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Irma, une gestion inefficace?  Des éléments factuels pour contribuer au débat

Dernière mise à jour : 4 mai 2020

Par Thibault LAMIDEL

Le passage des différents cyclones Harvey (17 août – 2 septembre de catégorie 4), Irma (29 août – 12 septembre de catégorie 5), Maria (16 septembre – … de catégorie 5), José (5 septembre – … de catégorie 1), etc. – qui sont déjà, respectivement, les 9e, 10e, 14e et 11e – révèle des défaillances dans la prévention des risques et le début de la gestion de crise (Irma, 6 septembre à Saint-Martin). Épisode qui met en relief des questionnements quant à notre organisation territoriale et à ses structures de Défense et de Sécurité.

Ouragan Irma: Dégâts, bilan et trajectoire (source: Ouest-France)


La saison des ouragans se déploie au maximum, chaque année, entre le 1er juin et le 30 novembre. Le NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) affirmait dans ses prévisions le 25 mai 2017 que « en termes de nombre de système baptisé, le scénario privilégié par les prévisionnistes de la NOAA et de 11 à 17, dont 5 à 9 atteindraient le stade de cyclone tropical, incluant 2 à 4 cyclones intenses ou très intenses (Cat.3-4-5). » Une simple recherche dans un moteur de recherche amène à remarquer que ces prévisions de cette administration américaine sont lues et reprises depuis les Antilles jusqu’au Canada – pourtant assez peu concerné par ces phénomènes climatiques – mais pas en France.


Le 18 août 2017, Harvey est le huitième ouragan de la saison. Il est bien signalé que la « saison très en avance puisqu’en moyenne ce huitième système naît autour du 24 septembre. » L’alerte est donnée pour la Martinique le jour-même et s’il faiblit en franchissant les petites Antilles, il dévastera le Texas le vendredi 25 août. Il serait le pire ouragan depuis Katrina (2005).


Irma est perçu sur les différents senseurs des administrations spécialisées depuis, au moins, le 25 août 2017. Dès le 31 août, Irma inquiète pour un éventuel passage sur la Guadeloupe. Météo France recentre le passage sur les îles françaises du Nord des Antilles. Et, contrairement aux administrations américaines, Météo France prévoit dès le 3 septembre un renforcement explosif de l’ouragan alors perçu comme un « petit ouragan ». Le 5 septembre, il est acté qu’Irma sillonnera Saint-Martin et Saint-Barthélemy avec une puissance équivalente à celle d’Harvey. Son parcours est même prédit heure par heure à partir du 5 septembre, toujours.


Premièrement, il serait difficile de qualifier de « signaux faibles » une saison définie à l’avance. Le NOAA édite un bulletin de prévisions. Le NHC (National Hurricane Center), autre administration américaine, suit la trajectoire des ouragans, qu’elle est capable de prédire heure par heure. Si Météo France peut produire ses analyses et dispose de suffisamment d’informations pour contredire – à raison dans l’exemple – les administrations américaines, la diffusion de la prévision des risques est défaillante dans les circuits français. Si la prévention des risques n’est pas de la gestion de crise, il s’agit de montrer que la capacité à encaisser une ou plusieurs catastrophes naturelles est d’une fragilité bien plus importante en France qu’aux États-Unis à cause d’une gestion défaillante de l’information.


Deuxièmement, l’absence de réactivité et de célérité de la prise de décisions par l’État est l’un des facteurs d’une gestion de crise défaillante. Par une culture d’anticipation, la première option aurait pu être, en se fondant sur l’image stratégique dressée par le NOAA, d’amener des renforts en hommes et matériels. Harvey avait été alors une alerte très sérieuse. La majeure partie des moyens français sont en Europe : il y a dix à douze jours de navigation depuis Toulon, dix à douze heures de vol depuis Orléans ou Paris. Irma dévaste Saint-Martin le 6 septembre, le BPC (Bâtiment de Projection et de Commandement) Tonnerre est annoncé pour préparation à l’appareillage le 9 et quitte Toulon le 12. La gestion de crise débute le 6 avec un seul A400M français sur les onze reçus en raison des difficultés liées autant aux péripéties de ce programme qu’à la réduction de commandes françaises tandis que la cadence de production dépasse les 15 à 20 machines chaque année. La mobilisation de moyens alliés, otaniens et européens semble avoir été d’une plus grande célérité du côté néerlandais que français.


Il y a une année, du 20 au 23 juin 2016, se déroulait l’exercice HUREX entre les Forces Armées aux Antilles (France) et les forces militaires néerlandaises aux Antilles. « Les effectifs engagés comprenaient 30 militaires des FAA, 80 militaires néerlandais, deux bâtiments de la marine royale néerlandaise, ainsi qu’une dizaine de véhicules de transport de troupes des deux nations. Le scénario prévoyait le passage d’un cyclone touchant durement les îles du Nord de l’arc antillais et nécessitant alors une intervention militaire bilatérale franco-néerlandaise afin de renforcer les équipes de secours et d’intervention locales. »


Le général Lecointre, Chef d’État-Major des Armées, se demandait à voix haute si la France était encore capable de lancer une opération comme Serval (4500 hommes, 2013). Aux Antilles, et depuis Irma, le nombre de militaires français dépasse les 1500 et se rapproche des 2000. Bien plus en incluant les hommes de la Sécurité civile. La comparaison avec l’opération Serval est particulièrement pertinente dans la mesure où le soutien logistique aérien allié constituait un appoint à l’Armée de l’Air en 2013 afin d’accélérer la montée en puissance sur le théâtre pour une contre-attaque décidée dans l’urgence quand la projection aux Antilles semble ne reposer que sur un ou deux A400M français et les deux CN-235 basés localement tandis que l’essentiel des aéronefs est fourni par l’Allemagne (A400M), le Canada (C-17) et le Royaume-Uni (C-17, A400M). La problématique de l’aéro-mobilité et, partant de là, de la projection stratégique perdure au moins depuis l’opération Manta au Tchad…en 1984. La capacité de projection souffre de l’absence d’avions de transport stratégique (seulement un contrat d’affrètement avec des compagnies russes respectant la ligne diplomatique de Moscou) et l’indisponibilité des A400M. De plus, cela ajoute l’équivalent d’une opération extérieure assimilable à Serval dont la majeure partie de la charge logistique est supportée par les alliés de l’OTAN et les États membres de l’UE dans un contexte de sur-consommation du potentiel opérationnel, ce qui ne pourra qu’accélérer l’érosion capacitaire et repousser la régénération du potentiel opérationnel. C’est prendre le risque, très sérieux, d’une rupture et d’un effondrement du dispositif militaire français s’il continue à soutenir un rythme au-dessus de ses moyens humains, matériels et financiers, en particulier si des désengagements ne sont pas rapidement opérés.


Troisièmement, quelle est la capacité « RETEX » (RETour d’EXpérience) de l’État ? Quelles sont les leçons retenues depuis l’ouragan Dean du 17 août 2007 ? Deux livres blancs (2008, 2013) plus tard, le contrat opérationnel de 2013 est immédiatement (sur-)consommé (120 à 130% des contrats) dans les postures diplomatiques (Barkhane, Chammal, Daman) et intérieures (Sentinelle). Pourquoi ce contrat comporte-t-il la mise à disposition de 10 000 hommes pour le théâtre national ?


Ce sont tout simplement les 10 000 hommes prévus pour le plan Neptune en cas de crue centennale à Paris… La réflexion au sujet de la sûreté territoriale face aux risques industriels, technologiques naturels et terroristes n’a toujours pas été développée. Elle a été subordonnée à la protection du format de la Force Opérationnel Terrestre, menacé de tomber sous les 70 000 hommes pendant les coupes budgétaires et leurs effets de 2008 à 2017. Les deux leitmotivs de protection de ce format furent l’accident nucléaire de Fukushima (100 000 hommes des Forces d’Auto-Défense japonaises, 180 000 avec le soutien et la logistique) ainsi que l’opération Sentinelle (10 000 hommes) déployée suite aux attentats du 13 novembre 2015. Il n’en ressort nullement une stratégie de sûreté territoriale permettant de dépasser la simple réquisition des moyens militaires. Deux années après le lancement de l’opération Sentinelle, le ministère de l’Intérieur commence seulement à rechercher une coordination et une articulation de Sentinelle avec les policiers et gendarmes, ce qui est symptomatique d’un engagement militaire sur le territoire national qui a été anticipé uniquement par une réflexion de fond face au risque d’une crue centennale à Paris.


 
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