Directeur de publication : Thomas MESZAROS
Responsables pédagogiques : Jean-Luc LAUTIER & Antoine CRÉTIEN
I. Prospective sur l'organisation du monde d'après
A. L'Occident affaibli par la crise
Les tensions sino-étasuniennes évoquées depuis de nombreuses semaines forcent tous les autres pays du système international à se repositionner dans le cadre de cette concurrence. La crise sanitaire mondiale, le retrait des États-Unis de l’Organisation Mondiale de la Santé et le refus d’Angela Merkel de se déplacer pour le G7 à Washington sont des points marquants de l'actualité des relations internationales contemporaines. Ils nous imposent une nouvelle analyse de l’ordre global actuel.
La notion même d’un Occident unifié et homogène ne semble plus pertinente et doit être remise en cause, comme l’affirme Thierry De Montbrial ; rappelons que cette notion d’Occident s’est développée au cours du XXe siècle, et plus particulièrement au cours de la Guerre Froide, pour désigner les pays capitalistes, prétendument héritiers de la civilisation gréco-romaine et des Lumières, en opposition à la fois au bloc socialiste et au tiers-monde. Il s’agit d’englober dans le même espace culturel et civilisationnel l’Europe, l’Amérique du Nord, et les pays anglo-saxons d’Océanie. Or cette aire civilisationnelle apparaît de plus en plus fragmentée. L’Occident est en principe fondé sur des valeurs communes. Toutefois, les différences des pays qui le composent semblent prendre de plus en plus d’importance. Le multilatéralisme par exemple n’est pas perçu de la même manière de part et d’autre de l’Atlantique. Donald Trump, depuis son élection, définit sa politique entre conservatisme et unilatéralisme, s’opposant ainsi fermement à la politique européenne qui prône un multilatéralisme fondé sur la solidarité et les libertés.
L’Occident, chantre de la mondialisation économique libérale, puis de la mondialisation financière, à l’instar des États-Unis et de la Grande Bretagne, sortira sans doute affaibli de cette crise. L’existence de ce modèle de mondialisation fondé sur le libéralisme et le capitalisme financier est aujourd’hui remis en cause, au sein même du monde occidental. Une solution pourrait être d’imaginer une nouvelle définition du multilatéralisme mondial acceptant le postulat de l’hétérogénéité idéologique.
Cette crise sanitaire mondiale pourrait en être le point de départ ; et la logique unilatérale du POTUS pourrait finalement se retourner contre lui et jouer en défaveur de sa réélection. En effet, les oppositions sont de plus en plus nombreuses et affirmées. De surcroît, ses décisions impulsives font polémiques et font réagir de nombreux acteurs contemporains. Depuis la mort de George Floyd, les réseaux sociaux, se positionnent face à Donald Trump. Twitter a signalé deux tweets du Président en y apposant la mention « vérifiez les faits » avant de masquer l’un de ses nombreux messages pour « violation des règles sur l'apologie de la violence ». Snapchat, quant à lui, a annoncé ne plus faire la promotion de ses messages « incitant à la violence raciale ». De plus, Patrice Harris, président de l’American Medical Association affirme que quitter l’OMS n’a aucune logique et que « nous ne pourrons pas vaincre cette pandémie, ou toute autre à l’avenir, sans être solidaires, sans partager nos informations et sans coordonner nos actions ».
Le New York Times titrait en début de semaine Embattled at home, Trump finds himself isolated abroad, too. Donald Trump semble donc rester fidèle à la doctrine américaine vieille d’un siècle « America First ». Cependant, la désolidarisation des États-Unis du reste du monde se fera peut-être à ses dépens. En effet, les chefs d’États européens ne cherchent plus l’approbation du leader américain comme le démontre symboliquement le refus de la chancelière allemande de se joindre au G7 en 2020.
« The old G7 is gone. For Trump it’s not multilateral in spirit but unilateral, just a meeting to serve one purpose — his re-election. »
Ulrich Speck
Créé dans les années 1970 en réponse à un besoin de coopération économique face aux crises financières et pétrolières, le Groupe des Sept (G7) rassemble aujourd’hui encore 7 des 10 premières économies du monde. Aujourd’hui, le Président des États-Unis affirme que le G7 « est un groupe de pays très daté » participant ainsi au démantèlement de la gouvernance mondiale. L’ensemble des chefs d’États du G7 s’oppose, à tour de rôle, cherchant à s’écarter des polémiques et des tentatives de domination américaines.
La situation actuelle nous pousse ainsi à nous questionner sur l’efficacité de la régulation mondiale actuelle. Bertrand Badie, professeur des universités et spécialiste des relations internationales a affirmé à plusieurs reprises que le monde est à la recherche d’une gouvernance qu’il ne parvient à trouver ni dans les institutions régionales ni dans le multilatéralisme global. Le G7 serait ainsi une diplomatie de club, une forme de « régulation oligarchique » réunissant les « plus forts » et les « plus puissants » du monde. La fin du G7 serait-elle ainsi une bonne ou une mauvaise chose pour la gouvernance mondiale ? Cela pourrait être l’occasion de découvrir une nouvelle forme de régulation inclusive et solidaire, cette fois-ci, adaptées aux nécessitées de la mondialisation.
B. La feuille de route de la Chine
La situation dans laquelle la République Populaire de Chine se retrouve aujourd’hui plongée est analogue en certains points à celle du Japon quelques années auparavant.
Jusqu’à l’explosion de la bulle spéculative en 1990, le Japon était promis à devenir un hégémon régional et une hyperpuissance mondiale, capable de concurrencer et d’inquiéter les États-Unis. Le « miracle économique japonais » post- Seconde Guerre Mondiale avait toutefois des racines plus anciennes : il a en effet été permis par les réformes de l’ère Meiji qui, de 1862 à 1912, ont mis fin à 200 ans d'isolement du pays et conduit à la modernisation économique, sociale et industrielle du Japon.
À titre de comparaison, la République Populaire de Chine a elle aussi conduit de telles réformes, mais 100 ans plus tard. En effet, c’est après le « Grand bond en avant » (1958-1960) et la « Révolution culturelle » (1966-1976), que les « Quatre Modernisations » de Deng Xiaoping ont propulsé le pays dans une nouvelle ère économique et politique. Ces réformes, et l’idéologie de conquête, ou de rattrapage qui les sous-tendaient, constituent bel et bien le fondement de la puissance de la Chine contemporaine, ce qui lui a permis de prendre la place de deuxième puissance économique mondiale. Ces quatre modernisations (agriculture, industrie, science, défense) mettent fin à la politique autarcique de Mao et font fi du marxisme dans les faits. Le pays reste une république populaire à idéologie socialiste : le communisme ne reste plus qu’une idéologie sociétale, permettant de maintenir un contrôle totalitaire de la population, tandis que le pays se convertit au capitalisme par le biais du socialisme de marché (le pays devient officiellement une « économie socialiste de marché » ; sic.), adoptant, de facto, une politique économique favorable au libéralisme économique, mais pas financier ou monétaire. La réforme la plus importante est sans doute l’instauration de zones économiques spéciales, des zones franches à régime juridique spécial, afin d’attirer les investisseurs et capitaux étrangers.
Ces réformes chinoises ont permis de combler le retard économique que connaissait la RPC sur un Japon vieillissant, et en crise perpétuelle depuis 1990. Mais la RPC souffre également de certains handicaps structurels qui ne lui permettent pas de s’insérer pleinement dans le système-monde, encore dominé par l’Occident et par ses valeurs quoique souvent discutées. Les événements place Tiananmen en 1989 ont par exemple montré que ce qui aurait pu être la Cinquième modernisation, la démocratie, n’était pour la Chine qu’un mirage : le pays restait et restera totalitaire, les prises de positions récentes de Xi Jinping en témoignent d’ailleurs tout à fait. Les réformes internes à la Chine sont loin d’être accomplies, comme nous avons pu le voir dans la veille précédente : son appareil d’État reste désorganisé, fragmenté et sous-effectif à l’échelle locale ; ses infrastructures nationales sont insuffisantes ; les velléités indépendantistes sont toujours très actives au Tibet et au Xinjiang (et dans une moindre mesure en Mongolie Intérieure).
Aujourd’hui, la dégradation de ses relations avec l’Occident, la crise sanitaire et économique à venir, fragilisent le pouvoir central, aussi bien sur le plan international que national, et l’empêchent de se projeter comme première puissance mondiale à court terme, si tant est qu’elle veuille. Diverses problématiques supplémentaires compliquent la tâche des réformateurs chinois : les rapatriements industriels annoncés depuis la crise Covid, la remise en cause de sa souveraineté à Hong-Kong, l’existence de Taïwan…
La Chine se retrouve ainsi obligée de travailler à nouveau sur elle-même, de corriger ses défauts les plus évidents comme elle l’a fait il y a quelques décennies, pour retrouver à nouveau la confiance internationale et repartir de l’avant. En somme, la « voie chinoise » doit, elle aussi, se réinventer à la faveur de cette crise. Car la dégradation des perspectives avec l’Occident peut durablement casser la dynamique et l’élan chinois ; là se trouve la principale différence avec le Japon : ce dernier avait misé sur un développement profondément autarcique quoique connecté au monde, la Chine a quant à elle choisi de s’insérer très vite et presque entièrement dans l’espace-monde de l’économie occidentale. Aussi, depuis l’ère Meiji – littéralement, «gouvernement éclairé», en référence aux Lumières françaises qui ont inspiré l’empereur – la montée en puissance du Japon s’était accompagnée de réformes supplémentaires qui portent rapidement leurs fruits après-guerre. Ces réformes suivaient les ambitions nippones dans la région, elles-mêmes guidées par son développement économique, militaire, et ses nouveaux besoins en matières premières. Après la Seconde Guerre Mondiale, le Japon a développé son industrie de haute technologie, notamment dans l’informatique l’électronique et l’automobile. Il s’est ainsi bâti un pouvoir d’investissement commercial et financier, et surtout sa culture, son art de vivre, se sont exportés pendant ces décennies de prospérité et le pays a aujourd’hui encore un soft power très important : il reste apprécié dans les relations internationales, si l’on excepte son histoire tumultueuse avec la Chine et la Corée du Sud qui nuisent aujourd’hui encore à leurs relations bilatérales. En revanche, depuis l’arrivée de Xi Jinping, la RPC quant à elle ne semble pas suivre la voie des réformes profondes que nécessitent son système.
La Chine est dans une situation semblable à celle du Japon il y a 30 ans, le soft power et l’efficacité étatique en moins : après avoir grandi, passionné puis inquiété les Occidentaux, elle se retrouve plongée dans une crise qui pourrait n’être qu’un léger obstacle ou bien la fossoyeuse de ses ambitions. L’avenir nous dira dans quelle mesure la Chine imitera son voisin, se réformera et concurrencera à terme l’Occident, au point peut-être d’entrer elle aussi en conflit ouvert avec lui avant de se reconstruire ; ou si elle suivra son propre chemin, quitte à se perdre dans les méandres de son immobilisme interne.
C. l'Union européenne et la post-crise
Souvent, l’Union a avancé en proposant des mécanismes de solidarité nouveaux (le Fonds européen de stabilité financière en 2010 par exemple), en progressant dans l’intégration régionale et les échanges. Face à la perspective d’une dislocation de l’UE, il y a toujours eu un sursaut au dernier moment, les Etats prenant conscience que ce serait la pire des issues.
Aujourd’hui, l’Union est à nouveau à un tournant de son histoire. D’un côté, elle peut parvenir à mettre sur pied un plan de relance d’une ampleur inégalée et inégalable dans le monde ; elle peut en profiter pour montrer la pertinence de son modèle à 27 alors qu’il était secoué par la sortie du Royaume-Uni, reprendre pied dans la course à la mondialisation et s’imposer face à la Chine et aux États-Unis. D’un autre côté, elle peut sombrer dans ses divergences internes, ne pas aller au bout des négociations et montrer les limites d’une table ronde aussi élargie que la sienne. Dans ce cas, l’Europe à plusieurs vitesses fondée sur un noyau d’États plus intégrés et solidaires sera sans doute une solution exploitable, l’UE devenant ainsi le directoire de multiples sous-organisations sectorielles, liées par un projet d’intégration à terme mais de facto indépendantes entre elles.
Chacun des sursauts, dans les crises, ou les grandes avancées, venait d’une initiative franco-allemande et souvent avec le soutien du Benelux : la création de la CECA, le Fonds européen de développement régional en 1975, l’Acte unique européen de 1986, le Traité de Maastricht en 1992, le Pacte budgétaire européen de 2011, le projet de budget commun de la zone euro récemment, et maintenant le plan de relance de l’Union européenne. Cette initiative, reprise et amendée par la Commission européenne il y a deux semaines, propose la relance de l’économie des 27 par l’attribution de subventions et de prêts aux États membres. Elle est adossée à d’autres mesures d’urgence déjà en place, ainsi qu’à la promesse de la BCE d’injecter 1000 milliards supplémentaires dans le système financier européen.
Si la proposition aboutit en ces termes, elle devrait être suffisamment importante pour au moins redémarrer les économies, mais peut-être pas pour réparer complètement tous les dégâts liés à la crise, de près ou de loin. Elle est en tout cas bien supérieure à tous les autres plans ailleurs dans le monde, et devrait être plus efficace grâce au marché commun, mais moins sans mesures de protection de ce même marché. En effet, un pays seul qui propose un plan de relance en distribuant de l’argent à ses citoyens (comme l’ont fait les États-Unis en mars) aide à la reprise de la consommation, mais pas forcément à la reprise du reste de son activité économique. Un Américain qui utilise ses 1000$ du gouvernement pour acheter en ligne des produits étrangers ne rapportera rien à l’État ou aux entreprises américaines, si ce n’est les taxes et droits de douane. Au contraire, en Europe, il est beaucoup plus probable d’acheter des produits venant d’un État membre et qui bénéficiera donc des retombées de cette consommation, les économies des 27 étant forcément plus diversifiées et complémentaires.
Les principaux obstacles à ce plan restent les mêmes qu’auparavant : la difficulté des négociations à 27 (comment faire converger 27 intérêts et économies différentes ?), la montée populiste au niveau européen, l’euroscepticisme et plus largement l’égoïsme national. Déjà, l’utilisation mixée de subventions et de prêts permet de contenter les pays plus réticents (alors que la proposition franco-allemande envisageait uniquement des subventions). Pourrions-nous assister à un nouveau front anti-Bruxelles comme nous avions pu le voir en 2005 ? En France, le rejet de la Constitution européenne était basé certes sur une volonté de sanctionner le gouvernement en place, mais aussi sur une alliance de facto de la droite souverainiste avec la gauche antilibérale. On assiste aussi à une volonté de changement de modèle pour le « monde d’après » et d’un recentrage sur les économies nationales. Il sera alors peut-être moins aisé que prévu d’expliquer aux opinions nationales le bien-fondé d’une relance à coups de centaines de milliards et de collaboration européenne. Cela pourrait sonner comme un double discours hypocrite, où les gouvernements promettent des changements profonds pour le monde de demain mais relancent le “vieux système” et ses institutions. Le Conseil européen des 15 et 16 juin devrait apporter des précisions et des premiers éléments de réponse à ces problématiques, tout comme la communication des institutions communautaires et nationales d’ici là.
II. Une situation mondiale toujours fragile
A. Les avancées médicales et scientifiques
Rassemblement pluridisciplinaire des connaissances scientifiques : une étude démontre une haute affinité de liaison entre la protéine Spike, qui donne sa forme de couronne au Sars-CoV-2, et le récepteur ACE2 des cellules humaines qui permet au virus de se fixer pour infecter ces dernières. Il s’agirait ainsi du produit de mutations et de la sélection naturelle démontrant de l’origine naturelle du virus.
L’anakinra, un nouveau traitement prometteur contre le Covid-19 : d’après une étude du Lancet Rheumatology, ce traitement initialement destinés à des maladies rhumatismales donne des résultats « encourageants » pour les formes graves de Covid-19, réduisant le risque de décès et le besoin d’être mis sous respirateur en réanimation.
L’immunité croisée : diverses études explorent la possibilité qu’une part de la population mondiale puisse être protégée du Covid-19 grâce à une immunité croisée. Cela signifie que le fait d’avoir été infecté par d’autres virus offre une immunité contre le coronavirus SARS-CoV-2 par le développement d’anticorps permettant de combattre l’agent pathogène de l’infection.
Quinine, chloroquine et hydroxychloroquine : ce traitement et ses dérivés, présumés miraculeux depuis le XVIème siècle, proviennent tous de la même molécule. Aujourd’hui, aucun consensus n’existe quant à l’utilité de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19. Qu’il s’agisse des études des Professeurs Raoult et Perronne en faveur de son utilisation, ou de l’étude du Lancet, mettant en cause le traitement : il convient donc de faire preuve de prudence, aucun ne pouvant clôturer fermement le débat.
L’évolution des recherches concernant l’hydroxychloroquine : trois des quatre auteurs de l’étude du Lancet publiée le 22 mai ont retiré leur signature estimant qu’ils ne pouvaient plus « garantir la véracité des sources de données primaires ». La prestigieuse revue médicale a elle-même publié lundi une mise en garde concernant son étude, en pointant diverses failles méthodologiques, avant d’annoncer le retrait complet de son étude. La revue s’est excusée publiquement et affirme ainsi prendre « les questions d’intégrité scientifique extrêmement au sérieux, et il y a de nombreuses questions en suspens concernant Surgisphere et les données qui auraient été incluses dans cette étude ». Par conséquent, l’OMS a annoncé mercredi 3 juin la reprise des essais cliniques sur la molécule.
B. Quid de la seconde vague en Asie ?
Partout en Asie, malgré les inquiétudes liées à une deuxième vague, la levée des mesures restrictives se poursuit.
En Corée du Sud
Après le cluster dans le quartier des discothèques de Séoul, ce sont désormais un centre logistique ainsi que des rassemblements religieux qui sont au cœur de la seconde vague dans le pays. Le 28 mai, la Corée a annoncé son plus grand nombre de nouveaux cas depuis deux mois. Cela a poussé le gouvernement à renforcer les mesures de quarantaine dans la région du grand Séoul le même jour, qui seront en vigueur jusqu’au 14 juin. Toutes les nouvelles infections ont été localisées à Séoul et dans sa région, il n’y a donc pas de seconde vague dans le reste du pays.
Également, la Corée a appelé le Japon à lever ses restrictions commerciales, appel resté sans réponse. Séoul va alors relancer sa plainte auprès de l'OMC sur ces restrictions, qui avait été mise en pause en novembre 2019 en signe de bonne volonté pour des négociations. Enfin, le pays s'attend à devenir un membre officiel d'un G7 élargi, après une promesse du président américain Donald Trump.
Au Japon
Tokyo entre dans la deuxième phase de l'assouplissement des restrictions, mais le gouvernement continue d’appeler à la prudence face à une possible résurgence de l'épidémie. Le système d’alerte de la capitale a été officiellement lancé, alors que le nombre de nouvelles infections a connu un nouveau pic et que les déplacements augmentent. De nouveaux foyers ont été détectés ailleurs dans le pays, particulièrement dans des établissements scolaires, ce qui inquiète l’administration au point d’anticiper une nouvelle vague aussi forte que la première.
Cela interroge sur le choix d’avoir aussi rapidement rouvert les établissements scolaires, choix qui a surtout été décidé pour favoriser le retour des parents au travail et la relance économique. A la bourse, l'espoir d'une relance de l'économie a permis le rebond du Nikkei. Les industries japonaises ont particulièrement souffert du virus, les experts anticipent des dégats sur le très long terme pour l’automobile, malgré les diverses mesures de relance déjà évoquées, celles de préférence nationale ainsi que l’augmentation du salaire minimum pour faciliter la consommation.
Le secteur du tourisme, qui pèse 1% du PIB japonais et devait profiter de l’organisation des Jeux Olympiques cet été (reportés à l’an prochain), va aussi bénéficier du soutien du gouvernement qui prévoit d’importantes subventions pour rendre les tarifs plus attractifs et donc attirer les voyageurs étrangers. Cette initiative sera intéressante à observer, aussi bien pour étudier son efficacité que voir si elle fait des émules dans d’autres pays et débouche sur une guerre des prix à l’international. Le championnat de football devrait également reprendre les compétitions le 4 juillet.
Enfin, le Japon et le Vietnam acceptent de discuter bilatéralement de la levée des restrictions de déplacement entre les deux pays, signe d’une volonté de rapprochement mutuel alors que les États-Unis et la Chine ont perdu de leur influence sur les États de la zone.
C. Sur le continent américain : l'enchaînement des crises
Les États-Unis : une crise systémique ?
La crise sanitaire ne semble être qu’un pan de la crise interne que traversent les États-Unis. La fracture sanitaire et sociale que nous évoquions dans nos veilles précédentes est mise en exergue par les chiffres ; ainsi, au niveau national, le taux de mortalité du Covid-19 est 2,4 fois plus important chez les afro-américains.
Depuis le début de l’épidémie, le taux de chômage aux États-Unis a atteint le taux historique de 14,7% en avril. Tous les domaines sont touchés, et cette situation désastreuse souligne la précarité et les inégalités existantes entre les différentes communautés américaines. Des études soulignent que la communauté Afro-américaine connaît un plus haut taux de maladies chroniques, en plus d’avoir des emplois avec une plus grande exposition au virus.
Jeudi 4 juin, le New Yorker titrait How the Protests Have Changed the Pandemic. Depuis la mort de George Floyd, le 25 mai, de nombreux rassemblements ont lieu dans les grandes villes du pays. Une partie de la population se soulève contre les violences policières récurrentes et ce qu’ils considèrent comme un racisme systémique. Ces deux crises se recoupent sur de nombreux points : la nécessité de construire un réel système de santé équitable permettant de réduire les fractures sociales traversant le pays.
Il convient de soulever la question de la contre-productivité de ces manifestations en pleine crise sanitaire. Quelques semaines auparavant, les scientifiques soulevaient la question de la propagation du virus par des gouttelettes lors des prises de paroles, lors d’une quinte de toux ou d’un éternuement. Aujourd’hui, il faut prendre en compte, dans l’analyse de la propagation, les cris, les chants, les pleurs causés par le gaz lacrymogène utilisé par les forces de l’ordre pour disperser la foule. Lors de ces mouvements, la distanciation sociale est impossible à tenir et le port du masque est peu respecté.
« I carry real guilt about participating. But I’d feel more guilt about being a passive observer. There’s no win-win or easy answer. »
Miranda Yaver, politologue à l’Université de Californie à Los Angeles.
Ainsi, la question de la protection de la population étasunienne est de plus en plus complexe à traiter. Il apparaît invraisemblable de vouloir réduire au silence ces individus qui se soulèvent contre les violences policières menaçant la vie d’une partie de la population. Cependant, il convient de rappeler que l’épidémie continue de tuer sur le sol des États-Unis et que la contestation en cours conduira sans doute à une augmentation sensible des cas de contamination. Les effets négatifs éventuels ne seront visibles que plus loin dans le temps puisque les participants pourraient infecter leur entourage sans manifester de symptômes.
En Amérique du Sud
A ce jour, l’Amérique latine est devenu l'épicentre de la pandémie. Selon les modélisations de l’Imperial College de Londres, la région pourrait cumuler plus de 45 millions de personnes infectées et 158 000 morts d’ici la fin de l’année 2020. Les experts de santé prévoient que le pire est à venir pour la région mais cela n’empêche pas le relâchement des mesures de confinement au Brésil, au Mexique ou encore au Nicaragua. Au 29 mai, la région totalise plus de 884 000 cas et 106 000 nouveaux cas ont été déclarés en une journée au cours de la semaine dernière.
Dans les pays de la région, les mesures de confinement, lorsqu’elles ont été adoptées au niveau gouvernemental, n’ont pu empêcher la population d’aller travailler. Le virus se propage particulièrement dans les zones défavorisées où la densité des habitations ne permet pas de respecter la distanciation sociale.
Au Chili par exemple, des manifestations ont éclaté au mois de mai dans les quartiers précaires de Santiago, alimentant la révolte sociale en cours depuis le mois d’octobre 2019. La situation sanitaire met une nouvelle fois en exergue la fragilité des populations les plus vulnérables : « Si on ne meurt pas du virus, on meurt de faim » clament les habitants réclamant les colis alimentaires promis par le gouvernement.
En Colombie, le confinement a été accepté et respecté par la population. Toutefois, la population colombienne a mis en place le mouvement des « chiffons rouges de la faim » qu’ils agitent à leurs fenêtres.
La crise sanitaire d’une ampleur sans précédent se développant sur le continent sud-américain se couple à une crise alimentaire soulignant les fractures sociales traversant la région. Selon les données du programme des Nations unies pour le développement, l’insécurité alimentaire concerne encore 14 000 000 de personnes dans cette région pour l’année 2020.
D. La poursuite du déconfinement en Europe et en Russie
En Union Européenne
Parmi les pays européens, la Belgique est le pays dont le taux de mortalité par habitant est de loin le plus haut. Il n’est cependant pas certain que cela tienne à une mauvaise gestion de la crise plutôt qu’à une méthode de comptage plus proche de la réalité que ses voisins. Les différences de stratégie de test et de décompte des cas rendent difficile la comparaison entre les pays, alors que la sortie de crise du continent est à venir.
Le Royaume-Uni, dont la gestion de crise est un peu décalée dans le temps de celle du continent, vient de dépasser le cap des 50 000 morts et commence l’assouplissement de ses mesures de confinement. Le double effet du Brexit et du virus pèse lourd dans la gestion de la crise et sur l’économie britannique : le pays se retrouve isolé des initiatives continentales et seul face à la crise économique à venir.
La relance économique du continent continue de se heurter aux réticences des « quatre frugaux » qui ne veulent pas que les pays les plus vertueux financièrement continuent de payer pour les autres. Dans le même temps, les diverses annonces de relance portées par Angela Merkel ne sont pas totalement soutenues en Allemagne. En somme, nous risquons de retrouver peu à peu le même schéma que celui de la crise des dettes souveraines en 2011, où les pays du nord étaient réticents à aider les « PIGS » du sud (Portugal, Italie, Grèce, Espagne), et où les initiatives européennes sont écartées ou minimisées.
En Italie, le manque de coopération européenne en début de crise continue d’être critiqué, et laisse planer un malaise sur les relations bilatérales du pays avec ses voisins. Aussi, un nouveau mouvement populiste a manifesté samedi 30 mai dans plusieurs villes. Ce mouvement associé à l’extrême droite profite de la crise pour occuper le devant de la scène. Il proteste contre les restrictions sanitaires et réclame une sortie de l’euro.
En Russie : un déconfinement progressif
Réticent a priori, Vladimir Poutine a pris des mesures radicales visant à freiner la propagation du virus sur le territoire russe dès le 25 mars 2020 comme l’avait évoqué une veille spécifique de l'Institut sur la gestion de la crise par la Russie. Passant de plusieurs semaines « chômée » à un réel confinement, le Président de la Fédération de Russie a pris des mesures drastiques. La population russe ne pouvait sortir de son logement à moins de se rendre au travail, à la pharmacie ou au supermarché le plus proche. La Russie demeure encore aujourd’hui un des plus touché au monde par le Covid-19 avec 432 277 personnes atteinte et 5 215 décès officiel au 3 juin. Toutefois, le pays amorce un déconfinement progressif depuis le 1er juin.
A Moscou, par exemple, de nombreuses mesures visent à ce que la population reprenne un rythme de vie « normal ». Une étude du Courrier de Russie énonce ces différentes mesures encore strictes bien que les commerces et les parcs rouvrent leurs portes depuis le 1er juin. Toutefois, les sorties des moscovites (non contaminés) sont limitées. La mairie a attribué aux habitants des dates alternées de sorties qui s’effectuent individuellement, trois jours par semaine de 9h à 21h dans un rayon de deux kilomètres autour de leur logement. De plus, le port d’un masque et de gants est obligatoire pour toute sortie.
La Fédération n’a pas atteint le pic de l’épidémie, au niveau national, le nombre quotidien de contaminations oscille entre 8 300 et 9 700 personnes par jour ces deux dernières semaines. Le pays, si prudent dans ses décisions concernant la situation sanitaire depuis le mois de mars, se voit pourtant dans l’obligation de relancer son économie. En effet, 60% de la population russe affirme ne pas disposer d’épargne, les 800 000 chômeurs supplémentaires depuis le mois d’avril n’ont touché leurs allocutions qu’à partir de mi-mai, les parents d’enfants âgés de 3 à 16 ans perçoivent une prestation exceptionnelle de 10 000 roubles seulement depuis le 1er juin. De plus, de nombreux secteurs se sont écroulés comme les ventes d’automobiles et de vêtements (-72% et -90%) et le marché de la restauration (-45%). Enfin, le ministre de l’Économie a annoncé une probable récession à hauteur de 5% du PIB à la fin de l’année en cours. La Fédération a donc besoin d’une relance de l’économie pour sortir de la crise mais la consommation ne devrait pas être très haute pour les prochains mois tant le pouvoir d’achat et l’épargne en Russie sont faibles.
Le pouvoir central russe a longtemps refusé de prendre en main la lutte contre le Covid-19. Les mesures de confinement ont donc été durcies au niveau local. Des dissensions ont éclaté au sein des élites dirigeantes et l’organisation politique de la Fédération de Russie s’en est trouvé impactée. Deux faits en particulier semblent mettre en exergue une potentielle mise en retrait du Kremlin :
L’Église orthodoxe s’est longtemps opposée à la fermeture des lieux de cultes. Cette opposition exceptionnelle de l’Église au pouvoir exécutif laissera sûrement des traces entre les deux institutions.
Certains gouverneurs, comme Ramzan Kadyrov pour la Tchétchénie, ont prononcé la fermeture des routes, empêchant ainsi l’accès à la République. La liberté de circulation interrégionale garantie par la loi fédérale défendue par le Premier ministre Mikhaïl Michoustine, se heurte à la protection des habitants de la république. Le Kremlin a choisi de ne pas trancher la question, signant ainsi un rare aveu de faiblesse.
Les questions politiques gardent en temps de crise sanitaire une place centrale dans la Fédération de Russie. Le référendum d’adoption de la réforme constitutionnelle initialement prévu pour le 22 avril se tiendra le 1er juillet. Cette réforme, d’ores-et-déjà validée par les deux chambres du Parlement, vise à donner à Vladimir Poutine la possibilité d’effectuer deux mandats supplémentaires à partir de 2024. Âgé de 67 ans et au pouvoir depuis 2000, Vladimir Poutine pourrait donc y rester jusqu’en 2036. Politiquement en Russie, le vote de cette réforme est une nouveauté politique puisqu’il n’est pas nécessaire mais le Président russe s’est engagé à ne pas la mettre en œuvre si la population votait non : il s’agit là d’une forme de césarisme plébiscitaire qui tranche avec l’autoritarisme de Xi Jinping par exemple, qui a pourtant lui aussi assuré sa longévité politique par des réformes constitutionnelles.
III. La situation en France
L’épidémie de Covid-19 a encore causé 44 nouveaux décès dans les hôpitaux en France, portant le bilan total à 29 065 morts depuis le début de l’épidémie. Vendredi 5 juin, Professeur Jean-François Delfraissy, le président du conseil scientifique, a déclaré que l’épidémie de Covid-19 est actuellement « contrôlée » sur le territoire français. Le conseil scientifique est encore aujourd’hui chargé de guider les pouvoirs publics dans la gestion de la crise sanitaire. Quatre scénarios probables avaient été préparés, allant d’une «épidémie sous contrôle» à une « dégradation critique ». A ce jour, « c’est le scénario numéro un, c’est-à-dire un contrôle de l’épidémie, qui est le plus probable » selon le Conseil. le virus semble disparaître peu à peu en France, 11 départements n’ont recensé aucun nouveau cas depuis une semaine.
Depuis le 2 juin, la vie des français reprend progressivement son cours. La plupart des commerces et des centres commerciaux ont pu rouvrir, et la fin des mesures restrictives sur le plan national est prévue au 22 juin. Après cette date, il ne restera plus que la question de l’ouverture des frontières à traiter.
Pour accompagner cette reprise de la vie normale, nombreuses sont les mesures prises par les commerçants et lieux accueillant du public : obligation parfois du port du masque, désinfection obligatoire des mains, limitation du nombre d’entrées simultanées dans le commerce, distanciation… Ces précautions, si elles sont évidemment suivies par les professionnels, risquent de l’être un peu moins par le public : à la faveur des déclarations gouvernementales et du relâchement général des restrictions, nombreux sont ceux qui pourraient croire que l’épidémie est complètement terminée et ne feraient plus attention du tout. Il reste également difficile de prévoir l'arrivée d'une deuxième vague de l'épidémie qui, selon les scientifiques, serait saisonnière.
L’endiguement de l’épidémie ouvre également la voie aux premiers retours d’expérience pour l’Etat et son administration sur la gestion de la crise. Par exemple, la rigidité de l’administration française, l’aurait rendue plus difficile. Aussi, la France a du mal à atteindre son objectif de 700.000 tests par semaine, tout comme à connaître le nombre de soignants infectés.
Le pouvoir en place semble aussi fragilisé, un nouveau groupe parlementaire dissident à LREM ayant été formé cette semaine. Alors que se profile le second tour des élections municipales, le parti au pouvoir ou ses anciennes figures se retrouvent forcés de former des alliances pour se maintenir, parfois même avec la droite dure comme à Lyon. De nombreuses alliances ont été scellées avec la droite, mais aucune avec la gauche.
IV. Pour approfondir les thèmes d'actualité : une sélection d'articles choisis par la rédaction
El Pais, La mascarilla choca con la cultura occidental, mai 2020 : Le masque de protection se heurte à l’individualisme occidental
Le Monde diplomatique, Aux États-Unis, rien ne changera fondamentalement, juin 2020
Spiegel International, A Perfect Storm : Democracy on the Defensive in Trump's America , 5 juin 2020
Spiegel International, Pandemic Class Warfare : Coronavirus Spread Lays Bare Underlying Inequalities, 5 juin 2020
Spiegel International, A Foreign Policy Conundrum : Merkel and the EU Trapped between China and the U.S., 4 juin 2020
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