Directeur de publication : Thomas MESZAROS
Responsables pédagogiques : Jean-Luc LAUTIER & Antoine CRÉTIEN
I. Le Japon, une gestion de crise perturbée
La situation au Japon est toujours difficile. Le pays a annoncé une chute historique de son PIB en 2020, de -7,8% au deuxième trimestre après une première baisse de 0.6% entre janvier et mars, et une précédente de 1,9% au quatrième trimestre 2019. Cette baisse est cependant moins forte que celle d’autres membres du G7, par exemple la France dont le PIB a chuté de 14% sur la même période. Ce moins mauvais résultat s’explique entre autres par le fait qu’il n’y a pas eu de confinement généralisé dans le pays. La chute sur l’année 2020 devrait s’établir à 27,8%. Le pays est donc en récession, la plus forte de son histoire, et montre les limites des « abenomics », la politique de relance économique du Premier ministre Shinzo Abe depuis 2012. Cette politique tablait sur trois axes : une relance budgétaire, une politique monétaire accommodante et surtout des réformes structurelles. Comme le relève Le Monde, « la troisième [flèche] est restée dans le carquois ». Le pays, malgré les dernières années de croissance économique, n’a donc pas su corriger ses défaillances structurelles. La plus importante d’entre elles est bien sûr le passage au numérique pour l’administration et les entreprises.
Loin de l’image de pays high-tech et branché, les usages professionnels sont encore datés, ce qui a été mis en exergue par la pandémie, voire en a compliqué la gestion. Le Monde cite ainsi l’usage continu du sceau de l’entreprise, pour signer n’importe quel document et valider les arrivées et départs des employés, qui exige la présence du détenteur. Évidemment, cette pratique est beaucoup plus difficile à observer en période de télétravail, mais certaines entreprises ont continué de le faire : des employés faisaient donc des aller-retours entre les habitations de leurs collègues pour signer leurs feuilles de présence ou les documents.
Du côté de l’administration, le Ministère de la Santé est connu comme étant le plus en retard de tous sur le numérique. Le fax est encore majoritairement utilisé, avec entre autres comme conséquences que les données sur les contaminations mettaient trois jours à remonter au gouvernement.
Le télétravail n’aura finalement concerné que 34,6% des travailleurs (55,6% à la capitale Tokyo), sans qu’il n’y ait eu par ailleurs de confinement généralisé. Pour remédier à cela et instaurer une nouvelle normalité, le Cabinet du Japon (le gouvernement) a passé le 17 juillet une directive visant à promouvoir les réformes pour la numérisation de la société et le passage au télétravail. La structuration très forte des entreprises et le poids de la hiérarchie dans la société japonaise, qui faisait entre autres la force de son économie, ont peut-être été des circonstances aggravantes dans ce contexte.
Pour relancer l’économie, le gouvernement comme les entreprises comptent sur le plan annoncé en avril dernier, de 117.100 milliards de yen (927 milliards d’euros). L’attente est grande, puisque dans un sondage récent, près de 85% des Japonais s’attendaient à ce que la pandémie change la société.
Sur le plan sanitaire, le pays semble infléchir la courbe de nouvelles contaminations, avec 1072 nouveaux cas au niveau national au 20/08 contre des pics à 1500-1700 début août. Le nombre de cas critiques est cependant en hausse. Il a triplé pendant le mois, pour s’établir à 243 contre un plus-bas à 31 début juillet. Cette hausse met les services de réanimation nippons sous pression, même s’il leur reste de la place : le taux d’occupation des lits prévus pour le Covid-19 est de 27% à Tokyo et 37,2% à Osaka, la ville la plus touchée. Au total, 1162 décès liés au Covid-19 ont été rapportés, pour près de 60.000 cas au total.
Source : Nippon.com, basé sur les données du Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales du Japon / Copyright : Nippon.com / Utilisation non Commerciale Lien de l’infographie : Infections au COVID-19 et cas sévères au Japon
Enfin, la présence militaire américaine au Japon continue de faire parler dans les préfectures concernées. Le commandement américain a durci les procédures sanitaires pour les militaires arrivant dans les bases : quatorzaine et test obligatoires, divulgation du nombre de contaminations par base… Ces mesures semblent avoir rassuré un peu les habitants d’Iwakuni, touchés par les écarts des militaires américains le mois dernier, mais pas Okinawa, qui abrite 75% des soldats américains au Japon. Cette préfecture est la plus pauvre du pays, et n’a donc pas les moyens de s’opposer frontalement au gouvernement nippon et aux Américains. Aussi, l’Accord de Statut des Forces (SOFA) de 1960 limite les possibilités d’enquête japonaise sur le comportement des militaires américains, et surtout les exonère des restrictions aux voyageurs imposées par le gouvernement depuis le début de la pandémie. Les États-Unis figurent sur la liste des nationalités interdites d’entrée sur le territoire, ce qui n’a pas empêché les militaires d’y venir, leurs droits étant garantis par le SOFA et ne pouvant donc pas leur être retiré selon le Ministère des Affaires Étrangères.
II. Défiance envers la parole publique et rejet de ses politiques
Ces dernières années sont marquées par une défiance de plus en plus forte de citoyens et d’administrés envers l’administration, les politiques professionnels… Une analyse rapide pourrait mettre cela sur le compte de l’individualisme, de la baisse de la confiance réciproque, de la méfiance commenorme, des scandales politiques… Une étude datée de décembre 2018 de France Stratégie, institution autonome placée auprès du Premier ministre, fournissait déjà quelques pistes. Les origines principales de la défiance seraient une plus haute qualification des citoyens (qui sont donc plus en mesure d’avoir un avis critique), les scandales, l’économie en berne (qui fait douter de l’efficacité des politiques) ainsi que le numérique, qui met les autorités au même niveau d’expression que les autres.
S’est donc instaurée une défiance, pas seulement envers les politiques mais aussi les experts des médias, à qui l’ont fait porter divers maux : ce sont toujours les mêmes, ils ont des intérêts privés, sont liés au pouvoir ou aux industriels, se contredisent, ne sont pas légitimes… Ce rapport proposait de faire avec la défiance plutôt que de la combattre, en l’intégrant au processus décisionnel via un droit d’accès aux expertises, rendre ces dernières plus lisibles, des comités citoyens pour participer à l’évaluation des politiques publiques…
Ce constat et cette conclusion ont une résonance toute particulière depuis le début de la crise du Covid-19. La défiance, la critique voire le rejet des politiques publiques et des mesures de lutte contre la pandémie n’a jamais été aussi forte ces dernières semaines. Elle ne s’est pas manifestée seulement en France, mais aussi en Allemagne (une manifestation géante a eu lieu début août), aux États-Unis (multitude de rassemblements et comportements individuels de lutte contre les mesures), en Chine (discrédit de la parole publique, accusée de mentir) .
En Europe, les mesures restrictives de la première vague avaient été globalement observées sans trop de contestation, contrairement au continent américain par exemple. Le confinement global a beaucoup pesé sur le moral et les finances des particuliers, et l’espoir de retrouver rapidement une vie normale est en train d’être balayé par la deuxième vague. Les mesures restrictives recommencent à être instaurées, partiellement et localement mais de plus en plus fréquemment. Beaucoup redoutent un reconfinement, le craignent et se demandent s’ils auront le mental pour se retrouver à nouveau enfermés la plupart de la semaine sans voir personne. Surtout, la mesure qui cristallise pour le moment le plus les opinions est le port obligatoire du masque. Il l’a été au déconfinement dans les transports publics, dans les lieux publics clos, puis dans certains espaces publics ouverts, mais bientôt dans tous les espaces professionnels clos et de plus en plus de rues et parcs avec de fortes fréquentations, voire dans l'ensemble des rues de certaines villes (Toulouse,...). Avec la chaleur, son port est parfois très mal vécu, que ce soit dans la rue ou au travail. Les professionnels de la restauration, par exemple, se plaignent régulièrement dans les médias de la difficulté de le porter avec la chaleur de la cuisine et les déplacements constants.
L’explosion récente du nombre de groupes anti-masques, qui se sont ajoutés aux groupes complotistes, anti-vaccins ou anarchistes déjà en place (et auxquels ils sont parfois liés), démontre un discrédit de la parole publique. Aussi, le non-respect des mesures de distanciation sociale par de nombreux groupes de jeunes montre qu’une partie de la population vit dans l’incurie de la pandémie. Les moins de 40 ans n’ont été que très peu touchés par le Covid-19 proportionnellement à leurs ainés pendant la première vague, et il est difficile pour la communication publique de leur montrer les dangers que leur comportement fait peser sur la gestion de la crise. Ce risque est celui d’une transmission massive du virus, certes entre personnes moins vulnérables mais aussi mécaniquement à des personnes plus fragiles. Pourtant, au cours de l’été, ils sont plus touchés qu’avant, du fait de relâchements épars et de regroupements.
En plus de montrer le discrédit de la parole des experts et politiques, la pandémie illustre aussi les conséquences parfois violentes du rejet de l’autorité. Les faits divers de professionnels agressés parce qu’ils voulaient faire respecter les gestes barrières à des « groupes de jeunes » sont nombreux : chauffeur de bus tué, infirmière tabassée, commerçants insultés ou menacés… Le rejet de la parole publique et de ses politiques se transfère sur leur exécution par les citoyens précautionneux.
Si certains citoyens basculent dans le rejet systématique et la violence, les politiques publiques ne doivent pas elles prendre un tournant tout aussi absolu. Certaines idées, comme par exemple la séparation des enfants atteints du Covid de leurs familles en Allemagne, pourraient briser pour longtemps le lien de confiance et de protection entre administration et administrés. Des mesures aussi radicales pourraient créer des précédents et des situations intenables pour le pouvoir politique, et avoir de lourdes conséquences en termes d’image publique et de conduite des politiques publiques sur le long terme. La balance entre mesures restrictives et exercice des libertés fondamentales doit être respectée.
III. Les dernières mesures françaises à l’approche de la rentrée
Le 12 août 2020 Olivier Véran, a affirmé que la France connaissait « deux diagnostics de contamination chaque minute ». Le niveau de contamination, au plus haut depuis le déconfinement, met en exergue l’accentuation de la transmission du virus. Selon le journal LesEchos, trois des quatre indicateurs de référence du suivi du virus ont connu, ces dernières semaines, une nette dégradation. Les taux d’incidence, de reproduction et de positivité des tests sont en augmentation depuis la fin du mois de juillet. Depuis le début de la crise sanitaire, les autorités et experts scientifiques ont conscience de la présence de cas asymptomatiques parmi la population. Il apparaît logique que le taux de positivité s'accroît avec l’augmentation constante du nombre de test. Ce ne sont donc pas forcément les chiffres qu’il convient de considérer comme alarmant mais la possibilité de transmission du virus aux personnes vulnérables.
Source : LeMonde / Copyright : LeMonde / Utilisation non commerciale
Lien de l'infographie : Coronavirus : Emmanuel Macron et le gouvernement face à la peur de la deuxième vague
Aujourd’hui, la recrudescence du nombre de cas de ne s'est pas encore traduite par une aggravation de la situation dans les hôpitaux. Le nombre de malades placés en réanimation a cessé sa chute, entamée mi-avril, mais stagne toujours autour des 350 patients. Frédéric Altare, directeur de recherche à l’INSERM en immunologie interrogé par Le HuffPost, affirme ainsi qu’il y aurait « un décalage par rapport à la première vague de contaminations. » Les personnes positives seraient plus jeunes et développeraient une forme moins sévère de la maladie mais ils ne sont pas moins de potentiels vecteurs de la maladie. Les personnes à risque semblent toutefois être sensibilisées à la situation et prennent des précautions pour se protéger. Allant à contre-courant des discours majoritaires du moment, certains scientifiques comme le Professeur Didier Raoult continuent d’affirmer que le Covid n’est « pas plus grave que la grippe ». L’inquiétude autour du virus ne serait ainsi pas justifiée mais il admet toutefois qu’« il va falloir se mettre dans l’idée que la Covid est entrée dans le paysage ».
Ce léger sursaut du nombre de cas ravive toutefois les craintes d'un retournement brutal de situation dans les semaines à venir chez les autorités. La perspective de la fin des vacances et de la rentrée scolaire accroît encore la menace, avec le retour potentiel de cas asymptomatiques non testés dans leur cercle familial et dans les entreprises.
A. Les mesures générales et absolues concernant la question du retour des congés dans les entreprises
« Notre exigence est une question de cohérence : on ne peut imposer le port de masque en extérieur dans certaines situations à risque marginal tout en le laissant optionnel dans des lieux clairement identifiés comme moteurs de cette épidémie. » Tribune d’une vingtaine de professeurs et docteurs en médecine, Libération, 14 août 2020.
Pour tenter de trouver un équilibre au cœur de la crise sanitaire, le gouvernement s’appuie sur le masque, objet au cœur d’un nouveau protocole pour les entreprises [1]. Sujet de nombreuses controverses ces derniers mois en raison de sa pénurie et des débats sur son utilité, le masque sera obligatoire en entreprise à partir du 1er septembre. Cette obligation, annoncé le 18 août, s’appliquera à tous les espaces clos et partagés (salles de réunion, couloirs, vestiaires, open spaces, cafétérias) et ce, même si des vitres en plexiglas ont été installées. Selon certains scientifiques, plus de 24 % des clusters se formeraient dans les entreprises privées. Par ailleurs selon le JDD, 189 clusters ont été signalés entre le 9 mai et le 12 août. 51 clusters, soit 29%, ont été détectés au sein de l'administration publique et 28 clusters, soit 16%, ont été identifiés dans le secteur de l'industrie manufacturière (majoritairement dans des abattoirs), 16 dans le secteur de l'hébergement et de la restauration et 14 dans le commerce et la réparation d'automobiles et de motocycles. Le protocole pour assurer la sécurité des salariés en entreprise n’imposait jusqu’à présent le masque que lorsque la distanciation d’un mètre ne pouvait être respectée. En fonction de l’évolution sanitaire et des typologies de locaux d’entreprise, cette mesure pourra connaître des dérogations après avis des autorités de santé. Pour le ministère, il s'agit de prendre en compte les risques de contamination par aérosols mis en avant par le Haut Conseil français de la santé publique dans le contexte de retour des vacances parfois en « zones rouges ».
Cette mesure, préparée depuis de nombreuses semaines par le gouvernement, a été accueillie avec un certain fatalisme de la part des organisations patronales et syndicales. Bernard Cohen-Hadad, président de la CPME Paris Ile-de-France a déclaré qu’il s’agissait d’une « mesure claire » permettant de concilier la santé au travail pour tous et la continuité de l’activité économique avant d’ajouter : « masquons-nous pour que la reprise économique l’emporte sur la reprise épidémique ! » Cette mesure fait acte de la volonté de protéger les salariés et la relance économique. Toutefois, considéré comme un « équipement individuel de sécurité », le coût du masque sera désormais à la charge de l’employeur. Il convient ainsi de se demander si cette mesure suffit pour répondre aux enjeux globaux posés par la pandémie. Les entreprises, déjà meurtries par la crise et la période de confinement, se voient forcées de financer l’achat de masques, et d’ajouter ce coût supplémentaire à leurs dettes.
Pour les entreprises espérant retrouver une situation normale, ou presque, après la période estivale, et voir revenir leurs salariés après plusieurs mois de télétravail, cette annonce sonne comme un coup dur. Le retour de l’ensemble des effectifs apparaît désormais inatteignable, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur l’organisation et la productivité des équipes. En effet, la ministre a précisé que le télétravail devrait être mis en place « chaque fois que c’est possible dans les zones de circulation active du virus ». La ministre a ainsi incité les entreprises à entamer et accélérer une négociation sur le sujet. Mis en place à très grande échelle durant le confinement, le télétravail redevient donc un sujet de discussions entre les partenaires sociaux. Il convient dès aujourd’hui, pour les entreprises, d’établir un diagnostic collectif sur le système du travail à distance. En cas de circonstances exceptionnelles, comme nous le connaissons actuellement, il est urgent de définir des règles permettant d’assurer la santé physique et mentale des employés mais aussi d’établir la prise en compte des frais engagés dans le cadre du télétravail. Malgré sa généralisation des questions restent encore en suspens : qu’en est-il de l’aménagement du lieu de travail, du droit à la déconnexion ou encore de la protection des données personnelles ? Cette forme d’activité doit représenter un droit pour les salariés, et doit être légalement encadrée pour qu’elle ne devienne pas un outil de pression de la part de l’employeur.
B. L’application et l’adaptation du système de gestion de crise national
La gestion de la crise du Covid-19 par l’État français a permis de mettre en exergue les forces et faiblesses du système de gestion de crise national. A ce jour, il est possible de distinguer deux régimes de gestion de crise au cours de ces derniers mois : un régime centralisé autour de l’État jusqu’au mois de mai puis un régime « légal » qu’il convient de définir.
En raison de l’impact majeur des crises sanitaires potentielles et de la complexité de leur gestion, l’organisation de la veille et de la sécurité sanitaire en France s’est progressivement structurée, à chaque échelon. La France, en principe, connaît un régime de gestion de crise sous forme pyramidale. En théorie, il existe une complémentarité entre tous les niveaux de gestion de la crise, qu’il s’agisse de l’échelon central, étatique, ou des échelons territoriaux. Chacun dispose de compétences propres, et en pratique, la première réponse à la crise est apportée par le maire et le préfet de département. Selon une circulaire du 2 janvier 2012 relative à l’organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeure [2], le Premier ministre prend la direction politique et stratégique des crises majeures, s’appuyant ensuite sur le dispositif gouvernemental de la Cellule interministérielle de crise (CIC). Le Premier ministre peut ainsi activer la CIC et en confier la conduite opérationnelle à un ministre qu’il désigne en fonction de la nature des événements. En principe, la conduite des opérations relève du Ministre de l’intérieur lorsque la crise a lieu sur le territoire national et sur le terrain, la gestion opérationnelle des crises relève de la compétence des préfets de département. En effet, la loi n°2004-811 de modernisation de la sécurité civile [3] confie aux maires, préfets (de départements, de régions ou de zone de défense), autorités de police générale, des pouvoirs étendus en matière de gestion de crise.
Toutefois, le 17 mars, jour de confinement, a été activée la CIC de laquelle a découlé une organisation bicéphale : le ministère de la Santé d’un côté et le ministère de l’Intérieur avec la CIC de l’autre, sous la houlette du Président et du Premier ministre. Tous les plans sanitaires ont été activés un à un : Pandémie, ORSAN [4], ORSAN REB (risques épidémique et biologique), les plans blancs élargis et les plans de gestion de crise ORSEC. Toutefois, les Plans communaux de sauvegarde (PCS), qui auraient pu et dû être déclenchés dans les communes les plus concernées ne l’ont pas été. Cela démontre le découplement qui a existé entre l’État et les collectivités territoriales jusqu’au mois de mai [5]. Les préfectures ont été à la manœuvre localement, mais bien souvent dans l’attente de consignes nationales générales. Bien que le peu de compétences propres offertes aux préfectures et aux mairies, au cœur de la crise puisse être regretté, la centralisation de la gestion de crise a pu avoir de certains bénéfices. Par exemple, au niveau hospitalier, la gestion centralisée en France a permis le transfert rapide et organisé de patients des régions en difficulté vers d’autres moins sous pression.
Cependant, ces dernières semaines, l’organisation semble revenir peu à peu à la normale. Les dernières annonces du Premier ministre offre une plus grande latitude d’action aux préfectures. Le préfet peut accorder une autorisation de dérogation à l’interdiction des rassemblements de plus de 5 000 personnes et dans les préfectures, de plan de contrôle ciblé des mesures sanitaires vont être mis en place. Le décret n°2020-944 du 30 juillet 2020 [6] habilite ainsi le préfet à étendre l’obligation du port du masque à certains lieux publics découverts, par arrêté préfectoral, si des circonstances locales le justifient pour lutter contre la propagation de l’épidémie de Covid-19. Le préfet, plus à même d’évaluer l’évolution de la situation sanitaire, des caractéristiques épidémiologiques locales, semble ainsi retrouver son rôle de décideur en matière de gestion de crise. Toutefois, cela génère de nouvelles critiques. L’absence de mesures homogènes créé une certaine incompréhension au cœur de la population. Cette nouvelle organisation nécessite une forte communication de crise justifiant la prise de mesures locales pour endiguer l’épidémie.
IV. Course au vaccin : une lutte technologique, économique et géopolitique
La course au vaccin continue et les enjeux sanitaires se transforment en enjeux étatiques. Il s’agit d’une course visant à être le premier à finir les tests d’un candidat-vaccin, mais aussi de mettre au point le vaccin le plus sûr et le plus efficace. Aujourd’hui, on dénombre plus de 140 candidats-vaccins dont seulement 10 sont en phase 3 car il règne encore une forte incertitude autour du Covid-19. Pour les fabricants et les États, la sûreté du vaccin est primordiale pour conserver la confiance des populations. Mais derrière l’enjeu sanitaire la question du vaccin prend une importance internationale et prestigieuse. En effet, dans le contexte pandémique, des milliards de personnes pourraient avoir recours au vaccin le plus sûr. De plus, la saisonnalité du virus induit qu’il est possible que la vaccination soit renouvelée chaque année. Il y a donc une lutte technologique, économique et géopolitique [7]. Le vaccin semble être la seule solution pour venir à bout de l’épidémie et retrouver une vie normale sans distanciation ou mesures restrictives. C'est pourquoi les annonces officielles des Etats concernant le lancement des dernières phases de tests se multiplient. Par exemple, ces derniers jours :
L’Australie a annoncé qu’elle allait obtenir un vaccin « prometteur » suite à un accord avec le groupe AstraZeneca. Le gouvernement a annoncé qu’une obligation vaccinale serait mise en place et que seule l’exemption à la vaccination pour des raisons médicales serait valable.
L’Afrique du Sud s’apprête à lancer les essais cliniques d’un vaccin contre avec 2 900 volontaires. Parmi les volontaires, 240 adultes séropositifs et médicalement stables participeront à ces essais cliniques car en Afrique du Sud, les personnes séropositives constituent 12 à 15% de la population adulte.
Le vaccin russe Spoutnik-V laisse sceptique la communauté internationale mais la Russie a tout de même décidé de le tester. La semaine prochaine, plus de quarante mille personnes dans plus de quarante-cinq centres médicaux participeront à des essais cliniques. Kirill Dmitriev, patron du fonds souverain russe associé au développement du vaccin a également annoncé que la vaccination des « groupes à risque », commencera la semaine prochaine sur la base du volontariat. De plus, les vaccinations massives en Russie commenceront en octobre et les premières livraisons de vaccin à l’étranger sont prévues pour novembre ou décembre.
Le pape François a, quant à lui, plaidé pour que les futurs vaccins ne soient pas destinés prioritairement « aux plus riches », alors que la pandémie a mis en exergue de nouvelles inégalités dans le monde. Afin de limiter les tensions causées par la course au vaccin et de soutenir la déclaration du pape François, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a une nouvelle fois souligné la nécessité d’un dispositif d’accès mondial au vaccin, connu sous le nom de Covax : « With a fast-moving pandemic, no one is safe, unless everyone is safe ». Codirigé par l’OMS, the Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI) et GAVI, Covax vise à garantir un accès équitable des pays à un potentiel vaccin contre le Covid. A ce sujet, GAVI, l’Alliance du Vaccin a mis en place un nouveau mécanisme de financement visant à aider les pays en développement à accéder aux vaccins à un prix abordable. Il s’agit du premier élément d’un projet plus vaste, à savoir la création d’une Facilité Covax de financement pour l’accès universel aux vaccins contre la COVID-19. Cette initiative internationale contrecarre l’initiative des Etats Unis. L’administration de Donald Trump avait lancé en mai dernier l'opération « Warp Speed » (OWS), qui signifie « au-delà de la vitesse de la lumière », pour tenter de produire 300 millions de doses d'un vaccin d'ici janvier 2021, afin de vacciner les Américains en priorité [8].
[1]Service Public, « Évolution des règles sanitaires sur les lieux de travail » publié le 20 août 2020, (en ligne). Disponible sur : https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14241
[2]Ministère des Solidarité et de la Santé, Circulaire du 2 janvier 2012, (en ligne). Disponible sur : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Circulaire_SGDSN_gestion_crise.pdf
[4]Ministère des Solidarités et de la Santé, Le dispositif ORSAN, (en ligne). Disponible sur : https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/securite-sanitaire/article/le-dispositif-orsan
[5]Haut comité Français pour la Résilience nationale, « Rapport de synthèse sur le Sars-CoV-2 » 1er juillet 2020, (en ligne). Disponible sur : https://www.hcfdc.org/ajax/getAttachement/1597824426_Rapport_de_synthese_COVID-19_-_Resilience_France.pdf
[6]Légifrance, Décret n°2020-944 du 30 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé, 31 juillet 2020, (en ligne). Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000042177304&fastPos=7&fastReqId=179355529&categorieLien=id&oldAction=rechTexte
[7]LeMonde, Podcast, « Pandémie : les dessous de la course au vaccin », 27 juin 2020, (en ligne). Disponible sur : https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2020/06/27/coronavirus-les-dessous-de-la-course-au-vaccin_6044402_5463015.html
[8]Pour plus d’informations : US Dept of Defense, Coronavirus : Operation Warp Speed, (en ligne). Disponible sur : https://www.defense.gov/Explore/Spotlight/Coronavirus/Operation-Warp-Speed/
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