : https://fr.calameo.com/read/000331627d6f04ea4fe0e
[2] IRSEM, F.Delerue, E. Jolly, L.Michelis, A.Muxel, F.Opillard et A.Palle « covid-19 et mobilisation des forces armées en Europe et aux États-Unis », 5 novembre 2020, (en ligne). Disponible sur : https://www.irsem.fr/media/5-publications/notes-de-recherche-research-papers/2020/nr-irsem-107-covid-19-et-mobilisation.pdf
[3] Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, Instruction interministérielle relative à l’engagement des armées sur le territoire national lorsqu’elles interviennent sur réquisition de l’autorité civile, 14 novembre 2017, (en ligne). Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/44386
[4] IRSEM, F.Delerue, E. Jolly, L.Michelis, A.Muxel, F.Opillard et A.Palle « covid-19 et mobilisation des forces armées en Europe et aux États-Unis », 5 novembre 2020, op.cit
[5] Defense.gouv, Opération resilience, 27 avril 2020, (en ligne). Disponible sur : https://www.defense.gouv.fr/operations/france/operation-resilience/dossier-de-reference/operation-resilience
[6] Matthias Gebauer et Konstantin von Hammerstein, « Bundeswehr mobilisiert 15.000 Soldaten », Der Spiegel, 27 mars 2020 (en ligne). Disponible sur : https://www.spiegel.de/consent-a-?targetUrl=https%3A%2F%2Fwww.spiegel.de%2Fpolitik%2Fdeutschland%2Fcorona-krise-bundeswehr-mobilisiert-15-000-soldaten-a-fb7668c0-a47f-4ca5-b83b-3a2ddd3b68a1 [7] IRSEM, F.Delerue, E. Jolly, L.Michelis, A.Muxel, F.Opillard et A.Palle « covid-19 et mobilisation des forces armées en Europe et aux États-Unis », 5 novembre 2020, op.cit.
[8] Ibid.
[9] Posse Comitatus Act, 1878, Use of Army and Air Force as posse comitatus, 18 U.S. Code § 1385 (en ligne). Disponible sur : https://www.law.cornell.edu/uscode/text/18/1385
[10] Remarks by President Trump, Vice President Pence, and Members of the Coronavirus Task Force in Press Briefing, White House, 22 mars 2020 (en ligne). Disponible sur : https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/remarks-president-trump-vice-president-pence-members-coronavirus-task-force-press-briefing-8/
[11] IRSEM, F.Delerue, E. Jolly, L.Michelis, A.Muxel, F.Opillard et A.Palle « covid-19 et mobilisation des forces armées en Europe et aux États-Unis », 5 novembre 2020, op.cit.
[12] Pour aller plus loin : Defense.gov, Operation Warp Speed, (en ligne). Disponible sur : https://www.defense.gov/Explore/Spotlight/Coronavirus/Operation-Warp-Speed/
[13] Pour aller plus loin voir Inserm « Grippe et Covid-19 : participez à la surveillance de l’épidémie » (en ligne). Disponible sur : https://www.inserm.fr/actualites-et-evenements/actualites/grippe-et-covid-19-participez-surveillance-epidemie
[14] Santé publique France, « Bulletin épidémiologique grippe. Bilan de la surveillance, saison 2019-2020 », 29 octobre 2020, (en ligne). Disponible sur : https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/grippe/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-grippe.-bilan-de-la-surveillance-saison-2019-2020
[15] Eurosurveillance, « What to expect for the influenza season 2020/21 with the ongoing COVID-19 pandemic in the World Health Organization European Region », 22 octobre 2020, (en ligne). Disponible sur : https://www.eurosurveillance.org/content/10.2807/1560-7917.ES.2020.25.42.2001816#html_fulltext
[16] Santé publique France, « Bulletin épidémiologique grippe. Bilan de la surveillance, saison 2019-2020 », op.cit.
[17] MedRxiv, « Interactions betxeen SARS-CoV-2 and Influenza and the impact of coinfection on disease severity: A test negative design » 22 septembre 2020, (en ligne). Disponible sur : https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.09.18.20189647v2
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