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Venezuela, une crise totale

Dernière mise à jour : 6 mai 2020


Par Léa CUCHOT

Au Venezuela, un enchevêtrement de facteurs contribue progressivement à alimenter une crise complexe, multiscalaire et multifactorielle. Une crise politique insoluble s’agrégeant à une crise économique prolongée, couplées à des tensions sociales, sanitaires et humanitaires ; le Venezuela semble sombrer dans l’abîme.  


Des éléments crisogènes multiples


La situation de la « Terre de Grâce » [1] est déjà fragilisée depuis quelques années, alternant et parfois cumulant des crises de diverses natures. Ainsi, la crise vénézuélienne actuelle ne peut pas être résumée aux éléments politiques conjoncturels qui la composent mais doit aussi interroger les éléments crisogènes structurels qui paralysent le pays.


La crise actuelle et les répercussions humaines


Incontestablement, comme le théorise Patrick Lagadec [2], la crise est un phénomène déstabilisateur ayant comme principal défi le traitement de problématiques sortant de cadres habituels, le franchissement du point de rupture engendrant de facto une discontinuité entre la situation pré-crise et la situation de crise. Dans le cadre de la crise vénézuélienne, la coupure d’électricité générale due à la panne d’une des principales centrales hydroélectriques a plongé Caracas et l’intégralité du pays dans l’obscurité. Cet incident imprévisible a eu des conséquences dramatiques immédiates. De la rupture de l’approvisionnement en eau potable aux pénuries massives des biens de premières nécessités et de consommation courante, la situation sociale et humanitaire est en détérioration croissante.


Ainsi, s’appuyant sur les études effectuées par Abraham Maslow [3] sur les besoins fondamentaux de l’être humain, le cas vénézuélien est symptomatique de la rupture des besoins physiologiques – hydratation, alimentation – ainsi que des besoins psychologiques – stabilité, sécurité. Pourtant constitutifs de la base de la pyramide, ces besoins vitaux ne peuvent être satisfaits. Ainsi, ces substances théoriques, transposées au présent cas, mettent en lumière la gravité et le caractère urgent de la crise vénézuélienne. Dans ce contexte, l’état d’équilibre – c’est-à-dire de fonctionnement normal – propre à toute organisation étatique se mue en état de crise dans lequel toutes les composantes, y compris les citoyens, sont affectées.


Cependant, cette crise humanitaire n’est pas une donnée nouvelle dans le paysage sociétal vénézuélien. En effet, selon le Rapport mondial 2019 de Human Rights Watch, « plus de trois millions de Vénézuéliens, sur une population estimée à 32 millions, ont fui leur pays depuis 2014 » [4]. Ils semblent donc condamnés à l’exode et rejoignent des pays limitrophes, majoritairement la Colombie ou l’Équateur, par des voies légales ou illégales, pour fuir cette crise durable qui, par ailleurs, ne cesse de s’aggraver.


La crise économique


La crise est par définition protéiforme [5]. En effet, les problématiques sociales, humanitaires et économiques sont intrinsèquement liées. Le secteur économique, profondément déficient au Venezuela, est d’ailleurs l’un des facteurs d’émigration. L’économie vénézuélienne est dans une crise prolongée depuis plusieurs années du fait de facteurs structurels défaillants, cités ci-après, qui entravent la crédibilité du Venezuela sur la scène internationale.


En plus de l’incapacité criante des institutions à contenir la crise et des profonds déséquilibres macroéconomiques, la tendance hyperinflationniste est la conséquence de la monétisation des déficits (pour financer les dépenses publiques), de la politique de surévaluation du bolivar, de la dépendance aux importations ainsi que de l’accumulation des déficits budgétaires [6]. Selon les projections proposées par le FMI, le taux d’inflation ne donne aucun signe de fléchissement et aurait plutôt une tendance ascendante cette année. L’impact de l’hyperinflation sur la société vénézuélienne est sans précédent.


Comme l’indique un article d’El Pais, les prix ne cessent de grimper, et pour l’ensemble du salaire minimum, il n’est plus possible de se procurer le moindre produit de première nécessité « Le salaire minimum actuel est de 5 196 000 bolivars (1,40$), soit 52 billets de 100 000 Bolivares. En décembre 2017, avec 1 000 Bolivares , vous pouviez acheter un kilo de détergent. Aujourd’hui, huit mois plus tard, cela vous en couterait 12 000 000 Bolivares (120 billets). En mars 2018, un litre de lait coûtait 140 000 bolivars. Aujourd’hui, il coûte 1 750 000 bolivars, un peu moins qu’un café dans un bar, qui revient à 2 000 000 bolivars (20 billets) » [7]. Dans ces conditions, l’épargne devient impossible (si vous aviez mis 50 000€ de côté pour acheter une maison, ceux-ci ne vous permettent même plus de faire vos courses l’année suivante). Les citoyens vénézuéliens sont acculés à la survie et à une quête permanente des produits les plus basiques.


Ainsi, toute l’économie vénézuélienne est asphyxiée malgré des tentatives de sauvetage. L’instauration du bolivar souverain par le gouvernement Maduro le 20 aout 2018, dont la valeur est indexée sur une cryptodevise – le petro – est l’exemple même d’une initiative vaine ne répondant pas à la problématique généralisée de l’hyperinflation.


Un combat politique


Dans ce contexte économique, humanitaire et social, le marasme politique se poursuit au Venezuela. Le combat politique divise toujours le pays et, de façon plus globale, la communauté internationale entre d’une part, Nicolas Maduro, président vénézuélien, désigné lors des élections en mai 2018 sous la bannière du Partido Socialista Unido de Venezuela, et d’autre part, Juan Guaido, Président de l’Assemblée nationale vénézuélienne depuis janvier 2019, autoproclamé président du Venezuela. Les deux hommes politiques se sont servis de la coupure d’électricité globale comme d’un nouveau stimulus. La crise peut en effet être vue comme une opportunité[8] pour s’imposer sur la scène politique du pays. Juan Guaido tente de conforter l’opinion publique opposée à Nicolas Maduro, en montrant sa volonté d’agir par la saisie de l’Assemblée Nationale à Caracas, pour dépêcher une aide humanitaire précieuse. Au contraire, Nicolas Maduro tente de contenir la crise en démentant toute critique de la communauté internationale sur la crise humanitaire qui aurait lieu dans son pays.


Prospectives


Ainsi, dans cette crise profonde multifactorielle ébranlant les institutions politiques, économiques, financières vénézuéliennes et générant des conséquences considérables en termes humains, une réponse globale et cohérente doit être envisagée. Plusieurs scénarios d’évolution peuvent être considérés.


Alors que les sanctions financières américaines dirigées contre la compagnie pétrolière publique PDVSA (Petroleos de Venezuela S.A.) constituent un facteur d’aggravation et de recrudescence de la crise de l’économie vénézuélienne, des solutions sont concevables. En effet, concernant la crise économique, la proposition faite par plusieurs économistes d’une « dollarisation » est recevable. Elle permettrait l’instauration d’une confiance renouvelée du Venezuela sur la scène internationale et la réduction drastique de l’hyperinflation. Cette offre engendrerait de facto la suppression du bolivar et l’avènement du dollar dans le pays. Cependant, l’hypothèse de la dollarisation, qui soulèverait alors des tensions politiques, reste peu envisageable dans le contexte actuel et est formellement rejetée par Nicolas Maduro. Déjà en 2015, le Président s’exprimait sur le sujet : « Le Venezuela n’a jamais été et ne sera jamais dollarisé. Notre monnaie nationale vénézuélienne sera toujours fièrement le bolivar ».


D’ailleurs, la crise humanitaire et sanitaire en cours est fortement corrélée à la situation économique et financière désastreuse du pays. Celle-ci ne peut se résoudre sans une action concrète sur les structures sociales et de santé et sans initiative concernant les pénuries. En réalité, l’intégralité des structures actuellement en échec doivent être réformées. Mais la stabilité de l’économie vénézuélienne reste un élément incontournable de l’aboutissement de celles-ci.


Au sujet de la crise politique, différents points sont à aborder. Du fait de la perte de monopole diplomatique par Nicolas Maduro de la puissance légitime sur son territoire depuis l’arrivée de J. Guaido dans le jeu politique vénézuélien et constatant sa difficulté à résoudre les innombrables crises, le Venezuela devient progressivement un Etat en faillite s’embourbant dans la crise. L’incertitude est considérable et les scénarios quant à la sortie de crise politique du pays sont multiples. Le pouvoir chaviste a une relation particulière avec l’armée et Nicolas Maduro a reçu dernièrement une confirmation de son soutien. Ainsi, le rôle de l’armée dans cette crise est primordial puisqu’elle donne pouvoir, légitimité ainsi que moyens coercitifs au Président, Nicolas Maduro. Dès lors, l’opposition, menée par Juan Guaido, soutenu par une opinion publique grandissante, pourrait réussir une transition politique en ramenant la composante militaire à son combat. Malgré l’espoir d’une rencontre entre Nicolas Maduro et l’opposition de Juan Guaido dans laquelle discussions et négociations seraient à l’ordre du jour, l’hypothèse de la stagnation de la situation divisant le Venezuela, entre d’une part le pouvoir chaviste et d’autre part la figure de l’opposition reste envisageable.

 

Bibliographie

Ouvrages

R. Depierre, « Yin-Yang », dans J. Ricot, Gaubert, Lucien Guiliinger (Dir.), Penser la crise, Lexique critique de la crise dans tous ses états, Éditions M-editer, 2007

P. Lagadec, La gestion des crises, McGraw Hill, 1991

T. Libaert, B. Motulsky, N. Baygert, Nicolas Vanderbiest, Mathias Vicherat, Communication de crise, Business & Economics, 2018.

A.H. Maslow, A Theory of Human Motivation, 1943

Rapport

Human Rights Watch (2019), Venezuela, évènements de 2018, Rapport Mondial 2019

Note de bas de page

[1] C’est ainsi qu’était surnommée la région du Venezuela par Christophe Colomb

[2] Patrick Lagadec, La gestion des crises, McGraw Hill, 1991, p.8, p.52, p.54, p.86, p.95

[3] A.H. Maslow, A Theory of Human Motivation, 1943. La pyramide des besoins telle que conçue par le psychologue Abraham Maslow, repose sur cinq niveaux distincts : les besoins physiologiques, les besoins psychologiques, le besoin d’appartenance, le besoin d’estime, le besoin d’accomplissement. Le classement de ces cinq types de besoins est essentiel : chaque niveau doit être satisfait pour satisfaire le besoin du niveau supérieur. Dans le cas vénézuélien, les deux premiers besoins, qualifiables de vitaux, ne sont pas satisfaits.

[4] Human Rights Watch (2019), Venezuela, évènements de 2018, Rapport Mondial 2019

[5] T. Libaert, B. Motulsky, N. Baygert, Nicolas Vanderbiest, Mathias Vicherat, Communication de crise, Business & Economics, 2018. Selon ce groupe d’auteurs, « la crise échappe aux repères traditionnels. Les crises qui surviennent ne sont pas celles attendues, et les crises attendues restent sans effet. Les crises sont devenues mutantes et protéiformes, et cela nécessite d’avoir sur elles une réflexion « hors cadre » pour reprendre l’expression développée par Patrick Lagadec, spécialiste de la gestion de crise, qui a été dans les années 1980, l’un des premiers à étudier ces phénomènes. » p.5

[6] Liste non exhaustive

[7] El País, 30 juillet 2018. “La hiperinflación de Venezuela explicada con un billete de 100.000 bolívares. Verne”, Retrieved 17 April 2019, from  https://verne.elpais.com/verne/2018/07/30/articulo/1532932705_036616.html

[8] R. Depierre, « Yin-Yang », dans J. Ricot, Gaubert, Lucien Guiliinger (Dir.), Penser la crise, Lexique critique de la crise dans tous ses états, Éditions M-editer, 2007. R. Depierre précise que « le caractère chinois qui représente le mot crise [weiji] est la combinaison de deux sinogrammes, celui du danger et celui de l’opportunité. Une crise n’est qu’un mal que chacun peut transformer en bien s’il sait agir à bon escient. Selon la « loi du retournement » du taiji, toute situation difficile se transformerait en son contraire à qui sait attendre pour intervenir au moment opportun. » p.217

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