Par Léa CUCHOT
La plus haute juridiction du Royaume-Uni s’est prononcée le 24 Septembre sur la question de la légalité de la prorogation du Parlement décidée par le Gouvernement Johnson. “This Court has already concluded that the Prime Minister’s advice to Her Majesty was unlawful, void and of no effect” [1]. Ces termes résument les conclusions rendues par la Cour Suprême britannique : une suspension du Parlement illégale, nulle et non avenue. Dans le rapport officiel, les Magistrats de ladite Cour évoquent, à titre de justification, que « l’exercice du Premier Ministre peut être ouvert à la contestation judiciaire » [2] et par extension que toutes les actions gouvernementales peuvent être soumises à des poursuites en justice, incluant celles menées par l’occupant du 10 Downing Street.
Dès lors, confirmant la position adoptée par la Cour d’Ecosse quelques jours plus tôt [3], la Cour Suprême a jugé « illégale » la suspension du Parlement, raisonnant à partir de l’interprétation faite des textes règlementaires et constitutionnels du Royaume-Uni [4]. Si la stratégie de B. Johnson d’un Brexit « do or die », passait par le musèlement des débats à Westminster, celle-ci semble s’effondrer. Le Premier Ministre à la tête du Gouvernement britannique depuis juillet, était alors en déplacement pour la tenue de la 74ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies à New-York lorsque le jugement de la Cour Suprême fut rendu dans la matinée du 24 Septembre. Le choix controversé de suspendre le Parlement prise le 9 Septembre est devenue caduque du fait de la ferme décision prise à l’unanimité des onze Magistrats conviés. En plus de rendre cet acte illégal, la Cour Suprême l’annule. Le compte-rendu officiel relatant les paroles de Lady Brenda Hale, la Présidente de la Cour Suprême, évoque même que « le Parlement n’a jamais été suspendu » [5].
Dans la décision de justice, les juges appellent les Parlementaires à siéger à nouveau, et ce, dès que possible. Le retour des députés dans l’arène de discussions de la Chambre des Communes était donc prévu pour le 25 Septembre. John Bercow fut alors implicitement désigné, en tant que Président de la Chambre des Communes, chef d’orchestre de cette soudaine reprise des travaux à Westminster.
L’interprétation décisive des textes juridiques pour le jugement de la Cour Suprême
Les Magistrats se sont appuyés sur plusieurs éléments majeurs pour leur prise de décision. Dans le document officiel du 25 Septembre publié par la Cour Suprême, les juges ont tout de même réaffirmé que la prorogation était légale conformément à l’application du Bill of Rights [6]. En revanche, ils insistent sur le fait que cette suspension ne doit, en aucun cas, compromettre les travaux parlementaires sans « justification valable » [7]. Dans le présent cas, les juges ont averti que la suspension du Parlement a clairement été prise « pour entraver les activités parlementaires » [8]. Selon leurs conclusions, deux principes fondamentaux de la Constitution britannique ont été bafoués par le Gouvernement Johnson. D’abord, le principe de la souveraineté du Parlement, puisqu’en effet, Westminster est privé de son pouvoir législatif dans un contexte délicat au Royaume-Uni qui nécessite pourtant sa pleine implication. De plus, ils évoquent le principe fondamental de la responsabilité parlementaire : “The conduct of government by a Prime Minister and Cabinet collectively responsible and accountable to Parliament lies at the heart of Westminster democracy” [9]. Cette affirmation tirée du rapport émis par la Cour Suprême emprunte les mots du Lord Binghman, Senior Law Lord, pour réaffirmer le lien intense que doivent entretenir le Premier Ministre avec les membres du Parlement, et ce, afin de respecter la démocratie et l’Etat de droit. Dans le contexte délicat d’une potentielle sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union Européenne, le travail des Parlementaires semble indispensable, d’abord, pour la recherche de solutions viables afin d’éviter un divorce brutal, mais aussi, pour que les Parlementaires s’affairent aux problématiques législatives qui leurs incombent.
Dès lors, le pouvoir de proroger, même s’il est initialement légal, est limité dans son application par les principes constitutionnels.
Gina Miller, militante anti-Brexit, au cœur de l’échec stratégique johnsonien
La Cour Suprême britannique est l’Instance d’appels contre les jugements rendus par les Hautes Cours du Royaume-Uni. Alors qu’une Haute Cour Anglaise avait rejeté la plainte déposée par Gina Miller, c’est grâce au recours déposé à la plus haute juridiction du pays que cette militante anti-Brexit a gagné son combat judiciaire. La décision de la prorogation du Parlement, essence de la contestation de cette europhile, a été désignée comme étant purement politique, stratégique et donc illégale par la justice britannique. Il s’agit donc d’un triomphe pour Gina Miller, son avocat David Pannick ainsi que pour les Remainders [10]. Cette bataille juridique engagée et remportée par G. Miller contribue en grande partie à la levée de la suspension de Westminster. En tant que fervente défenseuse du Brexit, elle avait déjà, sous le Gouvernement de Theresa May, gagné le combat judiciaire à la Haute Cour de Justice, en contestant le droit du Gouvernement à invoquer l’article 50 du Traité sur l’Union Européenne [11] sans consultation ni législation préalable du Parlement britannique.
Prospective
Cette décision juridique fournit un argument de poids supplémentaire à l’Opposition à Westminster. Outre les précédentes remontrances faites au Premier Ministre sur la tenue du dossier du Brexit, l’élément juridique vient appuyer la volonté, notamment du Parti Travailliste, de voir démissionner le chef du Gouvernement britannique.
Après avoir perdu la majorité au Parlement et essuyé de multiples revers, pour l’Opposition, ce nouvel échec confirme l’incapacité de B. Johnson de tenir son action à la hauteur de son verbe, ce qui doit de facto mener à sa démission. Cette idée est soutenue par de nombreux membres du Parlement. Pourtant, Boris Johnson, accusant le coup de cette nouvelle difficulté ne semble pas oublier l’objectif initial d’une sortie coûte que coûte pour le 31 Octobre 2019 et aucune volonté de démissionner de la part de l’occupant du Downing Street ne semble se dessiner.
[1] Compte rendu de la décision de la Cour Suprême du 24 Septembre 2019.
[2] Compte rendu de la décision de la Cour Suprême du 24 Septembre 2019.
[3] La Cour d’Appel d’Edimbourg avait statué le 11 septembre 2019 sur l’illégalité de la prorogation du Parlement par Johnson.
[4] La Constitution écrite n’existe pas au Royaume-Uni. Il s’agit d’un cas presque unique (hormis le RU, la Nouvelle-Zélande et Israel sont dans ce cas). Cependant, un ensemble de textes juridiques, de jurisprudence, d’actes judiciaires constituent un corpus désigné sous le nom de Principes Constitutionnels, de Constitution non-écrite ou encore de Constitution non-codifiée.
[5] Compte rendu de la décision de la Cour Suprême du 24 Septembre 2019, traduit de « Parliament has not been prorogued ».
[6] Ce document constitutionnel né de la Glorieuse Révolution, établit de façon formelle le rôle du Parlement.
[7] Compte rendu de la décision de la Cour Suprême du 24 Septembre 2019.
[8] Compte rendu de la décision de la Cour Suprême du 24 Septembre 2019.
[9] Compte rendu de la décision de la Cour Suprême du 24 Septembre 2019.
[10] Les Remainders, s’opposant aux Brexiteurs, supportent la défense du maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne.
[11] L’article 50 du Traité sur l’Union Européenne donne la possibilité de se retirer de celle-ci dans certaines conditions.
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