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Comment gérer le retour des « enfants de Daech » sur le sol européen et prévenir des crises majeures

Dernière mise à jour : 6 mai 2020

Par Thomas Meszaros, Antony Dabila, Laurent Danet & Fabien Despinasse

Selon les chiffres du Radicalisation Awareness Network (RAN), 42 000 combattants terroristes étrangers de plus de 120 pays ont rejoint les organisations terroristes entre 2011 et 2016 [1].Environ 5 000 de ces combattants terroristes étrangers viennent de pays européens [2]. Certains de ces combattants terroristes étrangers sont partis rejoindre les rangs des organisations terroristes dans les zones de combats avec leurs familles (femmes et enfants). Ces individus, parce qu’ils sont déçus de la situation sur le terrain, parce qu’ils ne supportent pas les conditions de vie dans les zones de combats, parce qu’ils ont été faits prisonniers ou parce qu’ils considèrent qu’il est pertinent d’exporter le conflit en Europe, sont aujourd’hui de retour dans leurs pays d’origine [3]. Ces « revenants » sont des hommes, des femmes et des enfants de nationalités et d’âges différents, dont l’expérience des combats et l’emprise idéologique est très variable. Le retour de ces combattants étrangers est devenu un enjeu majeur pour les gouvernements et les autorités locales des pays concernés, surtout que, d’un point de vue opérationnel, l’arrivée comme le départ des majeurs et mineurs peut se faire par l’intermédiaire de différents pays de l’Union européenne. Ces États, et les autorités locales de ces pays, doivent donc anticiper une réponse coordonnée et pertinente concernant les individus majeurs mais aussi les individus mineurs, enfants et adolescent, qui ont été présents sur les théâtres d’opérations irako-syriens. Un mineur, sans sous-estimer la menace qu’il peut représenter, ne peut être traité comme un adulte. Les acteurs et intervenants de la prise en charge des mineurs ne sont pas – et ne peuvent pas être les mêmes — que pour les adultes. Il constitue une problématique pour les États et les autorités locales qui s’inscrit sur un temps long. Ainsi, comment produire une réponse adaptée à ces publics mineurs qui combinerait efficacité et respect des libertés fondamentales et qui permettrait de prévenir les crises qui résulteraient de la diffusion de l’idéologie islamiste et des pratiques violentes qu’ils auraient vues ou apprises dans ces zones de combat ? Pour répondre à cette problématique il convient d’abord de procéder à un état des lieux sur la situation des mineurs « revenants ». Puis, nous présenterons un focus sur les pratiques qui existent actuellement dans différents pays européens et en France. Enfin, nous formulerons quelques recommandations sous la forme d’un questionnement qui invite in fine les États de l’Union européenne à se saisir de cette question afin de produire des normes, des pratiques et des dispositifs communs destinés à prévenir les crises de demain.


1. Quel état des lieux?


Les États ne sont pas tous confrontés de la même manière aux retours des combattants terroristes étrangers et leurs familles. Chacun d’entre eux possède des approches et des législations spécifiques. Bien souvent, celles-ci répondent à la lutte contre le terrorisme de manière générale et n’abordent pas la question des combattants terroristes étrangers en particulier et encore moins celle de leurs familles. Cependant, la plupart des États adaptent leur législation en poursuivant les combattants étrangers de retour chez eux pour des faits de terrorisme [4]. Du point de vue pénal on observe donc une extension de la catégorie juridique « terrorisme » [5]. Cette tendance à la criminalisation a des effets pervers [6]. Elle n’est pas efficace du point de vue de la lutte contre la radicalisation et ne s’inscrit pas dans une logique d’une réhabilitation des revenants qui réduirait les risques de violence de leur part contre leur société d’origine. Si cette criminalisation n’est pas possible, les États ont recours à des mesures administratives [7].


Les individus concernés par cette criminalisation et par ces mesures administratives sont, par la plupart, partis dans les zones de combats rejoindre les rangs des organisations terroristes. On relève parmi eux des hommes, des femmes, seuls ou avec leurs familles. Aux côtés des personnes majeures on constate la présence de personnes mineures qui sont : des mineurs radicalisés, partis seuls ou en groupe rejoindre les zones de conflit, des mineurs emmenés et embrigadés par leurs parents, des mineurs nés sur place qui sont aujourd’hui les plus nombreux [8]. Ces mineurs peuvent être divisés en deux catégories : d’une part, ceux ayant combattu ou reçu un entraînement au combat et d’autre part, ceux ayant été exposés à la propagande et au conditionnement à la violence de Daech. Les premiers représentent un risque direct de violence terroriste. Les seconds représentent un défi à la réinsertion dans leur milieu familial ou, à défaut, dans un milieu de substitution. Les deux catégories sont sujettes à de très forts taux de syndrome de stress post-traumatique et de troubles psychiatriques (environ 60% des revenants sont concernés par des pathologies mentales [9]). Certains devront être contenus en tant qu’« agent propagateur » de l’idéologie jihadiste, d’autres devront être suivis pour les pathologies qu’ils auront développées. C’est pour répondre à ces défis que les États européens ont commencé à mettre en place des dispositifs de prise en charge et d’accompagnement des individus de retour dans l’Union depuis les zones contrôlées par l’État Islamique.


La problématique des enfants du Levant est majeure dans la guerre contre Daech. Les enjeux qu’elle révèle sont essentiels pour l’avenir de nos sociétés. Le manuel de la RAN dresse un état des lieux terrifiant de l’utilisation que Daech a de ces mineurs : « Le recrutement des enfants chez Daech commence formellement à l’âge de 9 ans et continue jusqu’à l’âge de 15 ans. Les enfants de moins de 9 ans reçoivent une formation sur les armes. La plupart de ces enfants sont recrutés à plusieurs niveaux, allant de l’endoctrinement religieux dans les mosquées et les camps, par leurs parents et des incitations financières. Cette socialisation des enfants passe par au moins six étapes : séduction, scolarisation, sélection, soumission, spécialisation et déploiement. Ces lionceaux du califat, ou oursons du califat, sont souvent forcés d’assister à des camps où ils sont soumis à un endoctrinement idéologique intense, à une formation aux aptitudes de combat (arts martiaux et autodéfense) et à la manière de traiter les prisonniers » [10]. Plusieurs cas d’exécution de prisonniers par des enfants ont ainsi été rapportés et documentés par l’Etat Islamique lui-même. La méthode d’endoctrinement consiste en un visionnage forcé quotidien d’actes terroristes, présentés comme le sacrifice suprême à ces êtres influençables [11]. Cette exposition à l’imagerie du sacrifice est renforcée par l’impression d’une culture de la haine de toute altérité culturelle et religieuse via. l’étude des textes de la mouvance « takfiriste » faisait l’éloge du combat jihadiste [12]. Quelle est la dangerosité réelle de ces enfants élevés dans la détestation de l’Occident ? Quelle menace représentent-ils à moyen et long terme ? Comment évaluer leur degré d’adhésion ou de désengagement par rapport aux valeurs inculquées lors de leur formation par les endoctrineurs du Califat ? Tout dispositif de prévention et de surveillance des porteurs de l’idéologie islamiste se voulant efficace doit désormais fournir une réponse à cette problématique nouvelle et encore impensée.


En effet, présentés comme des « bombes à retardement », certains ont peut-être été formés pour perpétrer des attentats sur le territoire national, et une partie a d’ores et déjà été utilisée pour le combat ou le renseignement [13]. Ces mineurs présentent à la fois une accoutumance à la violence, un motif idéologique fort, une revanche personnelle et des symptômes de trauma psychique qu’il est impératif de pouvoir évaluer sur le long terme. « Les enfants recrues de Daech sont endoctrinés pour montrer une fidélité absolue à Daech et l’engagement au martyre comme cause la plus élevée. (…). Une fois qu’ils sont socialisés dans les rangs de Daech, ils jouent de multiples rôles : espions, prédicateurs, recruteurs, soldats, bourreaux, kamikazes. Les enseignants et les dirigeants de Daech demandent aux enfants de servir d’informateurs, de signaler tout comportement suspect de leurs parents ou d’autres personnes qui violent les lois religieuses ou indiquent une opposition au régime de Daech (…). Les enfants sont également utilisés dans les activités de propagande de l’organisation terroriste : Daech filme et distribue des vidéos d’exécution dans lesquelles les enfants tuent des prisonniers de manière barbare. L’utilisation des enfants par le groupe n’est pas seulement tactique, mais aussi stratégique en termes de construction d’un État et de l’émergence d’une nouvelle génération. Les enfants sont encouragés à se joindre comme kamikazes, un rôle prôné par leurs instructeurs comme la plus haute des vocations pour les jeunes musulmans pieux » [14].


Face à la grande diversité des profils de mineurs revenants des zones de conflit ainsi que des enjeux liés à leur retour, les États européens sont inégalement préparés. Cette inégalité tient à la fois à leurs cultures judiciaires et répressives ainsi qu’aux instruments de police administrative, aux acteurs et institutions des pays concernés.


2. Quelle prise en charge des mineurs revenants en Europe et en France ?


Il existe différents types de prise en charge en fonction des traditions de chaque État. Désormais rassemblés derrière les termes de « déradicalisation » (abandon de l’idéologie radicale), « désengagement » (abandon des pratiques violentes sans abandon de l’idéologie), « prévention de la radicalisation » (prévenir la radicalisation de publics à risque) [15]. Ces trois modes de traitement des individus partageant l’idéologie jihadiste suivent soit la méthode de l’isolement et du confinement, ou bien celle du traitement in situ au sein même de son environnement familier, afin d’aboutir à une réadaptation de l’individu à la société et à sa sphère d’interaction sociale privilégiée.


Des États, tels que l’Allemagne et le Danemark, mettent déjà en œuvre des programmes de réhabilitation pour les revenants. Ces programmes sont menés en étroite collaboration avec les acteurs locaux, les autorités religieuses et les familles. Les dimensions émotionnelles, idéologiques, pragmatiques sont prises en compte. Les individus radicalisés, accompagnés administrativement et professionnellement, sont séparés et traités dans leur propre commune ou dans un lieu proche et accessible [16].


Les Pays-Bas et la Belgique ont mis au point des programmes de déradicalisation mais n’ont pas fini de développer des mesures de réhabilitation pour les revenants. Le programme des Pays-Bas se caractérise par sa dimension locale et l’investissement de nombreux intervenants. Le cadre est national et la mise en œuvre est locale avec une réelle autonomie. Il existe une forte coopération et intégration entre ministères, agences gouvernementales, autorités locales, services sociaux, organismes éducatifs, institutions religieuses, etc. Cette organisation flexible et multisectorielle permet de s’adapter à un ensemble de situations très disparates. Les « revenants » peuvent bénéficier d’une assistance consulaire notamment pour reprendre contact avec la famille et sortir du mouvement djihadiste. [17] La Belgique, dans le cadre de sa stratégie nationale de lutte contre le radicalisme, a également adopté une approche basée sur la division des compétences entre les différents niveaux politiques (national et local). Des task forces rassemblent les différents services de sécurité et les autorités politiques, tandis que les autorités régionales et communales se chargent des domaines de l’éducation, de l’aide à la jeunesse et l’orientation. Les groupes locaux ont en charge le suivi des combattants revenants de l’étranger. La fédération Bruxelles-Wallonie a initié un projet dans le domaine de la déradicalisation en 2017 qui procure une assistance aux individus radicalisés volontaires. [18]


Le Royaume-Uni et la France n’ont eu que peu de tentatives pour développer des programmes de déradicalisation. Leur élaboration est encore en cours. Au Royaume-Uni, le gouvernement a développé un programme de contre-terrorisme nommé « 4P » : « Préparer, Poursuivre, Protéger, Prévenir ». Le programme Channel s’attache au problème des combattants revenant de l’étranger. Il cherche à déradicaliser des individus et à les dissuader de partir. Il s’appuie sur la prévention et la réintégration. La communauté musulmane y est largement associée. Le programme Prevent forme les professeurs à détecter les étudiants radicalisés. Le programme Ibaana participe à la déradicalisation des prisonniers. [19] De son côté, un aspect particulier de la stratégie française consiste en l’ouverture d’unités dédiées dans les prisons pour les individus radicalisés, et la création de centres de déradicalisation. Le 21 janvier 2015 le plan de lutte contre le terrorisme a été présenté par Manuel Valls. Il confère des moyens supplémentaires à la lutte contre le terrorisme, un cadre juridique conforté pour l’action des services renseignements, un renforcement de la radicalisation par les services du ministère de la Justice, une prise en charge accrue des individus radicalisés et une action renforcée en matière de prévention de la radicalisation [20].


L’État français, comme les autres États européens, est confronté à une situation inédite. Il est pris entre son devoir de protéger sa population et ses engagements internationaux [21]. En France, ce sont les départements, compétents en termes de protection de l’enfance, en lien étroit premièrement avec la préfecture, qui fait le lien avec les services de l’État via la cellule préfectorale, qui agissent en collaboration étroite avec le renseignement territorial et la Direction Générale de Surveillance Intérieure (DGSI) et les ministères de la Justice et de l’Éducation. Les mineurs sont classés suivant qu’ils sont radicalisés et partis seuls, qu’ils ont été emmenés et embrigadés par leurs parents ou encore nés sur place. Le parquet, en lien avec les services de l’antiterrorisme et du renseignement, décident de poursuites ou non, et saisissent le juge pour enfant pour instaurer des mesures de protection telles qu’un suivi médico-psychologique adapté, afin d’évaluer l’état psychologique des mineurs. L’agence régionale de santé est en charge de la mise en œuvre du processus, de l’identification et de la coordination des acteurs de santé sur leur territoire. Les mineurs qui ne constituent pas une menace sont placés dans leur famille élargie, ou en famille d’accueil, dont le lieu exact sera maintenu secret. Si des éléments attestent qu’un mineur a commis des faits pénalement qualifiés, des poursuites peuvent être engagées et la réponse pénale peut être accompagnée de mesures d’assistance éducative [22]. Si aucun fait pénalement répréhensible n’a été commis, une prise en charge judiciaire en assistance éducative, au titre de la protection de l’enfance, est mise en œuvre.


L’instruction du Premier ministre Édouard Philippe, en date du 23 février 2018 [23], qui porte notamment sur la question sensible de la prise en charge des mineurs de retour des zones de conflit, diffusée juste après la présentation du nouveau plan de prévention de la radicalisation, insiste sur la prise en charge éducative de ces situations qui concernent près de 500 mineurs (la moitié environ a moins de cinq ans et un tiers y est né). La circulaire du 23 février 2018 consacre le droit commun. L’Aide Sociale à l’enfance (ASE) et les Conseils départementaux, les parquets, les préfets, l’Agence Régionale de Santé (ARS) constituent les principaux acteurs de l’action en direction de ces mineurs. Elle insiste sur les modalités de prise en charge des mineurs en France, notamment sur le rôle de l’ASE en amont qui informe l’ARS de l’arrivée de l’enfant sur le territoire national, le rôle des assistants familiaux, la possibilité du parquet du lieu d’arrivée de se « dessaisir » pour le parquet anti-terroriste, ce qui offre un suivi décentralisé au niveau de la Justice, la nécessité d’une meilleure évaluation médico-psychologique, le rôle de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) dans la conduite des Actions éducatives en Milieu Ouverts (AEMO), la création d’un référent (ASE ou AEMO) pour mieux informer et coordonner les actions entre santé et éducation. Elle insiste également sur les modalités d’accompagnement des parents et sur la formation des professionnels (travailleurs sociaux et médico-sociaux et professionnels de santé) ainsi que sur les modalités de coordination et d’évaluation du dispositif (rôle central de la cellule départementale de suivi pour la prévention de la radicalisation et l’accompagnement des familles – CPRAF ; création d’un « comité de suivi du dispositif » au niveau national dont le secrétariat sera assuré par le SG-CIPDR).La circulaire prévoit la mise en place d’un accompagnement qui dure même après la clôture de la procédure d’assistance éducative.


3. Quelles recommandations?


La situation à laquelle les pays européens sont confrontés est grave. Le rapport de la RAN résume bien la situation et les enjeux qu’elle contient pour ces mineurs, leurs familles et pour nos sociétés : « Le bien-être de l’enfant doit être la première priorité d’une intervention interinstitutionnelle. Les enfants sont profondément influençables et malléables. L’exposition à des niveaux extrêmes de violence crée des traumatismes et peut potentiellement désensibiliser les enfants à la brutalité et à la violence. Agir de la façon dont ils voient les adultes faire est un risque majeur. Cela les traumatisera et conduira à des problèmes psychosociaux et éventuellement, à des risques de sécurité importants pour l’avenir. La compréhension de l’importance de l’endoctrinement, de l’exposition à la violence et des conditions de vie vécues est cruciale pour évaluer ces enfants » [24]. Comment réagir face à cette situation et face aux enjeux politiques, juridiques, sécuritaires et humains qu’elle révèle ? Chaque État européen a développé des modalités de prise en charge différentes de ces mineurs qui sont de retour dans leurs pays d’origine. Selon nous, la question des mineurs revenants doit faire l’objet d’une action coordonnée des États européens. Cette question est marquée par le double sceau de la singularité et de la complexité, comme le sont les crises, qui nécessitent une approche conjointe à une série de problématiques.


La première série est politique et juridique : Comment gérer une situation où des enfants revenants sont interceptés seuls ou avec l’un ou plusieurs de leurs parents dans un autre pays européen que leur pays d’origine ? Quelles normes communes, pénales et administratives, encadrent une telle situation ? Quelles pratiques et dispositifs communs ? Quelles preuves pouvons-nous avoir ? Quelle est leur degré de responsabilité ? Quelle conscience en ont-ils ? Quelles sanctions peuvent s’appliquer ? Comment et combien de temps ?


La deuxième série est cognitive et sociologique : quelles représentations de l’altérité ces mineurs ont-ils ? Quel est leur degré d’adhésion à l’idéologie fondamentaliste ? Quel rapport à la religion ? Quel rapport ont-ils à la violence ? Quel rapport ont-ils à l’autorité ? Comment envisager une réinsertion sociale réussie et un droit à l’oubli ?


La troisième série est institutionnelle et opérationnelle : Comment évalue-t-on un mineur à son retour puis lors des différentes étapes de sa vie en anticipant les changements d’acteurs ? Comment personnaliser cette évaluation en fonction de son histoire, en fonction de son environnement notamment familial ? Quelle prise en charge pluri — ou multi — disciplinaire ? Quels acteurs, locaux, nationaux, européens, sociaux, économiques, religieux, associatifs faut-il impliquer et jusqu’où ? Quelle transversalité entre ces acteurs de cultures différentes ? Quelle coordination locale, nationale et européenne ?


La quatrième est stratégique et sécuritaire : Quels risques constituent-t-ils pour leur environnement et pour eux-mêmes ? Quels dispositifs locaux de veille et de prévention peut-on mettre en place ? Comment régir en cas de crise impliquant des mineurs revenants ?


Pour répondre à ces multiples problématiques, sortir de certains a priori[25], et défaire l’écheveau complexe de la question des mineurs revenants des zones de conflit il serait particulièrement utile d’inviter des chercheurs, des professionnels et des praticiens issus des différents secteurs concernés (institutionnel, médical, social, éducatif, sécuritaire, etc.) à produire un état des lieux comparant les différentes pratiques et dispositifs existants dans l’espace européen puis une série de recommandations concrètes à partir des modèles et expériences développés dans les États membres dans les domaines de la déradicalisation cognitive ou désendoctrinement (intervenir sur le processus de radicalisation et les idées fondamentalistes), dans le domaine du désengagement social ou désembrigadement (intervenir sur les actions et le recours à la violence) et dans celui de la prévention de la radicalisation (intervenir en amont et éviter les phénomènes de contagion) [26]. Une telle rencontre pourrait prendre la forme d’un séminaire de travail consacré à la formulation de recommandations opérationnelles par des chercheurs, des professionnels et des praticiens. Si la victoire militaire contre le terrorisme au Levant peut être envisagée dans un avenir proche, celle contre les germes du fondamentalisme et de la violence extrême semée dans l’esprit de certains de ces mineurs relève d’un autre combat, d’une autre guerre, qui doit être menée du niveau local au niveau national voire à l’échelle de l’Union européenne en proposant, sur la base des expériences de chacun des acteurs spécifiquement impliqué sur cette question, des solutions ainsi que des instruments innovants et pluridisciplinaires adaptés à la complexité et à la singularité de ces situations.


 

[1]La résolution 2178 du Conseil de sécurité des Nations Unis définit les «combattants terroristes étrangers» comme des individus voyageant vers un État autre que leur État de résidence ou de nationalité avec pour but de perpétrer, planifier, préparer, anticiper des actes terroristes, ou encore procurer ou recevoir un entraînement terroriste en lien avec un conflit armé.

[2]On dénombre 700 Français, 500 Anglais, 300 Allemands, 300 Belges, 120 Néerlandais, 100 Danois. Fin 2015, 2 700 Russes et entre 1300 et 2200 Turcs avaient également été recensés. Un rapport du Centre International de Contre-Terrorisme (CICT), publié en avril 2016, comptabilise entre 3922 et 4294 combattants, dont 2838 venant de Belgique, de France, d’Allemagne ou du Royaume-Uni.

[3]On enregistre depuis 2017 une baisse importante du nombre de départ en direction de la zone de conflit irako-syrienne, ainsi qu’un accroissement progressif et constant des retours de ces combattants terroristes étrangers vers leurs pays d’origine (source : RAN Manual. Responses to returnees: Foreign terrorist fighters and their families, Juillet 2017, p.18).

[4]La qualification des faits doit reposer sur des preuves suffisantes et justifier de la menace que constitue l’individu de retour sur le territoire national pour l’ordre public et la cohésion sociale. L’obtention de preuves est bien souvent un obstacle car il n’existe pas ou peu de coopération judiciaire et policière avec les autorités en Syrie et en Irak. Il est difficile de conduire des investigations sur le terrain. Cependant, les réseaux sociaux et les publications sur Internet représentent des sources d’information dès lors que les individus sont localisables.

[5]Elle concerne notamment, la recherche, la procuration, la fabrication d’articles créant un danger pour autrui, perpétration d’attaques terroristes, recevoir ou donner un entraînement terroriste, participer à une entreprise terroriste ou effectuer un voyage en lien avec une activité terroriste.

[6]Effets pervers comme la fuite des individus à l’étranger et le retour sur les zones de conflit, la détention et la diffusion de la radicalisation en prison, la contagion familiale ou dans le cercle amical.

[7]Parmi les principales mesures notons, les arrestations, assignations à résidence, confiscations de documents de voyage, interdictions de voyage, listes d’interdiction d’entrée sur le territoire, contrôles renforcés des frontières, bracelets électroniques, révocations de la citoyenneté.

[8]RAN Manual, Responses to returnees: Foreign terrorist fighters and their families, Juillet 2017, p.68.

[9]Ibid., p.63.

[10]Manuel RAN/RSR, Intervention destinées aux personnes qui rentrent dans leurs pays d’origine, juillet 2017, p.31.

[11]Life with ISIS: the Myth Unravelled, Ministère de l’Intérieur du Royaume des Pays-Bas, janvier 2016, p.3.

[12]Inside the Caliphate’s Classroom: Textbooks, Guidance Literature, and Indoctrination Methods of the Islamic State, The Washington Institute for Near East Policy, janvier 2016, pp.26-31.

[13]RAN Manual, Responses to returnees: Foreign terrorist fighters and their families, Juillet 2017, p.22.

[14]Manuel RAN/RSR, Intervention destinées aux personnes qui rentrent dans leurs pays d’origine, juillet 2017, p.31.

[15]A l’heure actuelle l’idée de « désengagement » semble préférable à celle de « déradicalisation » car elle est jugée plus réaliste. Sur la définition de ces termes voir, Nicolas Hénin, Comprendre le terrorisme, Paris, Fayard, 2017.

[16]A titre de comparaison, l’une des raisons de l’échec du centre de déradicalisation de Pontivy semble avoir été l’éloignement des individus de leurs proches et de leurs attaches.

[17]Alexis Vahlas (dir.), Returning foreign terrorist fighters in Europe : A comparative analysis, Institut d’Études Politiques de Starbourg, Conseil de l’Europe, p.46-47

[18]Ibid., p.48-49

[19]Ibid., p.51-53

[20]5 quartiers au sein d’établissements pénitentiaires, dédiés aux personnes détenues radicalisées ou condamnés pour des actes terroristes, ont été créés sur la base de l’expérimentation menée à Fresnes pour assurer cette prise en charge.La professionnalisation et l’augmentation du nombre d’aumôniers musulmans (60, soit 30% de plus) est également un moyen envisagé pour lutter contre la radicalisation en détention. Les 5 unités dédiées ont été remplacées par 6 quartiers d’évaluation avec un régime strict de détention. Des conseillers d’insertion supplémentaires devaient être recrutés. Des centres de déradicalisation devaient ouvrir pour les condamnés de 18 à 30 sans casier judiciaire. La prison est ici vue comme une étape préalable avant la déradicalisation, alors qu’au Danemark l’accent est mis sur la coopération entre la police, la famille et les services sociaux pour prévenir le danger causé par le revenant. En termes d’action renforcée en matière de prévention de la radicalisation on notera des moyens financiers supplémentaires (60 millions annoncés), un site internet dédié, une surveillance renforcée des sites internet djihadistes au niveau européen (cyber-patrouilles, plateforme Pharos).

[21]En particulier la résolution 1386 des Nations Unies, en date du 20 novembre 1959, sur la Déclaration des Droits de l’Enfant (principes 7, 9, et 10). On se souvient qu’Emmanuel Macron fin 207 avait indiqué qu’il était opposé à un rapatriement général, les tribunaux irakiens étant compétents pour juger les combattants français. Concernant les femmes non combattantes et les enfants il avait indiqué que le traitement des situations se ferait au cas par cas. Les autorités françaises ont décidé un rapatriement automatique pour les mineurs de moins de 8 ans, suivi d’un parcours juridico-éducatif élaboré par Bernard Cazeneuve, et complété par Gérard Collomb dans un « protocole national ». Le cas par cas préconisé par le président de la République ne concernera donc que les mineurs au-delà de 8 ans.

[22]Ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante qui distingue les mineurs de moins de 10 ans, ceux de 10 à 13 ans, ceux de 13 à 16 ans et enfin ceux de 16 à 18 ans, voir également l’article 122-9 du code pénal qui pose le principe de l’irresponsabilité pénale du mineur de 13 ans.

[23]Une instruction de Bernard Cazeneuve en date du 23 mars 2017 traitait déjà de cette question.

[24]Manuel RAN/RSR Intervention destinées aux personnes qui rentrent dans leurs pays d’origine, juillet 2017, p.31-32.

[24]Voir l’ouvrage particulièrement utile et stimulant pour nos réflexions de Laurent Bonnelli et Fabien Carrié, La Fabrique de la radicalité. Une sociologie des jeunes djihadistes français, Seuil, Paris, 2018. Les auteurs « déconstruisent » certaines représentations ou « idées reçues » sur la radicalisation et éclairent au contraire les différentes réalités qu’épouse ce phénomène en fonction des trajectoires personnelles de chaque individu.

[26]John Horgan, « Deradicalization or Disengagement? A Process in Need of Clarity and a Counterterrorism Initiative in Need of Evaluation »,Perpectives on terrorism, 2(4), 2008; Arie W. Kruglanski et als, “The psychology of radicalization and deradicalization: How significiance quest impacts violent extremism”, Advances in Political Psychology, 35(1), 2014; Gérald Bronner, La Pensée extrême, comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques, Paris, PUF, 2016.

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