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Le groupe Wagner au Mali, une alternative à la France ?



Par Youri DUTEL





Relu par M. David CUMIN, MCF (HDR), directeur du Centre Lyonnais d'Etudes de Sécurité Internationale et de Défense (CLESID) et chargé de cours à l'Ecole nationale supérieure de police (ENSP). Il vient de publier, entre autres, Géopolitique de l'Eurasie. Avant et depuis 1991 (Paris, L'Harmattan, 2020) et Stratégies militaires contemporaines (Paris, Ellipses, 2020).






Si l’URSS a soutenu le passage au socialisme en Afrique dans les années 1960 et 1970 avec plus de 40 000 conseillers [1] déployés sous Brejnev comme instruments de sa politique étrangère, son effondrement en 1991 a marqué un arrêt temporaire dans leurs relations. Il aura fallu attendre quinze ans avec une tournée de Vladimir Poutine en Afrique du Sud puis au Maroc afin de renouer des liens diplomatiques. Plus récemment en 2019, de nombreux chefs d’État ont été conviés à Sotchi pour un sommet Russie-Afrique associé à des ventes d’armes sous le slogan « Make Africa Safe [2] », couronné de succès. Si l’on s’en tient aux propos de Sergueï Karaganov, président de l’influent Conseil sur la politique étrangère et de défense russe, « l’idée fondamentale de la politique étrangère repose sur le fait que la Russie est le principal fournisseur de sécurité international à la fois pour le monde et pour soi-même » [3].


Ainsi, de nombreuses structures de sécurité privée, en l’occurrence le groupe Wagner, largement financé par « le cuistot de Poutine » [4], Evgueni Prigojine, sillonnent les zones de conflit afin d’apporter son expertise sur le terrain. Cette « armée secrète de Poutine » [5] a notamment été aperçue dans onze pays africains en 2019 et fait face à des accusations de « violations des droits de l’Homme et manquements au droit international humanitaire » [6] à la suite d’un rapport de l’ONU en juin dernier. En cause, de nombreuses exactions commises notamment en Syrie, en Lybie ou encore en Centrafrique où trois journalistes russes enquêtant sur la structure ont notamment été assassinés [7] .

Au Mali, un deuxième coup d’État en moins d’un an a vu Assimi Goïta, un officier et véritable homme fort du pays, prendre la tête du gouvernement de transition. Il s’est notamment entouré de Sadio Camara, un militaire formé en Russie ainsi que de Choguel Maïga, diplômé d’une université moscovite : se pose alors la question de l’influence russe et de ses intérêts. Ces deux conjurés ont probablement été déterminants dans le choix porté vers une alternative russe.


Tandis qu’un désengagement progressif de la moitié de la force Barkhane d’ici 2023 a été confirmé par la visite de la Ministre des Armées le 20 septembre dernier à Bamako [8] , les autorités en proie à un sentiment d’abandon tentent de repenser la sécurité de la très vaste partie nord du pays, « l’Azawad », véritable sanctuaire pour les divers groupes armés. Ainsi, au cours de la 76è session de l’AGNU du 27 septembre dernier, Sergei Lavrov, Ministre russe des affaires étrangères, a confirmé la liaison entre le groupe de sécurité privée et la junte au pouvoir tout en niant l’implication du Kremlin [9] . Nous pouvons noter par conséquent le manque de transparence du gouvernement malien pourtant toujours bénéficiaire de l’appareil sécuritaire international. Notons que quatre hélicoptères Mi-171 russes et des armes [10] ont été aperçus quelques jours plus tard à Bamako, signe qu’un déploiement aurait effectivement pu avoir lieu.


Cette ambitieuse stratégie a pour avantages d’être discrète et de nier tout engagement militaire tout en étant en mesure d’exploiter toutes les opportunités, comme c’est le cas en Guinée Conakr [11] pays frontalier du Mali, où les enjeux miniers sont importants.


Ce renversement d’alliance doit-il être interprété comme un appel à l’aide dans le but d’obtenir un renforcement des dispositifs sécuritaires en place ou s’inscrit-il comme un moyen pour la junte de garder le pouvoir en place en repoussant les élections aux vues du contexte très tendu ? Quoi qu’il en soit, il s’agit aussi d’une confrontation indirecte entre la France et la Russie avec son lot de tensions diplomatiques, sécuritaires, militaires et stratégiques.


Le réseau tentaculaire financé par l’oligarque russe regroupant des dizaines de sociétés écrans a dernièrement multiplié les publications à propos du Mali. C’est le cas de Mediapatriot, de l’ONG International Anticrisis ou encore de l’agence de presse RIA FAN qui relaie des sondages en faveur d’une présence russe et publie généralement des articles dans les zones où le groupe Wagner est présent, ce qui confirmerait à priori leur arrivée [12] .


Sur place, la situation depuis 2013 marquant la première intervention française d’une longue série, de Serval jusqu’à Takuba, en passant par Barkhane, n’a que très peu évolué. En effet, la nébuleuse djihadiste, qui s’étend bien au-delà du Mali, s’accompagne désormais de graves violences inter-ethniques avec la formation de milices d’auto-défense extrêmement violentes [13] . Pourtant, la communauté internationale est plus que jamais mobilisée avec en renfort de l’armée malienne et des forces françaises, les casques bleus de la MINUSMA (mission des Nations-Unies pour la stabilisation du Mali), le G5 Sahel ainsi que des dispositifs de l’Union Européenne [14] . Malgré cela, les groupes armés ne sont pas vaincus et sévissent toujours. Force est de constater un enlisement du conflit et un revers essuyé dans la lutte antiterroriste qui affiche un bilan plus que mitigé et montre clairement ses limites. Il s’agit désormais de tirer les leçons de cet échec afin de repenser le mode opératoire dans son intégralité, d’où la tentation pour les autorités maliennes de s’allier au groupe russe.


Cependant, une intervention pourrait amener la France, l’Allemagne ou encore l’Estonie à reconsidérer leur présence respective. Ainsi, « Le Mali abandonnera des pans entiers de sa souveraineté » [15] , soulignait Florence Parly en déplacement. Par conséquent, la présence russe étant incompatible avec le système sécuritaire en place, 500 à 1000 hommes issus de la société militaire privée ne pourraient se substituer aux forces en présence, d’autant plus qu’il subsiste des doutes quant à la faisabilité de l’opération. En effet, qu’en sera-t-il du soutien logistique, du renseignement, des étendues à couvrir ou encore d’éventuels appuis aériens ? En outre, toutes les composantes d’une armée pleinement opérationnelle.

En échange de cela, le groupe obtiendrait des droits concernant des exploitations minières ainsi que neuf à dix millions d’euros [16] par mois leur permettant de s’auto-financer, principe même du mercenariat. Les forces armées maliennes déjà sous-équipées et en état de débâcle auraient pu bénéficier de cet argent pour leur entraînement ainsi que leur armement dans l’optique de disposer d’une armée aguerrie et opérationnelle dans les combats futurs.



Pour conclure, la Russie a pu remettre un pied en Afrique grâce à une solide stratégie d’influence et un discours qui a été très favorablement accueilli par les chefs d’États africains ayant multipliés les accords de coopération, notamment militaires, avec Moscou. C’est le cas à Port-Soudan où un accès direct à l’Océan Indien par la mer Rouge est garanti depuis novembre 2020 [17] . D’autre part, l’Algérie souhaite financer [18] en partie l’effort de guerre de Wagner afin d’obtenir l’expertise de leurs instructeurs pour mener leurs troupes à la victoire face au Maroc concernant le Polisario. La Russie se présente donc comme une sérieuse alternative à la France, d’autant plus que les relations entre la France et de nombreux pays africains se détériorent jour après jour.

« Argent chinois, muscles russes » [19] affirmait Christian Malanga, un politicien congolais. Si la France semble en perte de vitesse et dans l’incapacité de renouveler son influence en Afrique face à un ressentiment grandissant de la population, elle s’est inévitablement fait évincer économiquement par la République Populaire de Chine et ses investissements massifs. Mais quid de Wagner ? La Russie sera-t-elle en mesure de surclasser militairement la France par le biais de la société militaire privée ?




 

[1] Jean-Sylvestre MONGRENIER, « Wagner au Mali. L’arbre ne doit pas cacher la forêt », Institut Thomas More, 8 octobre 2021. Disponible ici. [2] Sergey SUKHANKIN, « Make Africa Safe: Russia’s competitive advantage in Sub-Saharan Africa», The Jamestown Foundation, 18 septembre 2019. Disponible ici. [3] Isabelle MANDRAUD, Poutine, la Stratégie du Désordre, Edition Tallandier, 2021, p235-251 [4] Jean-Sylvestre MONGRENIER, op.cit. [5] Nadejda MULLEN, « Wagner, l’armée secrète de Poutine », Amnesty International France, 1er septembre 2021. Disponible ici. [6] Antonio GUTTERES, rapport du Secrétaire général présenté au CSNU le 16 juin 2021 accessible ici . [7] Le Monde avec AFP, « Trois journalistes russes assassinés en Centrafrique », Le Monde Afrique, 31 juillet 2018. Disponible ici. [8] Cyril BENSIMON, « L’hypothèse Wagner fait monter la tension entre la France et le Mali », Le Monde Afrique, 28 septembre 2021. Disponible ici. [9] Ibid. [10] Laurent LAGNEAU « La Russie livre quatre hélicoptères de transport et d’attaque Mi-171 au Mali » Opex 360, 1er octobre 2021. Disponible ici. [11] Le Figaro avec AFP, « Rusal commence à exporter de la bauxite depuis la Guinée », Le Figaro, 19 juin 2018. Disponible ici. [12] Alexander ZEMLIANICHENKO, « Les réseaux proches de la société russe Wagner s’intéressent au Mali », RFi, 1er octobre 2021. Disponible ici. [13] Morgane LE CAM, « Au Mali, le difficile désarmement des milices », Le Monde Afrique, 10 avril 2019. Disponible ici. [14] Boran TOBELEM, « La politique de sécurité et de défense commune (PSDC) », toutel’europe.eu, 31 août 2021. Disponible ici. [15] Jean-Sébastien SOLDAINI « Et si le Mali préférait des mercenaires russes à la France pour assurer sa sécurité ? », Europe 1, le 30 septembre 2021. Disponible ici. [16] Laurent LAGNEAU, « Le Mali serait sur le point de signer un accord avec la société militaire privée russe Wagner », Opex 360, 14 septembre 2021. Disponible ici. [17] Yves BOURDILLON, « La Russie se dote d’une base navale au Soudan », Les Echos, 17 novembre 2021. Disponible ici. [18] Ilyes ARIBI, « L’Algérie finance l’installation des mercenaires russes au Mali en contrepartie d’une discrète aide militaire au Polisario », Maghreb Intelligence, 13 octobre 2021. Disponible ici. [19] Lydia MISNIK « Il y a quelque chose à protéger : les militaires russes seront envoyés au Congo » Gazeta.ru le 23 mai 2019. Disponible ici.

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