Par Mohamed Badine EL YATTIOUI
Le 2 octobre les Colombiens devront ratifier par voie référendaire l’accord de paix signé par le président Santos et les FARC. Le pays semble divisé et l’ancien président Alvaro Uribe (dont Santos a été le ministre de la Défense) mène les partisans du « non ».
De nombreuses questions se posent. Les quatre principales sont le désarmement des FARC et leur intégration ou non au jeu politique, la question judiciaire, le trafic de drogue et la réforme agraire.
La première concerne donc le dépôt des armes par les FARC après cinq décennies de conflit armé et les modalités de leur participation aux élections. Afin de garantir la fin des hostilités de manière définitive, l’abandon d’armes et le retour des FARC à la vie civile, vingt trois zones transitoires (ZVTN) et huit campements seront créés. À l’intérieur de ces zones l’État réalisera des formations pour la réintégration des rebelles à la vie civile.
De plus, ils pourront créer un parti politique, obtenir un abaissement du seuil de voix permettant d’être représentés, être assurés des mêmes garanties que les autres partis et finalement, avoir un accès équitable aux médias. Ensuite, le gouvernement s’engage à réaliser des réformes constitutionnelles permettant au nouveau parti politique de présenter des candidats au Congrès (Sénat et Chambre des Représentants). Afin de faciliter leur incorporation, un fonds économique (ECOMÚN) sera créé, puis postérieurement à la validation de l’accord sera créée une Commission Nationale qui garantira le démantèlement de toutes les organisations criminelles, ainsi qu’une unité spéciale pour les mesures décrétées par la commission mentionnée. La controverse réside dans le fait que ceux qui pendant plus de cinquante ans ont utilisé la violence et le trafic de drogue, soient ceux qui « définissent » la politique pénale colombienne.
À cela, ajoutons que les FARC se verront allouer 15 % du budget prévu annuellement par l’État à l’ensemble des partis politiques. Ce qui gêne les opposants au texte c’est que les FARC recevront plus de subventions publiques que le Pôle Démocratique, la MIRE et l’Alliance Verte réunis, sans avoir obtenu la moindre voix.
Enfin, une mission électorale entrera en fonction immédiatement après la signature de l’accord final et dans un délai de six mois présentera ses recommandations. Sur la base de celles-ci, les ajustements normatifs et institutionnels nécessaires seront décidés. Dans les zones spécialement affectées par le conflit, le gouvernement s’engage à créer seize « circonscriptions transitoires spéciales de paix » et d’y faire élire un Représentant pour la Chambre dans chacune d’elles, et ce pour deux mandats soit huit années. Ces circonscriptions disposeront de règles spéciales pour l’inscription et l’élection de candidats, de plus elles auront un financement spécial. Alors que la chambre basse compte cent soixante cinq membres, ces « élus spéciaux » en représenteront quasiment 10%, ce qui peut laisser dubitatif sur le nombre de sièges réservés.
La question judiciaire est tout aussi épineuse. L’accord prévoit la création d’un Système Intégral chargé de la réparation aux victimes et la création d’une Juridiction Spéciale pour la Paix chargée de la procédure de jugement des crimes. Auxquels s’ajoutent la création d’une unité pour la recherche de personnes disparues (UBPD) du fait d’actions d’agents de l’État, de membres des FARC ou de n’importe quelle autre organisation, et la mise en place d’une unité spéciale, avec un caractère exceptionnel, transitoire et une forte participation des victimes. L’UBPD dirigera et coordonnera les recherches afin de localiser les personnes portées disparues ainsi que, pour les personnes décédées, l’identification et la remise des corps ou restes aux familles.
Le Tribunal pour la Paix sera composé de vingt quatre magistrats (quatre pourront être étrangers). Ceux qui décident de ne pas reconnaître leurs crimes malgré les preuves seront soumis à une peine privative de liberté de quinze à vingt ans. De plus, ceux qui reconnaitront tardivement la vérité auront jusqu’à huit ans de peine privative de liberté. Les délits qui pourront être amnistiés seront ceux relatifs aux délits politiques. Le gouvernement devra faire voter une loi d’amnistie qui établit une liste précise de délits sujets d’amnistie et de grâce.
Les drogues ont alimenté et financé le conflit armé. C’est la raison pour laquelle le plan de paix s’occupe des causes et des conséquences du trafic de drogues et vise à améliorer la qualité de vie des communautés affectées par le phénomène, de la reconnaissance de la consommation comme un problème de santé publique et de l’intensification de la lutte avec les organisations criminelles liées au trafic. Les parties reconnaissent que les cultures sont génératrices de violence, et elles ont convenu de la création du Programme National Intégral de Substitution de Cultures d’Usage Illicite (PNIS). Le gouvernement s’engage à mettre en application un plan d’action immédiat consistant à accentuer le développement par l’État des communautés impliquées dans le phénomène de la production de drogues, afin de garantir leur sécurité alimentaire si elles acceptent l’Accord de substitution. Le programme prévoit que la consommation sera traitée comme un problème de santé publique. La participation communautaire est requise. Un système de suivi et d’évaluation sera mis en oeuvre. À cela s’ajoute la lutte contre le crime organisé afin de générer les conditions de sécurité nécessaires pour la construction de la paix. Il y aura un renforcement des capacités d’investigation contre eux. La politique de substitution de cultures conditionnées est fixée à deux ans dans ces communautés paysannes. Deux ans durant lesquels le trafic de stupéfiants ne sera pas poursuivi pénalement, ce qui incarne un énorme enjeu car selon le camp du « No » il s’agit d’une « légalisation temporaire » dans la pratique. De plus, on ne sait pas bien combien peut coûter la substitution de cultures et l’accord ne l’évoque pas.
La réforme rurale, pour finir, a été l’un des éléments les plus compliqués à négocier. De ce fait, la Réforme Rurale Intégrale (RRI) est définie comme la compilation d’une série de réformes universelles à l’ensemble du territoire colombien pour tenter d’en finir avec les causes historiques du conflit. Il y est mentionné la volonté de construire des politiques qui permettent l’intégration entre les régions, réduire les disparités entre monde urbain et monde rural. L’accord se développe autour de trois sujets fondamentaux : l’accès et l’usage de la terre, l’investissement dans les infrastructures, la santé et l’éducation, et les mécanismes d’appui à la production agricole. La Réforme Rurale Intégrale, déclinée en Plans Nationaux, se fixe comme objectif ambitieux l’éradication de la pauvreté extrême et la réduction de la pauvreté rurale de 50 % en dix ans. De plus, afin de conseiller et d’accompagner le gouvernement dans l’exécution du programme de réconciliation et la construction de la paix, un Conseil National sera créé pour la Réconciliation et la Cohabitation, et sera intégré par des représentants du Gouvernement, des partis politiques, les corporations, des paysans et l’Église, entre autres ; ainsi que des Conseils pour la Réconciliation à un niveau territorial. Une formation sera également réalisée aux fonctionnaires et aux élus pour « la propagation d’une culture de paix ».
Comments