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Taïwan : l'exemple d'un dragon asiatique dans la lutte contre le Covid-19

institutcrises
Par Alexandra CATALDI & Sacha POPOVICI

L’île de Formose ou plus communément appelée Taiwan, a connu un essor considérable dans les années 60-70 en suivant l’exemple du Japon. Après l’arrivée massive des nationalistes en 1945 portés par Tchang Kai Chek, l’État insulaire est devenu la tête de pont d’une révolution anti-communiste. Disposant d’un siège au conseil des Nations Unies jusqu’en 1971, le statut de Taiwan a longtemps été discuté et la reconnaissance du peuple taiwanais par la communauté internationale n’a jamais été déclarée. Mais, le territoire taiwanais revendiqué  par la République Populaire de Chine a toujours montré sa volonté de couper tout lien avec la Chine Continentale. Chaque année le président de l’Empire du Milieu réaffirme ses velléités et sa position quant à la question taïwanaise et souvent sur un ton menaçant : « La Chine doit être réunifiée et le sera, l’indépendance de Taïwan ne pourra conduire qu’à une impasse […] nous ne promettons pas de renoncer au recours à la force et nous nous réservons le droit de prendre toutes les mesures nécessaires» [1]. Après la rétrocession de Hong Kong en 1997 et de Macao en 1999, l’objectif de la Chine est de réintégrer Taiwan dans le giron national mais depuis 2016 et l’élection de la présidente Tsai Ing-Wen, pro-indépendantiste, les relations entre Pékin et Taipei se tendent. La leader taiwanaise a toujours rejeté le concept « One China, Two systems » qui suggère d’unifier l’île au continent en déclarant qu’Hong-Kong est en proie au chaos et en défendant la démocratie et la souveraineté du territoire insulaire.


Au même titre que la Corée du Sud, Singapour ou Hong-Kong, l’île est devenue un pays atelier qui a choisi des niches, la rendant incontournable pour l’informatique américaine. De plus, le gouvernement de Taipei a toujours joui de relations étroites avec les Etats Unis d’Amérique notamment en termes de protection militaire.


Dans le cadre de la gestion de la pandémie du COVID-19 qui s’est initialement déclarée à Wuhan, Taiwan a fait preuve de réactivité en prenant des mesures strictes et ciblées dès janvier. A compté de cette période, le territoire a automatiquement misé sur des actions drastiques révélant au reste du monde sa « non-dépendance » du gouvernement de Pékin. Tous les vols en provenance de la Chine continentale ont été interrompus et chaque passager venant de l’étranger a été soumis à une période d’isolation stricte de quatorze jours. Ainsi il convient d’analyser les multiples stratégies engagées dans la lutte contre le coronavirus par la République de Chine. L’exemple de Taiwan semble être intéressant puisque « le commandement central, couplé à la transparence et le big data, a permis une remarquable résilience » [2].



Une 'culture du masque' combinée à un système de santé très singulier


De nombreuses questions sont soulevées afin de comprendre comment l’île n’a pu que recenser 429 cas [3] et 6 décès sans transmission d’informations de la part de l’Organisation Mondiale de la Santé [4] et sans avoir recours au confinement total. Taiwan se targue d’avoir rapidement mis en place des mesures efficaces notamment après avoir tiré des leçons de l’épidémie du SRAS [5] qui avait particulièrement touché les hôpitaux taïwanais. Un aspect important de la gestion de crise à Taiwan dans la lutte contre le COVID-19 semble se distinguer notamment avec « l’insistance et la nécessité de porter des masques » [6].

Au-delà d’une « culture hygiéniste » ou d'une « culture altruiste » selon la théorie des valeurs asiatiques du leader Singapourien LEE KUAN YEEW qui met en lumière le bien de la société primant sur l’individu ; l’île a créé une véritable économie nationalisée autour de ce bien. Missionnées par le gouvernement, les usines de production fonctionnent à pleine activité puisque 13 millions de masques seraient produits par jour [7]. De plus, le rationnement de ce bien sanitaire est scrupuleusement contrôlé dans le but d’éviter les achats qui succèdent à la panique. C'est pourquoi, dès février ce rationnement s’est accompagné de mesures draconiennes puisque les masques n’étaient disponibles qu’en pharmacie ou commerces médicaux.


Parallèlement, les leçons tirées du SRAS ont été bénéfiques puisque l’île avait souffert de la perte de nombreux citoyens en 2003. Sur un total de 83 cas confirmés, 37 sont décédés de cette maladie [8]. En réponse à cette pandémie du début du siècle, le gouvernement a doté le pays d’un nouvel organe spécialisé dans la gestion des crises de cette ampleur à l’échelle national, le Centre de Commande Nationale de la Santé [9]. C’est ce même organe qui fut à l’origine de la création, dès janvier 2020, d’une structure interministérielle pilotée par le ministre de la santé [10]. Plus communément appelé sous le nom de « quartier général de lutte contre les épidémies », cet organe présente les actions prises par le gouvernement taiwanais pour lutter contre le CoViD-19. C’est au sein de cet organe ministériel que les plans d’actions sont menés afin de répondre à l’ampleur de la crise. C’est également ici que le protocole de mise en isolation a été pensé et mis en œuvre. L’utilisation des technologies est la solution que le CECC préconise en période de crise afin de favoriser le traçage et le recoupement de données des personnes infectées et placées en quarantaine. Enfin, l’archipel reste encore très novateur puisque c’est le seul pays au monde où les décisions sont centralisées. Ainsi, la transparence du gouvernement de Taipei est de mise et il est aisé de comprendre comment le CECC coordonne de nombreux ministères (transports, économie, travail) dans le but de contre-attaquer une nouvelle crise de santé publique.



Une gestion de crise axée sur la surveillance numérique ou le «tracking»


Avec une population avoisinant les 23 millions d’habitants et une grande proximité avec la Chine, Taiwan semble résister à la crise mondiale et ce, sans démériter. Au même titre que son voisin sud-coréen, l’île a décidé d’endiguer ou du moins de limiter l’expansion de l’épidémie en misant sur la surveillance numérique et sur sa maîtrise des technologies à hauts potentiels. Grâce à l'utilisation du Big Data et d’un croisement des données provenant de l’Agence National de l’Immigration, chaque patient revenus d’une zone dite «à risques» est pris en charge au travers un circuit distinct afin de limiter les contacts avec les autres patients. De plus, avec l’aide des opérateurs mobiles, chaque nouveau cas confirmé sera détecté par le signal de son mobile et ce même procédé est effectué lorsqu’une personne est placée en quarantaine. Le plus innovant reste l’ajout de chatbot [11] au suivi GPS spécialisé dans la surveillance et le suivi médical des patients confinés.


Pour finir, ce suivi à la trace a été instauré dans une dynamique de rationnement des masques mis à disposition puisque seuls 3 masques sont donnés par adultes et 5 pour les enfants par semaine [12]. Ce nombre est à discuter puisque selon des scientifiques français le changement d’un masque doit s’effectuer toutes les quatre heures. Ce rationnement est effectué grâce à une validation par les citoyens de leur carte d’assurance maladie à chaque passage en pharmacie. Pour finir, la surveillance numérique est utilisée à des fins de limitation des inégalités d’accès aux masques mais également à des fins de limitations d’attente devant les pharmacies [13]. Pour cela, il a été mis en place une application cartographique qui actualise en temps réel l’approvisionnement des pharmacies et le stock de masque de ces dernières.


Ces diverses mesures appliquées en Corée du Sud et à Taiwan suscitent l’attention des pays occidentaux comme la France qui privilégie seulement la technologie de la télémédecine. Il est actuellement question de lancer un outil numérique « s'inscrivant dans une stratégie globale de gestion de la crise sanitaire et du suivi épidémiologique » [14] : STOPCOVID, piloté par l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI). Contrairement à Taiwan, cette application serait basée sur le Bluetooth et surtout sur le volontariat afin d’assurer un respect de la vie privée et du secret médical.


Quid de l’impact des libertés individuelles lorsque les nouvelles technologies peuvent définir notre localisation et disposer de nombreuses données personnelles ? Pour les Etats Européens, le RGPD [15] encadre la collecte des données personnelles mais en Asie, et plus particulièrement à Taiwan ce cadre légal n’existe pas, permettant une plus large liberté de manœuvre. L’utilisation des données de la population taiwanaise ne semble pas être perçu comme une ingérence du droit individuel. Les habitants ne s’inquiètent pas de voir restreindre la vie des uns pour protéger celle des autres. Ces valeurs, pétries du confucianisme, combinées à la délation, montrent que le contrôle social prime sur le contrôle numérique. La peur d’enfreindre les règles et l’exposition médiatique que cela engendre suggère un éventuel déclassement social [16] que peu de taiwanais veulent affronter.



Le principe de prudence sans certitude comme doctrine dominante


Comme la plupart des pays à la primo-identification du virus, l'île de Taiwan ignorait la teneur exacte et les conséquences que la pandémie de CoViD-19 . Ne voulant pas revivre le scénario du SRAS décrit précédemment, le pays se préparait depuis un moment à la survenance d’une épidémie en provenance de la République Populaire de Chine. C’est là que le principe de prudence sans certitude fait réellement son apparition. Le déclenchement du centre le 20 janvier 2020 [17] entraîne des contrôles aux frontières alors même que la ville de Wuhan, premier épicentre n’était pas encore bouclé. Elle assortit ce contrôle d’une interdiction d’entrée sur le territoire de l’intégralité des ressortissants chinois quand l’intégralité des compagnies aériennes internationales assuraient encore la totalité de leurs vols en Chine [18].


Le reste du monde ne croyait pas en l’idée d’une pandémie et l’OMS déconseillait les mesures de restriction de voyages estimant le virus à un stade de gravité moindre. Mais Taiwan va sciemment aller contre les indications de l’OMS en appliquant des restrictions de voyage systématique. Une pensée à contre-courant alimentée par le principe de prudence sans certitude sur la maladie mais aussi par la méfiance vis-à-vis de l’OMS considérée comme trop proche de la République Populaire de Chine. Taiwan a contenu l’expansion de la maladie durant ce laps de temps lui permettant de gagner de précieuses semaines pour augmenter son stock de masques, de respirateurs ou encore de blouses jetables afin d’être en mesure de lutter efficacement contre la pandémie. Cela est mis en lumière par Jason Wang du Journal of the American Medical Association (Jama) qui estime que par les 124 mesures initiales, l’île a directement écrêté un éventuel pic épidémique, permettant une gestion plus sereine de la crise [19]. Taiwan a également couplé son appareil institutionnel avec la capacité de produire elle-même son matériel médical. Parmi les éléments notables des 124 mesures figurent la politique du testage massif de la population, les restrictions de voyage vers les clusters mais surtout la coordination de son appareil industriel afin d’assurer un apport constant en équipements.


Une capacité de réponse renforcée par une production locale des équipements médicaux au service de la 'diplomatie du masque'


Ce fait s’avère vital dans la gestion de l’épidémie menée par Taiwan, en effet, elle ne rencontre pas le problème de l’importation du matériel. C’est un atout majeur à l’heure où les puissances du G20 se sont lancées dans une course à l’importation de matériel médical comme les médicaments ou les équipements de protection individuels, donnant lieu à un bras de fer géopolitique. Or, la course à l’équipement médical puise dans la ressources politiques et financières des Etats. En plus de gérer l’épidémie, les Etats se retrouvent sous le coup de potentielles crises diplomatique engendrée par les tensions d’approvisionnement.

Pour ce faire, Taiwan dispose d’un large appareil de production médicale “inhouse” avec 413 fournisseurs locaux produisant près de 3.000 références différentes allant des respirateurs jusqu’aux combinaisons de protection à usage unique [20]. Cela permet à l’île, malgré sa faible superficie d’être le second producteur mondial de masques chirurgicaux avec 13 millions de masques de ce type produits par jour [21]. Cette capacité a été rendue possible par le principe de prudence sans certitude citée précédemment, ce qui a rapidement permis d’atteindre une telle quantité journalière. L’industrie médicale à Taiwan occupe également une place très importante car le risque pandémique est pris en compte aussi sérieusement que le risque de guerre. Taiwan a donc développé ces 30 dernières années un complexe « médical-industriel » capable afin de garantir son autonomie et sa souveraineté en temps de crise sanitaire.

Cette moindre interdépendance permet également de réduire les tensions internes sur le territoire, à l’inverse de l’Europe où la « guerre de l’équipement » agite davantage l’opinion publique, accentuant la pression sur les gouvernements. Cela représente enfin un atout géopolitique pour Taïwan car elle devient exportatrice nette de matériel médical et a choisi la stratégie du don plutôt que de la vente afin de prendre le contrepied de la République Populaire de Chine voisine sur la question de la 'diplomatie du masque'. Elle espère par ce biais tirer parti de la crise en espérant une meilleure reconnaissance internationale en échange de son matériel et espère affaiblir la pression exercée par son voisin chinois à son égard. Chose qui pourrait à terme porter ses fruits car la présidente de la Commission Européenne Ursula Von Der Leyen a tenu à remercier personnellement l’Etat de Taïwan sur Twitter pour l’envoi de 5,6 millions de masques à destination de l’Union Européenne [22]. Même si la Chine a été remerciée également pour son soutien et pour la réalisation de pont aérien, Taïwan a été citée distinctement par une instance internationale, renforçant ainsi son aspiration à l’indépendance.


Taïwan se distingue ainsi par sa singularité de la gestion de la pandémie, n’ayant pas eu à imposer un confinement et en pleine possession de sa souveraineté médicale elle a su jusqu’à présent contenir la pandémie. Aidée par des institutions pour une résolution efficace de la crise et la bonne répartition des ressources, elle pourrait à la fin de la crise devenir un modèle pour nombre d’Etats afin d’anticiper et de contenir une prochaine pandémie ou la survenance éventuelle d’une seconde vague.


 

[1] La Croix, Taiwan n’a jamais appartenu à la République Populaire de Chine, [en ligne], disponible sur : https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Taiwan-jamais-appartenu-Republique-populaire-Chine-2020-01-10-1201070896

[2] Antoine Hasday - Stanford Health Policy, consulté sur: https://korii.slate.fr/et-caetera/taiwan-strategie-efficace-contre-coronavirus

[3] Taiwanese Center For Disease Control [en ligne], disponible sur: https://www.cdc.gov.tw/En/Bulletin/Detail/qb_2AVZZf1N9pVR7WPR29w?typeid=158

[4] Libération, Taiwan en pointe dans le bras de fer contre le Covid-19 [en ligne], disponible sur : https://www.liberation.fr/planete/2020/03/09/taiwan-en-pointe-dans-le-bras-de-fer-contre-le-covid-19_1781060

[5] Syndrome respiratoire aigu sévère

[6] Institut Montaigne [en ligne], Mathieu Duchâtel Coronavirus: l’Asie Orientale face à la pandémie - la réponse rapide, minutieuse et numérique de Taiwan, [consulté le 9 avril 2020[, disponible sur: https://www.institutmontaigne.org/blog/coronavirus-lasie-orientale-face-la-pandemie-la-reponse-rapide-minutieuse-et-numerique-de-taiwan

[8] Taiwan National Infectious Disease Statistics System, Trend of the SRAS on 2003, https://nidss.cdc.gov.tw/en/SingleDisease.aspx?dc=1&dt=1&disease=SARS

[9] National Health Command Center (NHCC), Response to COVID-19 in Taiwan Big Data Analytics, New Technology, and Proactive Testing, Jason WANG https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2762689?resultClick=24

[10] Central Epidemic Command Center (CECC)

[11] Intelligence artificielle développée dans les années 50 dont la possibilité est d'interagir avec les utilisateurs on-line

[12] Arte, Taiwan : l’expérience COVID-19, un modèle ? [en ligne]

[13] Ibid [14] Communiqué de presse de l’ANSSI - Application StopCovid – L‘ANSSI apporte à Inria son expertise technique sur le volet sécurité numérique du projet [en ligne], disponible sur : https://www.ssi.gouv.fr/uploads/2020/04/anssi-communique_presse-20200427-application_stopcovid.pdf

[16] Déclassement social : sortir de sa position sociale et se retrouver dans une classe inférieure.

[18] Different travel restrictions in China due to CoViD-19 https://www.thinkglobalhealth.org/article/travel-restrictions-china-due-covid-19

[19] National Health Command Center (NHCC), Response to COVID-19 in Taiwan Big Data Analytics, New Technology, and Proactive Testing, Jason WANG https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2762689?resultClick=24

[20] Site officiel référençant les différents producteurs d’équipements médicaux à Taiwan en version anglaise https://www.taiwantrade.com/products/search?word=medical+equipment&type=product&style=supplier

[21] Article de Radio Taiwan International du 23 mars 2020 https://fr.rti.org.tw/archives/113184

[22] Déclaration d’Ursula Von Der Leyen au sujet du don de masques par Taiwan, 1er Avril 2020 https://twitter.com/vonderleyen/status/1245399247232684034

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