top of page
institutcrises

A propos du malaise étudiant...

Par Alain Van Cuyck

Maître de conférences en science de l'information et de la communication, Alain Van Cuyck est membre du Laboratoire de recherche ELICO (Équipe Lyonnaise en Information et Communication) et de la SFSIC (Société Française des Sciences de l'Information et de la Communication). Il est aujourd'hui responsable du Master communication des organisation, parcours management de la communication intégrée. Alain Van Cuyck s'intéresse aussi tout particulièrement à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), souvent au cœur des crises économiques, environnementales et sociales des organisations contemporaines.



Lien social, apprentissage, socio-constructivisme, participation et intégration… A propos du malaise étudiant…



Cette (trop) longue période de confinement des universités et de mises en place de dispositifs en distanciel révèle un malaise profond notamment des étudiants se sentant fragilisés par la distanciation corporelle et une certaine rupture de nature psychosociale du rapport à l'espace et aux lieux mais aussi à la nature profondément topique et relationnelle des institutions, notamment éducative et du rapport aux autres et à soi, c'est à dire une dimension profondément socialisante de la façon dont nous rentrons en relation .


Ces dernières semaines de nombreux faits, articles, manifestations, témoignages révèlent le malaise des étudiants. Le terme SOS a même été employé, avec des articles mis en ligne sur les réseaux sociaux ou ce terme SOS est mis en titre comme pour affirmer un message d’appel au secours.


« Seuls face au COVID, le SOS d’étudiants en détresse : A 19 ans j’ai l’impression d’être morte..» article France info France 3 du 15/01.21021 ; « SOS étudiants en détresse : les conséquences du covid et de la fermeture des universités » – article Paris Normandie du 29/01/2021 - « Le SOS des étudiants en détresse » – article France Ouest 11/01/2021…


La liste serait bien longue… Des signaux confirmés par des chiffres et des statistiques : « Selon les chiffres de l’observatoire national de la vie étudiante, le nombre d’étudiants souffrants de fragilités psychologiques est passé de 20 à 30 % en 40 ans » titre un article France Dimanche mis en ligne le 27/01/2021. Des articles souvent agrémentés de témoignages significatifs et signifiants dont un article de France Info « TEMOIGNAGES. "Il a craqué devant nous sur Zoom" : les professeurs d'université démunis face à la souffrance de leurs étudiants » publié le 22/01/2021 et dont nous extrairons le témoignage de deux étudiants pour illustrer nos propos.


Il s’agit donc là d’une crise profonde qui touche bien entendu l’ensemble de la population, mais qui semble se cristalliser plus particulièrement sur le monde étudiant. Y aurait-il une spécificité et quelles pourraient être les causes et les logiques de cette spécificité. Pourquoi plus spécifiquement chez les étudiants que d’autres catégories. C’est à la compréhension de ces causes profondes liés à une crise profonde et singulière de cette catégorie spécifique que sont les étudiants que ce texte tente de répondre...




Il n'y a pas que l'armée qui incorpore… Toute institution, toute organisation nous incorpore et nous intègre dans des lieux et des places, ou le corps lui-même est en situation. La rupture profonde entre un enseignement en présentiel ou en distanciel n'est pas tant une rupture en tant que contenu, même si pour reprendre l'expression de McLuhan Message is médium, mais une rupture dans la nature socialisante du cadre d'action dans lequel nous sommes incorporés et dans lequel nous entretenons une relation de type écologique à nos environnements mais aussi dans nos dimensions de ritualisations de nos sociabilités. Le rapport au contenant en quelque sorte, la forme ou les formes…


Concernant les formes éducationnelles, si l'on a un regard un peu historique et anthropologique des formes prises par l'activité pédagogique, celles-ci, pour la plupart, sont fondées sur des dimensions liés à des espaces de formation (la classe, la salle de cours, l'école, l'université) qui symboliquement mais aussi physiquement créent des espaces institutionnels spécialisées et spécifique pour la conduite des activités orientées vers un type d'activité précises ou les actants pour reprendre l'expression de Latour sont aussi importants que les acteurs dans la formalisation même des identités et des logiques d'action que génèrent ces formes institutionnelles. Ces formes institutionnelles créent également des formes sociales d'intégration et d'incorporation profondément liées non seulement aux processus générateurs d'identité et d'identification sociale (le fait d'être étudiant par exemple) mais également au fait d'être confronté à des espaces socialement construits, fortement liés a des agencements structurels guidant et orientant les actions y compris dans le positionnement spatial des acteurs (la place, la position, le statut, le rôle) et le cadre d'action dans lequel se génèrent ces actions.


Le malaise profond, si on analyse un petit peu les témoignages dans l'article cité plus haut, provient essentiellement de la perte d'identification et de projection dans un espace d'action ou je vais pouvoir être ensemble avec les autres joueurs jouant le même jeu et ou je vais pouvoir participer à l'action collective en train de se faire. Il s'agit essentiellement ici d'une dimension phénoménologique de l'action en train de se faire et de se produire, mais également d'une topique de l'action instituée dans des cadres d'action spécifiques canalisant la conduite des activités humaines, tels qu'une université, un hôpital, ou bien même un terrain de football ou se jouent et se déroulent les actions.


La rupture profonde dans cette épreuve de confinement est d'abord une rupture d'ordre du spatio temporel dans le rapport à l'institution. Une rupture d'abord par rapport au cadre propice des salles de cours des amphis, de la bibliothèque, de la relation présentielle avec les professeurs mais aussi les camarades de promotion avec lesquels se fait l'aventure collective, les discussions et finalement tout l'aspect socialisant de la formation qui se fait avant tout de façon collective. Le distanciel atomise cette relation à l'espace, cette relation aux autres en offrant qu'un espace distancié à l'institution par le biais d'un écran d'ordinateur ne fonctionnant pas toujours bien mais in fine dans un espace personnel et intime qui n'est pas celui de l'université, l’espace de ses locaux et de ses salles de cours, cafétérias, bureaux administratifs, celui de la proximité physique avec les autres et constitue un repli de la sphère de réception à l'espace intime et personnel qui n'est justement pas l'espace partagé et institué, l’espace collectif. D'où cette apparence de rupture et de sentiment de repli ou la phénoménologie de l'action est également liée à des logiques de cadres topiques relevant de l'ordre de l'action mais aussi des systèmes d'identification et de projection. Ici se situe bien le point de rupture entre un espace avant – le in situ - et un manque ou une perte d’espace après -le ex situ- durant ces temps de confinement.


Cette rupture d’ordre sémiotique est également un signifiant de l’ordre sémantique. in et ex catégorise et ordonne sur le même mode que leurs termes dérivés in-clusion ou ex-clusion. A l’ in-tégration s’oppose l’ ex-clusion.


La distanciation et l'enseignement en distanciel est pour cette raison également vécu sur le mode d'une distanciation à l'institution et à un repli sur un espace souvent restreint quand on est étudiant (voir le témoignage du thésard vivant finalement cette distanciation dans un espace refermé de 17 M2 ou de cette étudiante étant revenu dans sa famille et devant s'occuper de ses frères et sœurs pour que les parents aillent travailler) sans compter la distanciation et l'atomisation spatiale des étudiants suivant les cours.


Pour toutes ces raisons évoquées, mais également bien sur l'angoisse face au futur liée à cette pandémie anxiogène, mais également des conditions de vies assez précaires, font que le malaise des étudiants est effectivement profond dans la mesure ou il y a une sorte de rupture topique et physique avec l'institution dans son rapport à une phénoménologie du corps et de l'action.


Là ou l'Université "incorporait" les étudiants, la pratique du distanciel "distancie" et atomise le rapport à l'institution.


...SOS...


Alain van Cuyck.

77 vues0 commentaire

Comments


bottom of page