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Veille hebdo Covid - Le déconfinement, implications économiques et sociales

Dernière mise à jour : 24 juin 2020

Par Antoine CRÉTIEN

Directeur de publication : Thomas MESZAROS

Responsable pédagogique : Jean-Luc LAUTIER


1. Déconfinement : vers une reprise de l’économie mondiale pour la fin de l’année ?


Aperçu des projections FMI pour 2020 & 2021 avec rappel de la croissance 2019


1.1. La situation en Asie

Les activités économiques ont repris en Asie et notamment en Chine. Les exportations chinoises, en hausse en Avril (+3,5% sur un an – tirées par le matériel médical), ont provoqué un rebond des marchés mondiaux. Mais la reprise des activités économiques se fait à marche forcée, alors même que la demande internationale reste très faible : les entreprises chinoises n’arrivent pas à écouler leurs stocks et perdent de l’argent. Les bourses asiatiques terminent toutefois la semaine dans le vert, à la faveur des indicateurs chinois et de la promesse de la RPC et des États-Unis de continuer à appliquer leur accord commercial.


1.2. La situation en Europe

La situation européenne devrait connaître deux ans de forte croissance dans le sillage de la reprise annoncée à partir de 2021. Mais l’année 2020 restera une année noire pour les grandes économies de l’UE. Pour la première économie européenne, l’Allemagne, les exportations ont chuté de 11,8% en Mars – c’est la pire chute depuis la réunification du pays. Le Royaume-Uni quant à lui, subira sa plus grande récession depuis le XVIIIe siècle d’après les données de la banque d’Angleterre. La production industrielle recule dans tous les pays ; c’est -9,2% en Allemagne et -16,2% en France. La Commission européenne a publié mercredi ses prévisions économiques : elle s’attend à une récession de 7,7% dans la zone euro et de 7,4% sur l’ensemble de l’UE mais à une croissance de plus de 6% en 2021 au sein de l’UE. Il faudra au moins deux ans pour que le PIB de l’UE retrouve son niveau d’avant crise. Les injustices sont frappantes : le Covid a frappé majoritairement des économies déjà fragiles (Italie, Espagne, France) et reposant majoritairement sur les services et le tourisme, deux secteurs mis presque totalement à l’arrêt durant cette crise. Une fracture encore plus nette risque donc d’apparaitre entre le Nord et le Sud de l’Europe. C’est ce qu’explique notamment Le Monde.



« En découplant un peu plus encore Paris de Berlin, en faisant basculer symboliquement la France parmi les « pays du sud de l’Europe », avec tous les clichés négatifs associés, la médiocre performance française risque de renforcer les clivages. D’un côté, les pays du nord du continent, moins touchés par le Covid-19 et qui rebondiront plus vite ; de l’autre, ceux du sud, endettés et handicapés dans leur reprise. »

Éditorial du Monde (5 Mai 2020)



En France, plus de 400 000 entreprises s’apprêtent à rouvrir le 11 Mai, ce qui concerne 875 000 emplois, d’après les chiffres annoncés par Bruno Le Maire et relayés par RTL. Une « bonne nouvelle » qui « va tirer l’ensemble de l’économie » pour le Medef. Mais la situation n’est pas optimale pour la reprise, certains syndicats invitant les employés à faire valoir leur droit retrait et assignant en justice certaines entreprises car « l’employeur, juridiquement responsable de la santé des salariés, est tenu de mettre en œuvre des « actions de prévention » et des « méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection », dit le code du travail » comme nous le rappelle Le Monde. Ce fut le cas, par exemple, avec l’usine Renault de Sandouville : le tribunal du Havre a ordonné l’arrêt des activités, reprises le 28 Avril, à la demande de la CGT qui dénonçait le manque d’information et d’implication des salariés dans le processus de redémarrage de l’activité et « au nom de la santé des salariés » comme le rapporte Ouest-France.


Aperçu des projections du FMI pour le chômage mondial réalisé par BFM TV


1.3. La situation aux Amériques

L’économie, partiellement arrêtée, a causé la destruction de 20,5 millions d’emplois avec un taux de chômage à près de 15% – du jamais vu depuis les années 1930. Le Président Donald Trump a annoncé qu’il entendait réduire sa task force dédiée au Covid pour se concentrer sur la reprise économique. Une décision vivement critiquée alors que le pays connait des records d’infections et de décès dans de nombreux États. Ce sont en effet plus de 30 États fédérés qui vont lever dans les prochains jours leurs restrictions liées au coronavirus. Tout porte à croire que les États-Unis seront sans doute encore durement frappés dans les semaines à venir. Pour ce qui est du Canada, relativement épargné par la crise sanitaire, le contexte économique est tout aussi délétère : le taux de chômage a bondi à 13% ; c’est 5,2 points de plus sur le seul mois de Mars soit la plus forte hausse mensuelle depuis les années 1980.


En Amérique Latine, c’est la situation du Brésil qui inquiète le plus alors que le pays vient de franchir la barre des 10 000 décès. Ces chiffres « pourraient être 15, voire 20 fois plus élevés en réalité, selon la communauté scientifique » et le pays « pourrait être en juin le nouvel épicentre de la pandémie » rapporte le groupe canadien La Presse. Le Président ne souhaite toujours pas mettre en place de confinement strict à l’échelle fédérale et ce sont les régions qui portent la responsabilité de la mise en place d’un confinement, lequel n’est toutefois pas assorti de mesures coercitives. Alors que le FMI projette une contraction de 5,3% de l’économie brésilienne pour 2020, Bolsonaro continue d’attaquer les décisions de confinement en ce qu’elle coûte trop à l’économie. Le Brésil a, par ailleurs, le taux de contamination le plus élevé du monde (2,8), selon l’Imperial College of London, rapporte Le Télégramme dans son article « Le Brésil face à une hécatombe annoncé » ; on y lit aussi Domingos Alves, responsable du Laboratoire de renseignements sur la santé de l’université de São Paulo qui déclare que « la question n’est pas de savoir si le Brésil sera un jour le principal foyer de contamination au monde : c’est déjà le cas », pointant une sous-évaluation majeure des principaux indicateurs. Ces données inquiètent l’ensemble des pays voisins, notamment l’Argentine, qui craignent que leurs efforts ne soient ruinés par la situation brésilienne.



2. Les risques sanitaires et sociaux du déconfinement


2.1. Du déconfinement au reconfinement pour plusieurs régions

En Allemagne, où les Länder n’ont pas forcément suivi les recommandations de l’État fédéral, le nombre de contamination repart à la hausse. Le déconfinement a été chaotique et parfois précipité dans certaines régions allemandes où les Ministres-Présidents des Länder subissent de fortes pressions de la part du patronat pour relancer l’économie du pays, comme en témoignent L’Humanité ou Le Journal de Montréal ; c’est ainsi le cas de la fédération industrielle BDI ou de la puissante Association des petites et moyennes entreprises (BVMW) qui demande à rompre avec « un point de vue purement virologique ». Mais les pressions sont aussi populaires : plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté ce week-end à Berlin, Stuttgart ou encore Munich pour réclamer la fin des mesures de restriction. Un mécanisme de reconfinement à l’échelle locale a donc été décidé dès lors que la moyenne des infections locales dépasse 50 infections pour 100 000 habitants sur sept jours. Un canton a déjà été reconfiné (celui de Greiz – 90 nouvelles infections pour 100 000 habitants) suivant ce dispositif et deux autres sont en passe de s’y soumettre. La chancelière Angela Merkel a prévenu que le chemin serait encore long pour éradiquer le virus et qu’il ne fallait pas céder à la précipitation. Le pays comptabilise toujours un nombre de décès très peu élevé (7 000 environ) en comparaison à ses voisins – c’est plus de 26 000 en France, plus de 30 000 en Italie et plus de 31 000 au Royaume-Uni.


Le Royaume-Uni a par ailleurs annoncé qu’il n’envisageait pas de déconfinement, même progressif, pour le moment, en raison de la gravité de la situation Outre-Manche. Londres adopte désormais une position prudente qui tranche avec les péroraisons de Boris Johnson au début de la crise. Le gouvernement de Sa Majesté attend en effet d’observer les résultats du déconfinement en Europe avant de choisir sa stratégie. Boris Johnson a ainsi annoncé ce week-end que le confinement resterait en place au moins jusqu’au 1er Juin. Par ailleurs, la Commission européenne a appelé ses États à maintenir l’interdiction temporaire des voyages non-essentiels jusqu’au 15 Juin au moins tandis que les restrictions d’entrée dans l’espace Schengen seront maintenues au moins jusqu’à cette date.


En Russie, le pays enregistre depuis plus de 6 jours plus de 10 000 infections quotidiennes supplémentaires. La situation est particulièrement tendue dans les grandes villes de la Russie occidentale et spécifiquement à Moscou (qui totalise plus de la moitié des nouvelles infections quotidiennes). Pour autant, le pays s’apprête déjà à déconfiner sa population. Il s’agit pour la Russie d’accrocher les wagons européens et asiatiques de la reprise et du déconfinement afin de ne pas être exclue de la reprise économique mondiale. Près de 500 000 moscovites sont ainsi attendus au travail dans la semaine à venir a annoncé le maire de la ville ce 6 Mai. Là aussi, la propagation du virus ne sera sans doute pas endiguée dans les prochaines semaines. Mais le pouvoir fédéral a d’ores et déjà reporté la responsabilité de la maîtrise épidémique sur les gouverneurs locaux. Un moyen d’épargner au Kremlin les critiques sur sa gestion de l’épidémie.


2.2. Le monde devra vivre avec le risque de plusieurs vagues successives

En France, le gouvernement a prévu, dans sa stratégie de déconfinement, l’apparition de 3 000 nouveaux cas quotidiens en moyenne d’ici la mi-juin. Le pays prévoit donc de tester et d’isoler les 20 à 30 cas de contacts de ces 3 000 nouveaux cas quotidiens. Cela représente donc 60 à 90 000 tests quotidiens et environ 700 000 tests par semaine. D’autant qu’en France, contrairement à de nombreux pays européens, les élèves sont invités à rejoindre les classes à partir de lundi : le Ministre de l’Éducation a annoncé que près d’un million d’élèves seront accueillis par 130 000 professeurs (ils sont normalement plus de 12 millions d’élèves en temps normal, encadré par plus de 870 000 professeurs). Même si les études varient au sujet des enfants et de leur rôle dans la propagation du virus, force est de constater que de nombreux écoliers vont devoir se réunir et qu’il sera difficile de faire respecter les consignes sanitaires strictes à de jeunes enfants. Ces allers-retours multipliés entre l’école et la maison laissent à craindre de nouvelles transmissions par le biais des écoles et des élèves.

Le port du masque sera rendu obligatoire dans les transports en commun mais pas dans l’espace publique a annoncé cette semaine le gouvernement tandis que l’offre de transport interurbains devrait retrouver son niveau normal d’ici Juin.


2.3. Le point sur les dernières avancées scientifiques et médicales

Une nouvelle étude qui critique l’usage de l’hydroxychloroquine, cette fois aux États-Unis: une étude publiée jeudi par les hôpitaux newyorkais a conclu que l’usage de cette molécule n’a ni amélioré ni détérioré de manière significative l'état de patients gravement malades. Toutefois, rappelons que le traitement n’a jamais été préconisé par le Pr Raoult pour traiter les patients gravement malades ; au contraire, il a toujours été préconisé pour un usage au début des symptômes pour faire diminuer la charge virale.


Pour ce qui est de l’essai Discovery, initié à l’échelle de l’UE et supervisé par une infectiologue française du CHU de la Croix-Rousse à Lyon, Florence Ader, celui-ci est pour l’instant toujours incapable de produire des résultats. Car seul un patient luxembourgeois a été enrôlé dans l’essai, en plus des 740 malades français, alors que plusieurs milliers de patients européens devaient être rattachés à cet essai d’envergure. Le Ministre de la Santé n’a même pas souhaité confirmer la date avancée par le Président pour le rendu des résultats de l’étude. Pour le Professeur Yazdan Yazdanpanah, patron du consortium de recherche REACTing qui chapeaute Discovery, cet essai est un échec qui pointe l’insuffisance de coordination européenne – des propos rapportés par Le Monde.


De nouveaux traitements potentiellement salutaires ont été avancés cette semaine, notamment avec la chlorpromazine, un neuroleptique utilisé en psychiatrie. Celui-ci empêcherait le virus de pénétrer dans la cellule hôte d’après les observations de l’hôpital Saint-Anne qui va déployer un premier essai clinique cette semaine sur 40 patients. L’essai baptisé ReCoVery sera complété par une étude épidémiologique sur 250 patients psychiatriques pour étayer les premières observations. Le Parisien et le JDD font le point, rapportant notamment qu’une très faible portion des patients psychiatriques ont été atteints du Covid dans les pays les plus touchés (Chine, Italie, Espagne, France).


Du point de vue de la réponse immunitaire, une étude chinoise publie des conclusions plutôt rassurantes : la majorité des anciens infectés réunis pour cette étude ont développé des anticorps spécifiques au SARS-CoV-2, notamment des anti-corps anti-protéine S, l'une des fameuses protéines qui permet au virus d'infecter nos cellules. Une étude décryptée par Futura Sciences.



3. Analyses succinctes et éléments de réflexion


3.1. Travailler plus ou travailler différemment ? Produire plus ou produire différemment ?

Certaines entreprises, comme Google et Facebook ont d’ores et déjà annoncé qu’elles repoussaient le retour aux bureaux à 2021 en demandant à la majorité de leurs employés de continuer le télétravail jusqu’à la fin de l’année. Pour autant, généraliser et pérenniser le télétravail est-il une solution durable et soutenable ? Plusieurs études montrent que le télétravail n’est pas une panacée. En France, 3 télétravailleurs sur 10 estiment que leur santé psychologique et mentale s’est dégradée durant le confinement et déplorent une augmentation de leur charge mentale. Quatre sur dix « ont du mal à articuler temps de vie professionnelle et personnelle » (39%) ou « à se déconnecter du travail » (45%) rapporte l’analyse publiée par le journal Sud-Ouest (sondage CSA pour Malakoff Humanis). D’autant qu’une forte inquiétude pèse sur le moral des télétravailleurs : 86% éprouvent des craintes « pour l’avenir économique du pays », et 49% « pour leur propre avenir ».


Alors que certains responsables patronaux ou économistes appellent à travailler plus et à rattraper la production perdue, d’autres personnalités appellent à changer les modes de production. Le travailler plus affronte le travailler mieux. Bertrand Martinot, économiste, spécialiste de la question du chômage s’est exprimé pour l’Institut Montaigne et a formulé 9 solutions pour l’après-crise. On y retrouve des suppressions de RTT, de jours fériés, des renégociation du temps de travail et une mise en accusation du secteur public. Des solutions qui semblent répondre d’une logique productiviste aujourd’hui remise en cause et non pas d’un changement de modèle économique, social et environnemental qui a été évoqué et relayé par de nombreuses voix depuis le début de la crise. D’autant que de l’aveu même de Bertrand Martinot, « la productivité restera forcément moindre pour une longue période, et elle ne pourra pas compenser les pertes accumulées pendant plusieurs semaines ». Or la France s’est toujours distinguée dans les classements internationaux pour une productivité par tête des plus élevées parmi les pays de l’OCDE. En faisant revenir sur leur lieu de travail des salariés angoissés et en leur demandant de se soumettre à une logique productiviste de rattrapage en augmentant le temps de travail, ne risque-t-on pas de faire s’effondrer la productivité française ?

Ce 12 Mai, Philippe Martinez, Secrétaire-général de la CGT a même appelé à diminuer le temps de travail, et non pas à l'augmenter. Il propose le passage à la semaine de 32 heures pour résorber le chômage à venir en France qui devrait se situer au dessus de 10%. Des positions à l'inverse de celles de Christian Jacob (LR) qui en appelle à en finir avec « le carcan des 35 heures » ou de Geoffroy Roux de Bézieux (Medef) qui demande à ce que « se pose tôt ou tard la question du temps de travail en travaillant un peu plus ». Des positions synthétisées par BFM Business.



« Si on veut résorber le chômage, si on veut que tout le monde travaille, notamment les jeunes qui sont lourdement frappés par le chômage, il ne faut pas augmenter la durée du temps de travail, il faut au contraire la diminuer »

Philippe Martinez



Cette philosophie du rattrapage donne déjà à voir ses effets en Chine où la pollution atmosphérique a bondi à des niveaux supérieurs à ce qu’ils étaient l’année passée à la même date. Une problématique qui, en Chine, réduit l’espérance de vie des citoyens de près de 4 ans. En France, des élus locaux se saisissent de la problématique et publient une lettre ouverte au Président, relayée par Le Monde : « Il serait inacceptable de sortir demain de la crise du Covid-19 pour mourir de la pollution de l’air ».


3.2. La question centrale de la confiance

Pour traverser la crise, comme pour engager le processus de redressement et de reprise d’après-crise, la question de la confiance est centrale. Nous évoquions ici il y a déjà quelques semaines le fait que les Allemands faisaient beaucoup plus confiance à leur gouvernement que les Français. Entré fragilisé dans la crise par des mois de lutte sociale, le gouvernement français et le chef de l’État ont poursuivi dans un discours paternaliste et martial, opposé à l’attitude maternaliste et rassurante Outre-Rhin. En France, comme dans le monde anglo-saxon et en Allemagne, on parle à nouveau de l’étrange défaite (« France’s strange defeat » titrait Politico le 5 Mai d’après les mots de John Lichfield, en référence à L’étrange défaite de Marc Bloch sur la défaite française de 1940). Les erreurs et atermoiements, la communication désastreuse du gouvernement, lui coûteront cher en crédit politique ; et d’autant plus cher que le Président a décidé d’instaurer cette rhétorique guerrière. Rien d’étonnant à ce que la côte de confiance dans l’exécutif continue de s’effriter à 34%, malgré une forte hausse entre fin Mars et début Avril.


Or le Président a lui-même appelé, lors d’un entretien avec le milieu artistique cette semaine, à un nouveau « pacte de confiance » entre l’État et les Français. Un appel qu’il faut bien nuancer, en premier lieu du fait de la situation au sein même de sa propre majorité qui s’apprêterait à se scinder, une partie des députés, voulant « répondre à l'urgence écologique, moderniser la démocratie, réduire les inégalités sociales et territoriales ». Dans ce cas, la majorité LREM à l’Assemblée ne sera plus absolue et elle devra donc se reposer sur le MoDem pour disposer d’une majorité. Ces signaux inquiétants sont renforcés par le rejet du plan de déconfinement par le Sénat qui a aussi profondément modifié le texte de loi sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire.


Où se trouve donc la confiance des Français ? L’Institut Montaigne a tenté de répondre à la question et a observé que les Français avaient majoritairement confiance dans leur localités (66% pour les communes, 61% pour les départements et 58% pour les régions) pour la gestion de cette crise. Plus l’échelon augmente, plus la confiance diminue (20% seulement ont confiance dans l’UE par exemple). Cette étude semble donc plaider pour un renouveau de l’action publique à l’échelle locale. La réinvention de la société pour faire face aux défis du XXIe siècle pourrait-elle donc advenir d’une résurgence du communalisme, inventé à la fin du XIXe siècle et qui prônait l’exercice d’une démocratie directe ? L’on sait que l’origine de la démocratie se trouve dans la cité grecque : peut-on aujourd’hui concevoir une nouvelle forme d’organisation démocratique fondée sur un retour aux localités ? Par analogie, la Commune de Paris, qui surgit d’une crise majeure – et aussi d’une étrange défaite – a été en pointe sur nombre d’avancées sociales : séparation de l’Église et de l’État, enseignement laïc et gratuit, unions libres, droit de vote des femmes, autogestion des entreprises et ateliers, contrôle et révocation des élus, mise en place d’un salaire minimum par secteur, élection des fonctionnaires… Au fond, est-ce que cette crise n’est pas l’occasion de repenser l’organisation territoriale de la France, et son centralisme qui souvent la freine ? La question est difficile puisque nous avons déjà souligné plusieurs fois ici que, si le manque de décentralisation avait souvent été critiqué, c’est aujourd’hui à un renforcement de l’action de l’État central et à la réémergence d’un État stratège que certains en appellent (Cf. Analyse de Bruno Tertrais ; L’année du rat…).


3.3. Un ordre international bouleversé

Sur le plan international, comme sur le plan national, la question de l’attribution des responsabilités, de l’ouverture d’enquêtes, et du jugement de certains décideurs se fait de plus en plus pressante. À l’échelle globale, les États-Unis, par la voix de Mike Pompeo, ont affirmé avoir des « preuves immenses » de la responsabilité de la Chine et du laboratoire P4 de Wuhan dans l’émergence et la diffusion du virus. Après plusieurs enquêtes, les États-Unis affirment aussi avoir la preuve de mensonges délibérés de la part de Pékin. De son côté, la Chine a affirmé aux Nations Unies à Genève qu’elle ne se plierait à aucune enquête internationale tant que le contexte diplomatique vis-à-vis de la RPC serait à ce point délétère et pressant, tout en annonçant rester ouverte à l’idée d’une évaluation internationale sur la gestion de la crise.


Cette insistance des États-Unis vis-à-vis de la responsabilité chinoise doit s’analyser sous deux angles différents : celui de l’élection présidentielle à venir, et celui de la diversion. Le contexte des élections à venir pousse en effet Donald Trump à reprendre l’un de ses thèmes de campagne favori, qui ravit les néo-conservateurs et les faucons étasuniens, celui du déclassement des États-Unis vis-à-vis de la Chine et de la nécessité de faire émerger un véritable rapport de force face à cette puissance montante. Analysée au prisme du Piège de Thucydide proposé par Graham Allison, cette situation dévoile à la fois des excès paranoïaques de l’Administration néoconservatrice étasunienne tout autant que l’hybris de la Chine qui inquiète aujourd’hui la plupart des «vielles puissances», y compris en Europe et au Japon et, dans une certaine mesure, jusqu’en Russie. Nous avons plusieurs fois montré, dans les déroulés de cette veille, combien cette crise avait mis en exergue la dépendance du monde à l’égard de la Chine, mais aussi la duplicité d’un régime dont les Européens semblent avoir (re)découvert qu’il était totalitaire, dictatorial et donc, par conséquent, l’un des moins transparents à l’échelle du monde. Le discours actuel du Président étasunien et de son Administration s’inscrit donc dans une logique électoraliste, qui plait aux Étasuniens : la Chine menace l’avenir de la suprématie étasunienne et jusqu’à la réalisation même du rêve américain. Mais il y a aussi un aspect moins avouable à cette insistance étasunienne : l’Administration cherche en effet à faire diversion et à évacuer les questions autour de sa gestion de la crise dans le pays qui en a fait le pays le sévèrement touché. C’est en tout cas l’avis des services de renseignements allemands, du BND, comme le rapporte le Spiegel, qui explique que le Président étasunien cherche à « détourner l'attention de ses propres erreurs et rediriger la colère des Américains vers la Chine ».


Pour le destin de l’Europe, qui a célébré en ce mois de Mai la victoire sur l’Allemagne nazie, c’est un appel d’Alexandra Kamenskaya et d’Adrian Pabst qui a retenu notre attention. La journaliste russe et le philosophe anglais lancent un appel à construire « un destin commun pour l’Occident et la Russie » ; à retrouver dans le journal l’Opinion. Pour contrer la montée en puissance de la Chine, jugée de plus en plus dangereuse, comment ne pas se reposer sur la Russie ? Car la Russie est terriblement méfiante vis-à-vis de la Chine et si le pays a décidé de se rapprocher de la RPC c’est parce que la volonté de Poutine de rattacher la Russie à l’Europe au début des années 2000 n’a pas su aboutir, à cause d’incompréhensions partagées. L’intervention russe en Ukraine et la mise en place de sanctions contre la Russie ont résolu le pays à se jeter dans les bras de Pékin. Mais le rêve européen de la Russie n’est pas mort, et le pays sait qu’il sera convoité par l’Occident si devait se mettre en place une véritable stratégie de containment de la Chine. Au siècle précédent, les États-Unis se sont rapprochés de la RPC pour contenir l’URSS – la logique inverse semble aujourd’hui avoir émergé dans certains esprits.


« Dans un monde affaibli et divisé par l’épidémie, les racines culturelles du projet de paix de l’après-guerre sont la source d’un nouveau souffle de rapprochement. […] Nous sommes aujourd’hui privés de contacts humains, mais l’humain est enfin mis au centre des préoccupations des responsables politiques. Face aux forces déshumanisantes du capitalisme global où la recherche du profit et la domination prévalent, les pays occidentaux et la Russie ont la lourde responsabilité de défendre un modèle du monde centré sur la personne humaine et basé sur la réalisation de notre destin commun. »

Alexandra Kamenskaya et Adrian Pabst



4. Pour approfondir les thèmes d’actualité, une sélection d’articles et de réflexion


  • Arte reportage, « Tous surveillés – 7 milliards de suspects », 90 min, disponible jusqu’au 19 Juin 2020.


  • Institut Montaigne, [Sondage] L'avis des Français sur le pouvoir local et l'Europe face à la crise, 7 Mai 2020.


  • Thierry de Montbrial, « Le déconfinement : quelques enjeux », Éditoriaux de l’IFRI, 28 Avril 2020.


  • Elisande Nexon, Claude Wachtel, « Covid-19 : comment mieux se préparer aux risques exceptionnels ? », Notes de la FRS, 7 Mai 2020.

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