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ChatGPT : risque ou opportunité pour l’enseignement ?

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Par Thierry FUSALBA

Depuis quelques mois, un débat anime le corpus des enseignants en France : doit-on s’inquiéter de ChatGPT, ce nouveau « langage de pointe développé par OpenAI qui a été conçu pour fournir une expérience de chat en temps réel et fluide » [1] ? Aux dires de certains, cet outil basé sur l’Intelligence artificielle (IA) permettrait à n’importe qui de réussir n’importe quelle épreuve de n’importe quel concours et d’accéder ainsi à de hautes fonctions et responsabilités sans en avoir les compétences.


Le sujet est sérieux car il met en lumière les formidables possibilités de l’IA, un domaine dans lequel l’UE et la France sont distancées par les USA et la Chine. La révolution du Deep Learning touche tous les secteurs. À commencer par le corps enseignant qui regroupe les fonctionnaires de l’Éducation nationale mais aussi tous les acteurs privés ou publics qui forment des millions de Français. Ces enseignants - formateurs, déjà confrontés dans l’exercice de leur métier à une remise en cause de l’autorité et parfois même à la violence, doivent désormais intégrer la possibilité qu’ils ont face à eux, non des apprenants motivés mais des copieurs connectés. Pas vraiment des fraudeurs, puisque l’usage de ChatGPT n’est pas (encore) interdit mais plus vraiment des étudiants restituant le fruit de connaissances acquises et maîtrisées. Ce n’est pas nouveau et ce serait même une conséquence naturelle du développement de l’IA. KAI-FU LEE dans un ouvrage à succès [2] décrit ainsi le phénomène de contrefaçon chinois, à partir des années 90. Selon lui, les experts américains ont commis une erreur en se moquant des produits d’imitation chinois. L’enjeu était ailleurs car le « gain le plus précieux issu de l’ère de la copie n’était pas le produit : c’étaient les entrepreneurs eux-mêmes ». Il serait donc dangereux de se moquer de cette génération hyperconnectée, soucieuse de réussir et adepte des économies d’énergie !


D’ailleurs, la crainte d’un déclassement intellectuel n’est pas nouvelle chez les professeurs. Il y a de cela vingt ans, j’avais échangé avec le président de la Conférence des IUFM à l’occasion d’un partenariat signé avec l’armée de Terre. À l’époque, il m’avait confié l’inquiétude grandissante des jeunes enseignants face à des élèves surfant sur Internet pour y chercher des informations leur permettant « de coller le prof ». Cherchant désespérément à se rassurer, le monde de l’enseignement était venu demander des conseils de management à l’armée. Je lui avais rappelé que l’erreur fondamentale dans l’exercice de l’autorité est de confondre la somme de connaissances et le savoir. Les connaissances s’accumulent ; le savoir s’acquiert. Et l’on peut avoir appris par cœur le dictionnaire Larousse, tout en restant un parfait imbécile. Le savoir, seul, permet la remise en perspective des connaissances grâce à l’intelligence car il se nourrit de l’expérience et des compétences, en leur apportant une réelle plus-value. Cela, l’apprenant ne l’a pas. L’enseignant, si !


Au-delà de cette anecdote, il est certain que l’arrivée de Chat GPT va imposer de repenser notre façon d’enseigner mais surtout de contrôler les acquis. En offrant la possibilité à n’importe qui, de répondre à peu près correctement à n’importe quelle question, l’IA va obliger l’enseignant à se demander s’il pose les vraies questions ou, à tout le moins, s’il les pose de la meilleure façon possible. Gustave Le BON déjà en 1895 dans son ouvrage intitulé « la Psychologie des foules » [3] dénonçait le système d’enseignement français, le jugeant trop attaché à la théorie (aux livres), en comparaison du système anglo-saxon basé sur l’expérience. Selon lui, le modèle d’outre-Manche est « un procédé autrement démocratique et utile pour la société que de faire dépendre toute la carrière d’un individu d’un concours de quelques heures subi à dix-huit ou vingt ans ». Je partage évidemment ce point de vue.


Voilà pourquoi, depuis près de vingt ans que j’enseigne, je n’ai que très rarement utilisé des méthodes d’évaluation basée sur une restitution pure et simple du cours. Je préfère de loin l’étude de cas concrets, avec la possibilité d’utiliser toute documentation, réalisée de façon collaborative. Cette méthode, si elle est plus contraignante pour l’enseignant car elle rallonge les temps passés à la préparation et à la correction des épreuves, présente beaucoup d’avantages. Ainsi, la mise à disposition d’une masse de documents oblige l’apprenant à trier, à faire des choix puis à hiérarchiser le résultat de ses recherches ; le tout dans un temps contraint, faute de quoi il se perd dans un maelström de pages web, de présentations PowerPoint et d‘articles inutiles. L’étude de cas concrets interdit en outre d’opérer un choix dans ses réponses, en fonction de ce que l’on pense savoir, au risque de négliger l’essentiel. Sans passer par une phase préalable d’analyse puis de synthèse, il est impossible pour l’apprenant de répondre correctement, ne fût-ce qu’à une seule question. Cette méthode impose le temps de la réflexion avant celui de l’action. N’est-ce pas ce que nous devrions faire tout au long de notre vie ? Le travail collectif oblige les étudiants à s’organiser, à nommer un(e) gardien(ne) du temps et à respecter une méthodologie, à répartir équitablement le travail, à assurer la cohérence des différents fragments de réponse apportés par les membres du groupe. Or, c’est ce qui manque cruellement dans beaucoup de structures décisionnelles, notamment les cellules de crise. En constituant moi-même les groupes, en fonction des aptitudes de chaque étudiant, je répartis équitablement les compétences et j’évite les groupes de force ou créés par pure affinité. Cela impose de travailler avec des personnes qu’on ne connaît pas ou mal, voire qu’on n’apprécie pas. Mais n’est-ce pas la caractéristique de toute carrière professionnelle ?


Voilà près de vingt ans que je pratique cet enseignement sanctionné par une évaluation collective basée sur un cas concret dans lequel sera noté, non la capacité des apprenants à restituer une définition, une date ou le nom d’un auteur mais un travail collectif effectué en temps contraint et selon une méthode imposée. L’injection d’incidents permet d’orienter la réflexion mais oblige aussi à s’adapter, tout en permettant de mesurer la résistance au stress. Bien sûr, le domaine de la gestion de crise s’y prête mieux que la géographie ou les sciences. Et pourtant… À quand un sujet en histoire dont le libellé serait : « comment auriez-vous évité la Première Guerre mondiale si vous aviez été René Viviani, Président du Conseil en 1914 ? » Voilà un sujet dont certaines réponses pourraient se révéler fort utiles par les temps qui courent…


Quant à ChatGPT, les étudiants doivent pouvoir l’utiliser librement car ce dont l’IA n’est pas (encore) capable de faire, c’est analyser une situation complexe pour proposer des solutions pertinentes, en tenant compte de tous les facteurs d’environnement. L’intelligence artificielle Générale aura la capacité d’apprendre, de raisonner, de planifier, de comprendre le langage et de faire preuve de logique mais elle n’est pas pour demain. Au-delà, qui peut dire de quoi sera fait l’avenir ? Les découvertes actuelles dans le domaine de l’IA ne sont que des applications de plus en plus performantes de la révolution née du Deep learning ? Les partisans des réseaux de neurones nous prédisent un second bond technologique dans les prochaines décennies. Quelles en seront les conséquences pour l’enseignement ? Les professeurs auront-ils encore une utilité d’ici cinquante ans, face à des étudiants hyper connectés et adossés sur l’IA ? Les campus universitaires seront-ils encore fonctionnels, alors que le confinement lors de l’épidémie de la CovId19 a boosté l’enseignement à distance ?


Une des conséquences envisagées de la généralisation de l’IA dans notre vie quotidienne serait la fin de nombreux métiers dans lesquels la machine remplacera l’humain [4]. À l’heure où l’on demande aux Français de travailler davantage, l’idée d’un monde où l’oisiveté deviendrait une contrainte a de quoi inquiéter. Mais la révolution de l’IA est en marche avec son corollaire, la guerre des mégadonnées. Et croire que seules les superpuissances économiques en sont conscientes serait une erreur [5]. Bien sûr, nous avons encore quelques belles années d’enseignant à vivre. D’ici là, à nous de faire que l’intelligence de nos étudiants et étudiantes ne devienne pas superficielle !


 

[1] https://gptchat.fr

[2] I.A, la plus grande mutation de l’Histoire, J’ai Lu, 2018.

[3] La Psychologie des foules, PUF, 5ème édition, 1995.

[4] La start-up DoNotPay a développé une IA avocat, basée sur GPT3 et des systèmes de speech to text et text to speech qui a déjà été utilisée lors d’audiences dans un tribunal

[5] Le Bénin vient de publier un document intitulé « Stratégie nationale d’Intelligence Artificielle et des mégadonnées, 2023 – 2027 » https://numerique.gouv.bj/assets/documents/strategie-nationale-d'intelligence-artificielle-et-des-megadonnees-2023-2027.pdf

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